Ecoféminisme Versus Humanisme

Bien que je n’aime pas les concepts à géométrie variable, à contenu incertain – et j’y reviendrai –, je pourrais revendiquer et défendre l’écoféminisme, contre l’humanisme que je condamne, et qui est en effet, à la fois un spécisme et un machisme. Car la seule façon de justifier cette connexion entre écologie et féminisme, c’est bien en le formulant ainsi : écoféminisme versus humanisme ; et en revenant à la source religieuse de ce dernier.

Je le répète, l’humanisme, c’est l’autre nom du christianisme ou, pour le dire autrement, un christianisme laïque qui a vulgarisé (la Vulgate) le double message vétérotestamentaire, celui de la Genèse. Et il faut bien toujours revenir à la genèse des concepts : Dieu a créé son avatar pour qu’il domine la nature et la femme, établissant cette dernière entre l’homme mâle et la bête ; ou, pour le dire en terme juridique, entre l’homme et le bien meuble – en France, depuis le code Napoléon, l’animal est un « meuble » et faut-il rappeler que la femme fut longtemps considérée comme irresponsable.

Et l’Occident a été ainsi matricé par le judéo-christianisme ; et si le créateur a voulu que l’homme domine et exploite la nature et la femme pour que l’une et l’autre portent les fruits nécessaires à la croissance de son espèce – je n’insisterai pas sur cette façon d’assimiler la terre à la mère –, s’il a permis à l’homme de croquer la vie à pleines dents, le diable en introduisant le ver dans le fruit, a transformé l’homme, exploiteur et jouisseur, en prédateur.

S’agissant de son rapport à la nature et aux femmes, l’homme occidental a donc effectivement un certain problème que je qualifierai d’idéologique, de « religieux ». Mais l’Islam qui est une branche du judéo-christianisme (même tronc commun) a la même difficulté ; quant à l’hindouisme, au bouddhisme, ce sont aussi des religions très patriarcales. On ne peut néanmoins exonérer le christianisme (surtout catholique) de toute responsabilité quant au sort fait aux femmes ou à la nature – il y a quelques années, j’avais d’ailleurs chroniqué ici l’encyclique papale « Laudato-si » qui, sur le plan de l’environnement, m’avait proprement sidéré. Et malgré mon immense admiration pour Bérénice Levet, femme lumineuse, je ne peux souscrire à sa démonstration (dans « L’écologie ou l’ivresse de la table rase ») visant à dédouaner le christianisme de toute responsabilité dans les désordres écologiques et le mépris pour les espèces animales. Elle nous explique que les évangiles démontrent assez la proximité de Jésus avec la nature. Sauf que le Jésus dont on nous parle est un personnage préchrétien, qui vit dans un monde antique si l’on préfère, et qui est plus proche intellectuellement d’Epictète ou de Platon que d’Érasme. Et faut-il rappeler que Jésus n’a pu être chrétien, cette religion ayant été inventée par un autre que lui, et s’étant vraiment développée plus de deux siècles après sa mort – À Nicée, en 325 de notre ère, cette religion n’avait d’ailleurs même pas fini de clarifier sa doctrine. Et Jésus s’il avait vécu assez longtemps ne serait pas plus devenu chrétien que Marx n’est devenu marxiste.

Quant à la maltraitance animale, j’en reste à cette remarque de Nietzsche : « D’où vient que le christianisme a répandu en Europe la cruauté envers les animaux, malgré sa religion de la pitié ? Parce qu’il est également, et plus encore, une religion de la cruauté envers les hommes ».

Prolongeons mon dialogue avec Bérénice Levet et sur l’écologie, d’abord, et sur le féminisme ensuite – quitte à passer par Jonas.

Non spéciste, sans être antispéciste, féministe sans être sexiste, non raciste – je le pense – sans être racialiste, non croyant sans être athée, je suis écologiste et combats ce que je nomme avec d’autres, « écologisme » et en qui ses laudateurs français communiquent au sein d’EELV.

