Jamais loin

Il y a des rencontres qui comptent, qui structurent une vie spirituelle et forment le substrat de nos pensées, et vivre c’est faire l’expérience de ces rencontres. Le reste n’est que survie, si je peux le dire avec les mots de Raoul Waneigem.

Pour moi, par exemple, quelques villes ont compté et je m’y suis trouvé bien, tout de suite, en relation ; comme si mon histoire pouvait y renouer un lien très ancien : vague réminiscence ou remembrance plus mystérieuse…

Si l’on admet que le cerveau pense, évidemment, pourquoi ne pas admettre que la matière, toute la matière, qu’elle soit biologique ou non, celle des corps et celle des pierres, puisse pareillement se souvenir ? Dire que j’ai aimé ces villes de toute mon âme – La Rochelle, Tours, Strasbourg – est une image, facile et laide, évidemment fausse : je les ai aimées avec mon corps, ce corps que je déploie tous les matins, qui me pèse un peu, mais me tient encore.

Pourquoi parler des villes ? Pour éviter d’évoquer ces gens qui ont compté bien plus encore, et dont je garde précieusement le souvenir du visage et de la voix quelque part dans l’organisation atomique de ce qui me constitue.

Tout ce que je pourrais en dire serait faux. L’attachement est un sentiment indicible dans un mode saturé de mots, réduit par des interdits moraux à des jeux de formes vidées de toute humanité, à des catégories. Je hais ce monde réifié où tout ce qui compte doit l’être, compté, pris en compte par un banquier ou un fonctionnaire ; et jugé par un prêtre. Et la philosophie, pas plus que les sciences, ne permet, malgré ses inventions conceptuelles, ses taxinomies savantes, de rendre compte de la nature des choses, pour peu qu’elles procèdent des sentiments.

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