Humeur

Je ne suis pas toujours aussi assidu que je le devrais à ce blog, mais mon travail d’écriture, ininterrompu, peut parfois, et sur des périodes assez longues, me retenir ailleurs ; me tenir à autre chose, un livre par exemple qui paraitra sans doute un jour. Mais je continue à vivre sous la même discipline simple et salutaire, une exigence spirituelle qui me permet d’être ce que je suis et de répondre à ma conformation psychologique : lire et écrire. Et ces deux disciplines participent de la même éthique et d’un reste de plaisir d’être encore. Et je voudrais pouvoir tout céder à ce penchant, sans autre morale, car je sais qu’il s’y joue aussi quelque chose d’essentiel – et d’aussi simple qu’un équilibre qu’il me faut à tout prix tenir, au risque de tomber et de ne pas me relever.

Nécessité autant que plaisir, et qui me conduisent à me ressourcer dans la nature et les idées, au risque de m’y enfermer et de me couper du bourdonnement de la vie. Car il faut bien vivre aussi, assumer des responsabilités professionnelles, « être dans la vie », participer au grand bordel, consentir aux exigences sociétales, et s’y perdre, s’y abimer, s’y laisser engluer et salir comme un oiseau de mer dans le goudron qui surnage à la surface des eaux ; et puis fuir pour se retrouver enfin, un peu, dans une forme de solitude habitée par quelques visages. Nietzsche décrit bien ce processus « Dans la foule, je vis comme la foule et ne pense pas selon mon être ; au bout d’un certain temps, j’ai toujours l’impression que l’on veut m’exiler de moi et me ravir mon âme – et je deviens méchant avec tout le monde, et je redoute tout le monde. Le désert m’est alors nécessaire pour redevenir bon ». Et sans doute aussi pour penser à nouveau.

Je ne vis pas en ville, c’est un choix. Je ne suis ni branché ni vraiment connecté. Je regarde la mode comme on regarde passer les trains, parfois amusé, toujours consterné, et si j’aime la communication, je déteste la « com » et ses prêtres sans âme, sans cerveau, sans autre éthique que de nous vendre ce dont nous n’avons nul besoin, quitte à mentir sur tout. Nos parents appelaient cela de la réclame. C’est devenu une simple escroquerie. Aujourd’hui, elle est partout, formellement puérile et débilitante, et fondamentalement mensongère : dans ma boite aux lettres, dans mon poste, sur les murs de ma ville, dans les discours politiques, dans celui de mon banquier. Elle est devenue pour beaucoup un mode de vie, une culture, celle du mensonge : croire et faire croire que des vessies sont des lanternes, qu’un regrès est un progrès, une politique liberticide du libéralisme, un ajustement une réforme, un conformisme bourgeois un progressisme, des vieilles lunes des idées neuves. Macron, ce nouveau Giscard, est de ce point de vue l’image la plus moderne dont on pouvait rêver : tout est vieux chez lui, sauf l‘usage toujours plus abouti de la com.

J’aime lire, car lire c’est converser. Et je puise beaucoup dans cette conversation solitaire, ininterrompue ; par exemple pour penser la vie, ou la politique. Non pas que j’ai besoin que l’on m’apporte mes idées, mais j’ai besoin de confronter ces idées, ces opinions, ces sentiments qui m’habitent, à plus intelligent que moi. Si elles tiennent le choc, c’est sans doute qu’elles ont quelque épaisseur.

Et je vois bien que deux choses me passionnent, les questions morales et la politique ; et tout ce que j’écris tiendrait dans trois sommes titrées simplement par ces formules : Tome 1 : Des corps ; Tome 2 : De la morale ; Tome 3 : De la politique ; une façon de poursuivre un dialogue avec Spinoza, Nietzsche et Machiavel, et de parler toujours de la même chose : la liberté. Car je suis un libéral, c’est-à-dire que je m’inscris en faux contre ce que l’on appelle, au plan économique, libéralisme. Et qui n’est pas plus du libéralisme que la com est de la communication, puisqu’il s’agit en l’occurrence de donner toute liberté au Marché d’asservir les gens, alors que je défends, moi, la liberté des gens, pas celle du Marché qui les broie.

