Confession d’un obsédé de la quête.

Aujourd’hui, samedi, jour de sabbat. Je ne devrais pas écrire …

Hier, je ne suis pas allé à la Mosquée ; aujourd’hui, on ne me verra pas au Temple dont les portes me sont fermées bien que je sois circoncis ; demain, je n’irai pas chanter à l’Église et me recueillir à Notre Dame La Blanche[1]. J’ai brulé ma robe safran par dépit et je suis fâché, il y a déjà longtemps, avec les Témoins de Jéhovah. Qu’importe, je resterai à la maison à lire mon Tao, où j’irai me promener en forêt de Brocéliande dans l’espoir d’y rencontrer Merlin, enfin délivré du sortilège de Viviane.

Car je crois en Dieu. Du moins je crois croire, quelquefois, mais désespérément, au moins chaque fois que le doute en moi reflue, comme une vague reprise par la mer après avoir mouillé la plage et ruiné quelques châteaux de sable que mon âme d’enfant reconstruira ; mais je confesse ne pas avoir l’esprit religieux. Nietzsche écrit que « dans toute religion l’homme religieux est une exception »[2]. Krishnamurti écrit exactement la même chose. Et je n’oublie pas que l’inquisition catholique brula les hommes et les femmes authentiquement religieux (ceux qui se reconnurent dans le mouvement du libre-esprit, (pas seulement les béguins et les béguines, Bruno, tant d’autres – il s’en fallut de si peu pour Eckhart).

Reconnaissons donc que je n’ai pas l’esprit de religion, l’esprit d’orthodoxie comme aurait dit Grenier. Pourtant, j’ai lu la Bible et j’en ai travaillé particulièrement certains textes, pendant peut-être une année, en recevant chez moi, très régulièrement, deux témoins de Jéhovah, prosélytes de leur religion mal comprise ; mais nous nous sommes fâchés – j’avais un esprit trop obtus, trop tortu, un esprit trop contourné. Et je voyais bien qu’on peut faire dire à ces textes tout et son contraire et que personne ne s’en prive ; et de quelle bible parle-t-on ? De la Thora, de la Septante, de la Vulgate rédigée par Saint Jérôme et  retraduite partiellement par Erasme qui, comme tous les intellectuels de son époque, connaissait et le grec et le latin, mais aussi l’hébreu ? Quand Pascal cite l’Ancien Testament dans « Les Pensées », et que je compare le sens qu’il nous livre avec le texte de mes deux bibles – la première aujourd’hui trop annotée, et une plus récente –, je constate que Pascal m’en dit une chose et que j’en comprends une autre. Freud, philosophe juif, vaguement thérapeute et probablement lui-même névrosé psychopathe, nous dit[3] que la religion mosaïque est un syncrétisme, et que ce texte sacré confesse deux dieux, l’un colère, et l’autre d’amour. J’ai bien peur que feuilleter cet ouvrage qui longtemps ne m’a pas quitté, c’est un peu comme de jouer à la roulette : un coup, on tombe sur les rouges, un coup sur les noirs, un coup c’est oui, un coup c’est non. J’ai lu les évangiles avec admiration, et l’apocalypse de Jean pour le fun. Que n’a-t-on inventé une religion du fils de l’homme ? Cette religion existe, comme un corps non constitué, non incarné. Rousseau en parle comme de la religion naturelle[4] (ou comme « la religion de l’Évangile »), et j’imagine que la confession du vicaire savoyard est d’abord la sienne[5]. Mais c’est Paul qui s’est saisi de cette belle opportunité. La religion paulinienne est un scandale. Il suffit de relire les Épitres. Paul fait peur ; et pour prolonger cette remarque, c’est encore Krishnamurti qui me prête ses aphorismes : De Jésus, je dirais « l’amour n’a pas d’objet »[6] ; de Paul, «  Pratiquer l’humilité, c’est cultiver l’orgueil »[7]. Mais je n’ai pas voulu en rester là. J’ai lu Augustin, pas tout évidemment, mais la « Cité de Dieu » et certaines « Confessions », et j’entends bien m’attaquer prochainement aux « Soliloques », au « Manuel » et aux « Méditations », dont j’ai trouvé une vielle collection – datant de 1823 – un peu mangée par les vers. J’ai failli pleurer avec lui, et avec son ami Alypius au récit de sa révélation à la lecture d’un texte de Paul (« tolle lege – Prends, lis ! »). J’y ai reconnu une belle intelligence, une extraordinaire sensibilité, un goût non consommé de la philosophie, mais aussi trop d’énormités, de bondieuseries et de partis-pris que le nazaréen n’aurait pu cautionnés.

