Écologie coercitive vs écologie libertaire

Si je reste fidèle à la philosophie, par beau et mauvais temps, c’est que c’est d’abord une éthique de la pensée et qu’étant peu rigoureux et un peu paresseux, sans doute trop faible de caractère, j’ai besoin de discipliner ma vie, donc mes pensées. Car la pensée, une fois formulée dans l’intimité de l’être, s’exprime par le dire et par le faire et façonne nos vies. L’optique est donc ici essentielle : voir, évaluer, penser. La pensée n’est d’ailleurs réellement « pensée » qu’une fois dite ou mise en action, verbalisée et incarnée. De ce fait, la philosophie, qui n’est ni l’histoire scientifique des idées, ni une forgerie de concepts considérée comme fin en soi, ni une glose sans fin sur la philosophie des autres, est une pensée morale en acte ; et de ce fait, doit appréhender le tout, et souvent par son infinité de petits bouts : les questions techniques, économiques, sociales, politiques, écologiques, existentielles, épistémologiques, etc. – comme si toutes ces classifications si réductrices avaient quelque sens.

 

Je m’exprime peu sur l’écologie, bien que je croie que les deux sujets essentiels dont l’hypothétique résolution conditionne la survie de l’humanité sont, d’une part celui des libertés individuelles, d’autre part celui de l’environnement – liberté et environnement, même massacre, même combat ; car l’une et l’autre sont systématiquement détruits par l’attelage fatal du Marché et de la Bureaucratie étatique ; et cette destruction systémique qui caractérise notre modernité est bien celle de l’humanité, de ses conditions de survie. Et croire que l’on va sauver ce qu’il nous reste de libertés en renonçant à protéger l’environnement, ou que la sauvegarde de la planète passe par un renoncement définitif aux libertés individuelles constituent la même folie.

Chaque pas, chaque progrès dans le domaine de la sauvegarde ou de la restauration de l’environnement ne peut donc s’envisager qu’en s’accompagnant de progrès, de gains de libertés. Sinon, c’est un piège, un projet non « finançable » psychologiquement. Et c’est pourquoi je pense que l’écologie ne saurait être une « utopie coercitive » ou « punitive », et doit, tout au contraire, être un « projet de société libertaire ».

Coercitive, elle ne peut l’être sauf à ruiner le peu de libertés qu’il nous reste. Punitive, ce serait trop injuste de punir ceux-là mêmes que la crise environnementale touche le plus et qui n’ont jamais choisi ce modèle de développement qui bousille et la planète et leur vie. Et de plus, on ne peut énoncer que les pollueurs doivent être les payeurs, puis exonérer le Système qui a ruiné la terre et préférer faire payer cette masse de gens qu’on a déresponsabilisée et qu’on maintient subordonnée au Système. Et c’est pourquoi, si tout vrai démocrate doit dénoncer nos « démocraties » parlementaires, si tout vrai libéral doit choisir la liberté des gens contre celle du Marché, du moins chaque fois que leurs intérêts divergent, de même, tout écologiste véritable doit dénoncer l’écologie politique, partisane, utopiste et liberticide ; cette écologie idéologique néocommuniste qui souhaite instaurer non pas une dictature du prolétariat, mais une dictature de l’écologie, c’est-à-dire, au bout du compte, comme dans le schéma soviétique, une conception étatiste et collectiviste du bien commun qui inévitablement conduira à la dictature d’un parti « écologiste » se confondant avec un État totalisant.

 

Oui, si je me déclare de gauche, démocrate et écologiste, je dénonce ce qu’on nomme l’écologie politique, en ce qu’elle est totalitaire, héritière de cette gauche néocommuniste qui, en Europe comme aux États-Unis, a gagné la guerre froide idéologique et qui renaît aujourd’hui sous forme de culture woke. Et il ne faut pas s’étonner que cette forme d’écologie soit aussi impliquée dans la promotion des mouvements LGBT ou d’un certain islamo gauchisme. Cette gauche-là, socialiste au sens que l’on pouvait donner à ce terme en 1864 (à l’époque de l’AIT, la première internationale) ; mouvement qui connut dès 1868, cette rupture historique entre la voie dirigiste et étatique proposée par Marx et celle, antiautoritaire et anti étatique proposée par Bakounine ; cette gauche qui devint léniniste puis stalinienne, avant de s’étatiser et de s’embourgeoiser ; cette gauche qui abandonna les classes populaires et la paysannerie ; cette gauche qui est celle qui a accepté Maastricht et dont EELV est une composante, n’est pas la mienne. Ma gauche étant clairement celle défendue historiquement par Bakounine, Kropotkine, Reclus (un écologiste avant l’heure), etc., une gauche anti-autoritariste, antiétatique, libertaire qui ne peut se satisfaire du projet européen et qui n’adhère pas à une conception étatiste et collectiviste du bien commun. Et, même en prenant quelques distances, je n’ai jamais renié cette famille et ai toujours, comme homme de gauche, combattu le fascisme, le communisme, le socialisme bobo, et aujourd’hui ce néocommunisme woke, dont l’écologie politique est une composante.

Cette écologie est donc dangereuse. En premier lieu, c’est une idéologie totalitaire et totalisante qui veut tout englober, tout normer, tout règlementer : la vie (où et comment nous devons habiter, consommer, nous chauffer, nous laver), les mœurs (comment nous devons nous distraire, aimer, nous accoupler, rêver – la maire EELV de Poitiers déclare que « L’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfant » –, les pensées (politiquement correctes) ; mais tout cela, sans le dire vraiment ; et en acceptant une surveillance de masse. En fait, cette écologie souhaite produire des humains, comme le Marché produit des fruits, et surtout des légumes : tous identiques, aux formes douces et colorées, calibrées et sans taches, pouvant trouver leur place dans des cagettes à bon marché fabriquées pour les recevoir, mais insipides, sans défauts, mais sans saveurs et sans identité propre.

En second lieu, c’est une utopie de bourgeois urbains, majoritairement spéciste, qui prétend défendre l’environnement et la biodiversité, mais nie la vie et la singularité des individus. Enfin, elle prétend sauver la planète et l’humanité, en sacrifiant l’individu et ses libertés, et sans changer de système de développement ou de pensée : l’absence de démocratie ne les interpelle pas ; la dictature de la bureaucratie leur est supportable ; le système de production/consommation ne les gêne que dans la mesure où il dérègle le climat. Enfin, elle est prête à consentir d’énormes efforts pour régler le problème climatique à condition que ce soit les gens, donc nécessairement les plus pauvres qui paient. L’idée étant de créer un nouveau business, relancer la machine économique (machine infernale), en la repeignant en vert. Et tous ces efforts d’adaptation d’un système qui a préféré l’optimisation des profits à court terme aux investissements de long terme, et qui veut maintenir sa rentabilité en s’écologisant, devraient être payer par les moins riches qui seront les seuls à faire des efforts quand l’industrie pourra continuer à gaspiller et les riches, payer des taxes qu’ils peuvent payer. Qu’on ne s’y trompe pas, cette écologie ne veut pas casser l’attelage fatal de la bureaucratie étatique et du Marché, elle veut simplement subvertir l’état et devenir l’interlocutrice du Marché. Et, pour avoir faire trop long, je ne parlerai pas du scandale de l’éolien qui m’aurait permis de l’illustrer.

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