Etiquetage politique.

C’est à l’heure matutinale où je trempe mon pain beurré-salé dans un café noir, que j’ai découvert dans mon quotidien papier une information qui m’a sidérée, et qui m’a gâché cet instant auroral ou l’activité de la journée ne nous a pas déjà entrainé dans son flux erratique, et où l’on rêve encore un instant de pouvoir échapper au stress de la vie qu’on nous fait – et qui n’est qu’une survie laborieuse et dérisoire. J’aurais pu m’étrangler ; et ce qui m’étonne encore, c’est que cette information n’a pas suscité de réactions à la mesure de la saloperie qu’elle rapporte.  Pourtant, une recherche sur le net permet d’y accéder avec toute l’immédiateté qui caractérise ce média : le Ministère de l’Intérieur oblige les listes de candidats constituées pour les élections municipales dans les communes de plus de mille habitants à choisir une étiquette partisane dans une liste proposée de seize partis, mouvements, ou regroupements. Et dans l’hypothèse où une liste ne voudrait pas « rentrer » dans une des cases formatée par les fonctionnaires de l’administration, ceux-ci se chargeront d’encadrer, ou d’encarter les impétrant-édiles.  Et je veux dénoncer cette atteinte grave à l’essence de la démocratie, et cette nouvelle tentative de conserver aux partis politiques leur mainmise sur le pouvoir. C’est une petite saloperie, une de plus.

Je l’ai souvent évoqué ici, et quelquefois sur un ton trop passionné pour ne pas être excessif, voire outrancier. Mais je pense que la crise que nous connaissons aujourd’hui en Europe est d’abord une crise intellectuelle, politique, donc morale ; crise ancienne et dont l’avènement avait déjà été pressentie dès la fin du XIXe siècle, par exemple et avec beaucoup d’acuité par Nietzsche – il faut relire ce qu’il disait de la démocratie –, mais aussi un peu plus tard par Hannah Arendt – pour ne rendre ici hommage qu’à ces deux philosophes. Arendt, mieux que d’autres, avait pointé cet écueil de la démocratie représentative, expliquant que la démocratie montre ses limites quand les élus de la nation cessent de se comporter comme les représentants de leurs électeurs pour devenir les mandataires de leurs partis d’appartenance.

On ne règlera aucun de nos problèmes économiques sans ressourcer nos démocraties. Il convient donc de revenir aux fondamentaux et de les rappeler avec force : la démocratie ne peut avoir d’autre but premier que la liberté des citoyens ; l’existence de partis politiques forts est un obstacle à l’expression de la volonté populaire[1]. Citons Arendt : « Les partis, en raison du monopole de la désignation des candidats qui est le leur, ne peuvent être considérés comme des organes du Peuple, mais, au contraire, constituent un instrument très efficace à travers lequel on rogne et on domine le pouvoir populaire »[2], et revenons à cette information qui ne passe pas. Ce qui se démasque dans cette décision gouvernementale, c’est une claire volonté de s’opposer à des listes qui ne seraient pas encartées. Le gouvernement, et plus largement l’oligarchie politicienne – par ailleurs politicarde – ne peut imaginer que l’on fasse de la politique sans être de droite ou de gauche, et sans se reconnaitre dans ces archétypes désuets ; il ne peut accepter qu’on veuille être pleinement citoyen sans être affilié ici, encarté là , soumis à un parti, donc à un homme, discipliné par un maître à penser ; il s’effraye que des hommes et des femmes de bonne volonté, les uns engagés à gauche et les autres défendant des idées de droite, puissent se rencontrer, s’entendre sur des enjeux locaux, se retrouver sur l’essentiel à mettre en œuvre sur une mandature, et travailler ensemble, au-delà des clivages traditionnels. Ils veulent tout étreindre, tenir, étouffer, instrumentaliser, tuer la politique – mais garder le pouvoir.

Peut-on espérer qu’un jour les citoyens se réveillent et refusent ce système qui n’a d’autre volonté que de les transformer en animaux de rente ?



[1]. Relire « Du contrat social ».

[2]. Dans  « On revolution ».

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