Parlons donc un peu politique, même si c’est pour redire toujours un peu la même chose. Le peuple (et j’en suis) n’est ni prêt à accepter une véritable monarchie ni prêt à assumer la démocratie. En fait, je crois qu’il est écartelé entre deux aspirations contraires, entre son affect et sa raison. Côté affectif, il reste très marqué par son enfance, et ne peut faire son deuil d’une époque de sa vie quand il vivait sous la tutelle bienveillante de ses parents. Il reste nostalgique de cet état puéril, déresponsabilisé, mais très agréable aussi. Et il peut s’attacher à un monarque, un empereur ou un président de la république, poussé par ce sentiment inconscient : comme les enfants s’attachent à leurs parents, les chiens à leur maître, les moutons au berger qui les vendra, ou en fera son ordinaire. Et je fais l’hypothèse que, si les continentaux restent attachés à un père, un roi ; dans les iles, on serait plus enclin à cultiver un attachement à la mère (sans aller sur le terrain de Lacan) et donc à préférer une reine.

Et puis la raison qui, venant au secours du besoin de liberté, nous pousse vers la démocratie. Raisonnablement qui peut défendre la monarchie et douter que la démocratie soit le meilleur des systèmes ? Et qui peut accepter sans fortes réticences l’aristocratie quand on voit comment elle contient tous les ferments qui la feront tourner en oligarchie, voire en ploutocratie, voire, comme c’est le cas en occident, en médiocratie bureaucratique.

On peut regretter que le peuple ne soit jamais assez vertueux – et par ailleurs personne ne l’y aide – pour se gouverner démocratiquement, et c’est pourquoi nous continuerons longtemps à vivre dans des systèmes, ou les trois régimes (monarchie, aristocratie, démocratie) coexistent en un, c’est ce que l’on appelle le parlementarisme. Mais c’était déjà un peu le cas dans la France de l’ancien régime – sa dimension démocratique était réelle. C’est aujourd’hui encore le cas dans notre monarchie présidentielle. Tout ne serait alors qu’une question de dosage ? Peut-être ! Et de séparation des ordres, d’une part, et des pouvoirs, d’autre part. Travailler à séparer le laïc et le sacré, ce qui conduit à désacraliser la République, ses institutions et ses hommes ; mais aussi le Peuple. Travailler à mieux comprendre de quelle nature sont les pouvoirs qui se disputent le gouvernement des hommes. Et parmi les pouvoirs proprement politiques, séparer les fonctions : législative, exécutive, judiciaire. Et tout articuler en fonction d’une fin qui serait le développement des libertés individuelles. Ce qui ne pourra se faire que si on redonne du pouvoir aux gens, beaucoup de pouvoir, pour rééquilibrer un peu les choses.

Sur la séparation des ordres, je plaide pour une laïcité la plus pure possible, radicale, et c’est sans doute ce qui me distingue tant, par exemple, de Régis Debray que j’admire par ailleurs. Je milite pour une laïcité quasi religieuse, je veux dire pour une sacralisation de la laïcité, et accepte volontiers que l’on me traite d’intégriste de la laïcité.

Sur la démocratie, j’en suis venu à penser qu’il conviendrait de distinguer citoyenneté et nationalité. Car on ne peut imaginer de démocratie digne de ce nom qu’entre des hommes et des femmes vertueux, pourvus d’une conscience politique et mus par un idéal de liberté. C’est pourquoi la liberté ne peut se concevoir qu’entre égaux – idée chère à Arendt –, entre citoyens prêts à assumer leurs devoirs politiques. La démocratie suppose donc de distinguer des nationaux qui sont protégés par des droits, et des citoyens qui s’engagent activement dans le gouvernement de la nation et en assument les devoirs. Je vois donc mal, en l’état perverti de nos sociétés, l’avènement d’une démocratie populaire conforme à mes vœux et dont les gens ne veulent pas. Car, dans leur grande majorité, les gens ne veulent pas assumer de devoirs. Ils sont prêts, sans honte particulière, à se soumettre, et le font : complaisance, soumission et conformisme. Pourvu qu’ils puissent se vautrer dans une société de consommation et conserver des droits qui ne leur ont rien couté et pour lesquels ils ne se sont jamais battus. Pour la minorité qui le souhaite, on pourrait imaginer une démocratie qui n’aurait évidemment rien à voir avec une aristocratie réservant à une forme de noblesse les rênes du pouvoir, et au peuple une situation de quasi-servilité. Et ce système serait évidemment ouvert, libre, car toute personne souhaitant s’engager, assumer ses devoirs de citoyen serait accueillie fraternellement (et donc sororitalement)

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