Un peu à la façon d’un Élysée Reclus qui reste, sur ce plan, ma référence ultime, je suis écologiste, car non-spécisme. Mais je ne suis pas un antispéciste, j’insiste. Et rappelons que si le spéciste croit à la supériorité morale de l’humain – seul être créé à l’image et à la ressemblance de son créateur –, l’antispéciste défend l’Idée que la nature aurait des droits. C’est une position que je dénonce. Le non spéciste que je suis défend l’opinion que l’homme fait partie de la nature, mais que les espèces humaines et non humaines ne s’inscrivent pas dans une hiérarchie morale. Pourtant, pour d’autres raisons, je pense que l’homme a des devoirs envers la nature. Et pour le comprendre, peut-être faut-il entendre ce que Hans Jonas nous dit du « Principe Responsabilité ». En synthèse, c’est parce que l’homme agit en conscience qu’il est pleinement responsable de ses actes, des artefacts qu’il invente, du monde qu’il créé. Et aujourd’hui « La frontière entre « État » (polis) et « nature » a été abolie : la citée des hommes, jadis une enclave à l’intérieur du monde non humain, se répand sur la totalité de la nature terrestre et usurpe sa place. La différence de l’artificiel et du naturel a disparu, le naturel a été englouti par la sphère de l’artificiel ; et en même temps l’artefact total, les œuvres de l’homme devenues monde, en agissant sur lui-même et par lui-même, engendrent une nouvelle espèce de « nature », c’est-à-dire une nécessité dynamique propre, à laquelle la liberté humaine se trouve confrontée en un sens entièrement nouveau ».

En tant qu’écologiste non encarté, je dénonce donc un écologisme, forme politique de l’écologie, comme Bérénice Levet le fait avec beaucoup de talent : mondialiste, bureaucratique, totalitaire, fanatique, converti au wokisme ; et sa prétention à reconstruire l’homme.

Quant au féminisme, et je veux, là encore, montrer mon attachement à Bérénice Levet, notamment aux idées qu’elle développe dans un autre de ses ouvrages : « La théorie du genre ou le monde rêvé des anges ». Pas plus que je ne crois à la supériorité morale, ou ontologique si l’on préfère, de l’humain sur l’animal, je n’admets l’idée d’une hiérarchie entre l’homme et la femme, ou ne souscris à cette idée que l’homme puisse asservir la femme, la subjuguer. Et si je défends l’égalité de leurs droits, c’est sans vouloir effacer leurs différences. Au contraire, je crois à leur complémentarité, donc à l’irréductibilité de leurs différences naturelles. Et ce que j’aime chez une femme, c’est bien cette altérité, qu’elle ne soit pas un homme ; et puisse, pour cette simple raison, me fasciner et m’échapper. Et c’est pourquoi je dénonce toute discrimination entre les sexes qui ne serait pas moralement ou politiquement neutre, qui serait donc négative ou positive.

Et je pourrai conclure aujourd’hui ce propos ainsi. Je rêve d’un monde qui ne serait pas dominé par les hommes ; j’en détesterais un autre dominé par les femmes, ou, pire encore, où il n’y aurait plus de différences entre les hommes et les femmes. Et c’est cet équilibre qu’il convient de trouver : accepter le donné naturel et ses corollaires, qu’il y ait donc des femmes et des hommes, des individus de différentes races, ethnie ou religion, des nations culturellement marquées par une histoire, une géographie, des traditions, des mœurs. Respecter tout cela, le vivre sans ostentation ni arrogance, dans une forme de laïcité, et construire à partir de ce donné, des conditions de vie acceptables et, si possible, harmonieuses. Et tout cela sans honte. Personnellement, je suis un occidental, mâle, blanc de peau, français de souche – oui, quand on peut prouver que ses parents vivaient sur ce sol, en Charentes, il y a plus de cinq siècles, peut-être plus de mille ans, cela fait sens – non croyant, mais de culture chrétienne. C’est mon identité, une identité que je n’ai de cesse d’essayer de dépasser ; c’est ma filiation que j’assume comme un legs. Mais si je défends une forme très élargie de laïcité, c’est que je crois que nous devons aujourd’hui plus encore qu’hier, mettre en avant ce qui nous rapproche, respecter les donnés naturels, et rendre le moins visible possible ce qui nous sépare culturellement. Sachant que ce qui protège les minorités, c’est d’abord le respect qui leur est dû, ensuite l’égalité de droit et le refus de la ségrégation, mais plus encore les libertés individuelles qui doivent être garanties à chacun. En regard, elles doivent respecter dans l’espace public, les mœurs, les coutumes de la société, de la nation dans laquelle elles vivent et qu’elles contribueront naturellement à faire évoluer. Une nation, c’est une histoire, un patrimoine, une culture. On peut se sentir différent, comme un enfant dans une famille ; on doit néanmoins accepter ce que l’histoire a fait, ce que l’histoire nous a fait, s’efforcer de l’aimer (amor fati), travailler à l’améliorer.

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