Archives mensuelles : octobre 2018

Profession de mescréance

Retour métaphysique

La grande faiblesse de l’homme c’est son extraordinaire ductilité. L’homme, non seulement s’adapte en permanence, mais quand il a pris une forme nouvelle, et que ses petits sont nés ainsi conformés, ils s’en trouvent bien, et c’est ainsi que le Touareg aime, par-dessus tout, ses dunes infinies, et que l’Inuit, en guise de désert, est si attaché aux immensités poudreuses et gelées. Et c’est aussi pourquoi, un païen de l’aire préchrétienne jugerait abjecte la façon dont nous vivons aujourd’hui, et que nos contemporains jugent moralement détestables les cultures antiques.

L’homme va donc continuer à s’avilir, à détruire son environnement, à produire une humanité de plus en plus débile, et à se trouver bien dans ces situations toujours moins humaines. Il se construit un enfer, le nomme « Progrès », moque ce qu’il était hier, méprise ses ancêtres, et continue à aller de l’avant, et à s’adapter afin de pouvoir encore et encore, trouver la force et les ressources pour avancer vers le gouffre.

Politique de libertés

 

Ceux qui pensent que la politique est l’art de gérer l’économie de la nation se trompent gravement, fatalement… La fin essentielle de la politique, c’est la préservation des libertés individuelles, le reste n’étant qu’accessoire. Mais on ne peut parler de « La liberté » de manière générique : Il faut toujours distinguer ses dimensions politique ou ontologique, et savoir d’où l’on parle.

Ontologiquement, nous sommes déterminés par notre nature propre et par les nécessités de la Nature, mais aussi par notre histoire, personnelle et collective ; et notre libre arbitre, considéré comme autonomie de notre vouloir, se réduit, non seulement à vouloir sans savoir ce qui, en nous, veut, mais aussi à croire naïvement à l’existence d’un « Je » dans une autre réalité que sensible.

D’un point de vue politique, notre liberté s’inscrit entre les bornes que le droit pose, et qui, ce faisant, créent cette liberté comme espace du possible ; et c’est en quelque sorte la liberté de l’animal dans son enclos ; et toute perte ou revendication de liberté questionne la place de la clôture, ou la surface enclose ; on peut ainsi, repoussant les limites ou réduisant cet espace, affranchir ou contraindre, mener des politiques libératrices ou liberticides.

Quant à la responsabilité morale ou juridique, ce n’est qu’une fiction nécessaire au vivre-ensemble, de même nature que le contrat social, c’est-à-dire basée sur un consentement non seulement tacite, donc sans contenu clair, sans valeur juridique, donc sans vraie valeur ; mais surtout fondée a posteriori, comme une maison dont on construirait les fondations, alors que l’on pose déjà, dans le même temps la charpente ou les tuiles. La responsabilité est aussi une construction idéelle, le talon d’Achille de toute construction politique censée marcher. Les libertariens qui veulent se passer de l’État ne manquent d’ailleurs pas d’y décocher leurs traits. La responsabilité suppose donc et le libre arbitre et l’existence d’un je politique, comme être que l’on puisse déférer devant des juges. Et cette option, matérialiste, peut se réduire à un double contrat, individuel et social ; et qui consiste à reconnaître et les corps comme êtres et la société comme cadre naturel d’existence de ces êtres humains. Cette, ou ces conventions sont à prendre ou à laisser. Elles ne sont pas à négocier, mais à accepter, sachant que les refuser signifierait la mort individuelle et sociale. Par l’une, chacun accepte de considérer l’individu comme un corps politique capable d’opérer des choix et de les assumer, par l’autre, chacun accepte de subordonner sa volonté à celle d’un État, parfois libérateur, souvent liberticide.

Réflexions qui me ramènent à mon obsession démocratique. La démocratie n’étant que l’égal pouvoir de décider, ou, pour le dire autrement, non pas, surtout pas, la construction d’une élite adoubée par le vote, mais la confusion des gouvernants et des gouvernés. C’est-à-dire, d’une manière apparemment paradoxale, un cadre laïc, qui sépare, non seulement la religion de l’État et du Politique, mais plus encore, l’État du Politique. Un système vraiment démocratique devant donc exclure du champ politique, les fonctionnaires de Dieu, mais aussi ceux de l’État.

Court plaidoyer pour une spiritualité immanente

Je crains que nos valeurs ne soient mortes, faute d’avoir voulu les défendre, les faire prospérer sur un terreau ingrat. Et aujourd’hui, elles gisent ; et leurs cadavres en décomposition nous encombrent et commencent à puer.