Je suis parti courageusement à la recherche des preuves de l’existence de Dieu, en lisant Thomas d’Aquin ; 10 ans pour écrire la somme théologique. Je n’en ai lu qu’une petite partie pour y trouver ce que j’y cherchais, car c’est une littérature qui gave. Je n’en ai rien retenu. Les fameuses preuves sont des fumisteries, presque aussi risible que celles que Descartes propose dans ses méditations philosophiques ; relisez la cinquième… C’est à se tordre, si peu cartésien. J’ai ouvert une traduction française du Coran et j’ai lu, avec attention, application. C’est une compilation mal foutue, peu inspirée, très datée. Chacun y trouvera ce qu’il souhaite y trouver. Cela m’a gavé, aussi, encore… J’ai lu avec plus de plaisir la légende de Gilgamesh, antérieure aux récits des textes vétérotestamentaires : texte fascinant qu’on ne peut ignorer. J’ai lu avec intérêt le livre des morts de l’ancienne Égypte.  Je ne me suis pas encore aventuré dans les Upanishads – même si mon amour pour Schopenhauer m’y invite –, car je souhaite les aborder sérieusement et y consacrer le temps nécessaire ; à la retraite sans doute… Qu’ai-je retenu de tout cela ? Un esprit de mescréance. Pourtant, je crois sans doute en Dieu, quelque part…

Je l’ai d’ailleurs rencontré plusieurs fois, ou plutôt croisé, comme on croise la vague silhouette d’un être qui fuit devant vous, une ombre, un fantôme. Il m’a donné ainsi quelques preuves de son existence, m’a quelquefois sorti la tête de l’eau, quand tout menaçait de s’arrêter. Mais, il n’a jamais souhaité répondre à mes appels. Je pense que s’il existe – et ce « il », bien trop anthropomorphite, est ici déplacé, mais comment faire autrement ? –, il est beaucoup plus loin de l’homme que l’homme peut l’être de la fourmi ou du pou. L’homme n’est pas l’avatar de Dieu, ni le singe ou la girafe, ni Superman. Que nous importe à nous ce que les poux pensent ou vivent, ce qu’ils souffrent, comment ils meurent. Citez-moi quelqu’un qui s’en préoccupe vraiment. On s’en fout, comme Dieu s’en fout. Et c’est normal, humain, et probablement divin. La race humaine disparaitra un jour, et peut-être aura-t-elle eu le temps d’éradiquer les poux, les fourmis, les mescréants, les ironiques, les hétérodoxes, les fous, les ennemis du peuples, les inutiles. Dieu n’est pas concerné. Il y a, rien que dans notre galaxie (la voie lactée), 200 milliards d’étoiles (disons entre 100 et 400), et tellement d’autres galaxies dans l’univers, et certains scientifiques suspectent d’autres univers dans d’autres dimensions sensibles. Et pourtant, face à la vanité des choses, et dans le silence indifférent de Dieu qui ne lui demande rien, l’homme est prêt à étriper son frère pour des raisons religieuses, chrétiens contre musulmans, ou chrétiens catholiques contre chrétiens réformés, ou musulmans sunnites contre chiites, demain, chrétiens catholiques modernistes contre chrétiens catholiques traditionalistes, après-demain traditionalistes canal historique contre traditionalistes du renouveau. D’où nous vient ce gout morbide pour la rhétorique assassine ? La civilisation gréco-latine, dont on ne peut pas dire qu’elle fût pacifiste, ne s’encombrait pas de cela – à l’époque, massacrer une ville en guise de représailles, sans oublier les chiens qui s’y trouvaient et que l’on coupait en deux, était chose courante. Que les dieux existassent ou qu‘ils n’existassent pas importait peu. On les honorait, et chacun devait avoir la religion de sa cité. Ce n’était pas une affaire spirituelle, de sensibilité personnelle, de morale, c’était une affaire civile, une affaire politique. Et cette idée simple et saine perdura longtemps, jusqu’à la révolution française. Voltaire le dit en ces termes « Partout où il y a une société établie, une religion est nécessaire »[8]. Quant à moi, je proposerai bien, non pas un nouveau culte à l’être suprême, mais une religion de la mescréance.



[1]. Je vis dans une commune de moins de 7 000 habitants, mais qui possède quatre chapelles et une église.

[2]. Le gai savoir.

[3]. Moïse ou la religion monothéiste.

[4]. Du contrat social, et ailleurs aussi…

[5]. L’Emile, livre IV.

[6]. La révolution du silence.

[7]. Commentaires sur la vie III. Krishnamurti s’explique en réponse à deux hommes venus le questionner sur « l’action totale ». L’un deux en vient à demander « comment atteindre l’humilité ? » et le philosophe indien répond « Certainement pas avec une méthode ? Pratiquer l’humilité, c’est cultiver l’orgueil ».  Marguerite PORETE, que l’Évêque de Valencienne fait brûler vive en 1310, et qui nous a laissé un texte important « Le miroir des âmes simples et anéanties », développe la même idée. Elle dit que les âmes libérées par l’amour de Dieu « prennent congés de la vertu » ; c’est-à-dire que l’amour délivre des vertus et de la raison. Évidemment ces idées, trop subversives ne pouvaient qu’être condamnées par le Concile de Vienne (1311-1312).

[8]. Traité sur l’intolérance.

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