Mais que font les écologistes ?

Ce n’est pas seulement l’information dramatique, prise au vol ce matin sur les ondes, mais les commentaires associés qui m’ont interpellé. Mais rappelons déjà cette consternante nouvelle. Une jeune adolescente en vacances à La Réunion a été tuée par un requin bouledogue, alors qu’elle se baignait à quelques mètres de la plage. Que dire de plus sur les faits ? Pourquoi commenter l’horreur, l’effroi que cette information peut susciter ? Comment imaginer la douleur des parents, ou s’y associer ? De ce dernier point de vue, la chose est pour moi impensable et tout ce que je pourrais écrire serait en-deçà ou à côté, donc déplacé. Je m’abstiendrai donc : incapacité à dire ou pudeur, c’est selon ce que l’on voudra bien en penser. Mais laissons cela aux journalistes qui doivent bien faire leur métier, et aux politiques qui ne peuvent laisser passer l’information, ni la relation d’un problème, sans donner l’impression qu’ils s’en saisissent, et qu’ils ont encore prise sur la vie comme elle va. Et c’est le plus interpellant. Le député-maire de Saint-Leu, commune du drame, s’est légitimement ému de l’accident, et a exigé que l’on « éradique les requins » qui viennent chasser près de la plage « en toute impunité ». Cet élu socialiste, qui a beaucoup fait parler de lui lors de la publication de son patrimoine, ou en réponse aux menaces proférées par lui de son possible exil fiscal à Saint-Maurice, utilise ici un vocabulaire autant remarquable que banal. Évoquer la possible impunité du prédateur, c’est accréditer l’idée que cet accident homicide est un crime qui devrait être puni. Mais si le squale devait être puni – il est aujourd’hui recherché –, je me demande au nom de quoi. Au nom de la justice et de loi ? De la morale ? De l’autorité des hommes sur la nature ? Comme victime expiatoire sacrifiée ici sur l’autel de la cohésion de la communauté insulaire ?

Les lois des hommes s’appliquent aux hommes et constituent l’éthique d’un corps social constitué dans le cadre de l’Etat civil. Les animaux, me semble-t-il, en sont restés à l’Etat de nature, n’ayant jamais constitué de société, au sens humain du terme. Nos lois, légitimes pour nous, ne sont pour eux qu’une violence sans autorité, celle de la loi du plus fort, et jouant sur les mots pour dire ce que ce drame intervenant sur une  commune qui s’appelle Saint-Leu m’inspire, je dirais que l’homme est un loup pour le requin[1].

Peut-on les éradiquer au nom de la morale ? Je n’en suis pas sûr. Même si je ne mets pas sur le même plan la vie d’un homme et celle d’une sardine – mais je serais curieux de voir la chose avec les yeux de Dieu. D’un point de vue moral, il me semble que l’acte qui consiste, pour le requin à manger de la chair humaine, et pour l’homme à ouvrir une boite de sardines à l’huile, est du même ordre. Et j’assume ce point de vue très spinoziste. Et si l’un des deux, de l’homme ou de l’animal, est possiblement coupable de crime, c’est évidemment l’homme, car il agit en conscience, et parce qu’il a la capacité à penser ses actes – en l’occurrence à détruire certains équilibres fragiles qui conduisent un squale dangereux à proliférer et à venir chasser trop près du rivage. Mais ce crime, s’il en est un, n’est de toute façon pas contre-nature, car les prédateurs existent naturellement, et ne constituent pas une bizarrerie de la création. C’est le jardin d’Eden, où rien ne meurt ni ne pourrit, où l’agneau vit dans l’intimité du loup, qui constitue un fantasme, une version d’utopia, un eu topos qui est le lieu de nulle part.

Le requin attaque – au moins cette espèce particulière – parce que c’est dans sa nature, et qu’il ne peut s’affranchir de ce qu’il est ; disons-le d’une manière volontairement outrancière : parce que Dieu l’a voulu ainsi, et le créateur étant par définition, par construction conceptuelle, omnipotent, omniconscient, omniscient, il savait le drame avant qu’il advint. Faut-il éradiquer les requins mangeurs d’hommes, comme d’autres espèces nuisibles à l’homme : le tigre, le lion, le crocodile, le moustique, le percepteur d’impôts et le contractuel préposé à la distribution des PV de stationnement ? Peut-on poser cette question aux croyants Dieu ? Mais, c’est plus encore l’avis des écologistes que j’aurais souhaité connaître. Mais je les vois plus promptes à intervenir sur une problématique de couloir de bus qu’à gloser sur la question du statut de l’animale, ou sur la relation de l’homme à la nature.



[1]. J’admets que le jeu sur les mots est un peu tiré par les cheveux – mais comment résister ? –, car j’ignore l’origine du nom de Saint-Leu. Mais je pense qu’il s’agit de Saint-Loup, car en vieux françois, loup se disait leu. La formule « l’homme est un loup pour l’homme » (Homo homini lupus), vulgarisée par Hobbes, est très ancienne, et on la retrouve déjà chez Plaute.

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