Mais pour les faire vivre, encore aurait-il fallu que notre civilisation produise des hommes et des femmes capables de les porter comme un étendard flamboyant, au lieu de consommateurs jouisseurs et paresseux ; et peut-être aurait-il fallu que nos nations retrouvent une forme de virilité. Mais force est de constater que nos modèles sont autres, que l’U.E. est le ventre mou de l’Occident, et la Commission européenne sa structure la plus débile.

 

Le Marché a réifié le monde en réduisant tout, choses, êtres, gestes, pensées, à des valeurs monétaires négociables sur un Marché qui est devenu notre seul paradigme et notre horizon indépassable. Il a gommé toute spiritualité qui ne subsiste que comme trace évanescente. La grande faiblesse de l’Occident qui nourrit l’islamisme radical, c’est bien son incapacité à inventer une spiritualité sans dieu, sans transcendance, une spiritualité immanente, en d’autres termes, postchrétienne.

 

Si l’occident est décadent – pour reprendre cette formule qui s’impose dans beaucoup de discours –, c’est sans doute qu’il n’y a plus de nations capables d’incarner ses valeurs, plus de nations et plus d’éducation nationale, je veux bien dire d’éducation aux valeurs nationales. L’éducation nationale aura été la marque d’une séquence aujourd’hui close de construction des États nation, structures incompatibles avec le nouveau monde à Manu, celui de l’alliance du Marché et de la Bureaucratie.

Jadis familiale, avant de devenir nationale, l’éducation est aujourd’hui l’affaire du Marché, et cette évolution fatale et structurante mérite qu’on y revienne et s’y attarde. Sous l’Ancien régime, époque où les gens bougeaient très peu, socialement et géographiquement, l’éducation des enfants était l’affaire de la famille élargie, et de la communauté, essentiellement villageoise. Et l’église y prenait évidemment sa place. Et les valeurs transmises étaient, de ce fait, traditionnelles : autorité du pater familias, du roi au nom de Dieu, de Dieu le père. Après la révolution, l’éducation est devenue étatique, et d’autant plus uniforme que l’État était centralisateur, jacobin. Qu’on se souvienne de la façon dont les langues régionales – je poste ces chroniques depuis la Bretagne – ont été quasi éradiquées. Et notre troisième république a poussé très loin cette logique, et l’école de la république a tenu, dans cette construction de la nation française et de la promotion de ses valeurs : liberté, égalité, fraternité, un rôle déterminant, avec, comme pivot, la figure de l’instituteur. Évidemment, la famille et la communauté ont continué à jouer un rôle, mais mineur ; grâce à quoi la langue bretonne s’est un peu maintenue, mais si peu. Mais de familiale, l’éducation est devenue nationale. Aujourd’hui, dans le nouveau monde, c’est le marché qui éduque, et les médias commerciaux ont remplacé l’école. Mais pas tant les journaux que les jeunes ne lisent pas, que la télé, et plus encore le cinéma, et depuis quelques années les réseaux sociaux où se développent de nouveaux métiers : celui d’influenceurs, par exemple. Mais plutôt que de pleurer sur la ringardisation de l’école, privée de son ministère de l’éducation, pour se contenter de la transmission de savoirs qui n’ont plus d’autre objet que de former les travailleurs dont le marché a besoin, on doit s’interroger sur les valeurs transmises par cette éducation de boutique, éducation de masse, transnationale. Car si l’État avait légitimement souhaité substituer en partie aux valeurs traditionnelles, les valeurs républicaines, le Marché promeut et impose aujourd’hui les siennes : démagogie, esprit de compétition, surexploitation, précarisation, loi du plus fort et mépris du faible, valorisation de l’argent, dématérialisation des engagements, tromperie, réification du monde, relativisme de toutes les autres valeurs ; et ses contrevaleurs : refus du don et de l’engagement. Et la technostructure en rajoute une couche. On appelle cela le nouveau monde et chacun est sensé y adhérer au nom de la modernité, faute de quoi, ceux qui s’y refusent sont moqués et leur refus montré comme une preuve de sénilité, de faiblesse, de ringardise. C’est ce que l’on appelle de la démagogique.

Profession de mescréance

Pour rester, un moment encore, avec Pessoa

 

À Pessoa qui écrit à plusieurs reprises – ce qui me fait dire que la forme du propos est murement posée : « je gis ma vie » ; Pessoa, mon frère d’âme, pour qui j’ai tant d’affection ; je voudrais répondre à travers le néant où il vit depuis qu’il a cessé de rêver, que moi, j’aurais tenté toute ma vie, désespérément, de ne point la gésir. Péché d’orgueil, assurément, et vaine vanité.