La tentation du silence ou le choix du dialogue.

L’homme est un animal social, et parler de communautarisme serait peut-être plus dans l’air du temps. Il a donc besoin pour vivre d’un environnement adapté à sa nature : de l’air propre avec une part d’oxygène adaptée à son métabolisme, de l’eau en abondance car il en est constitué à forte proportion, de la lumière pour que son corps synthétise les vitamines nécessaires à sa santé, une nourriture suffisamment protéinée, des relations affectives avec d’autres humains, un environnement culturel qu’il puisse faire sien, des habitudes de vie qui le sécurisent psychologiquement. Tout cela est à mettre sur le même plan. Evidemment, on peut survivre dans une atmosphère polluée, manquer de vitamines ou de soleil, vivre isolé, mais ce n’est que survivre, ou mal vivre, car ces carences se payent. Les relations sociales sont donc nécessaires à l’épanouissement de l’individu, mais plus simplement elles constituent le cadre naturel de l’existence de l’homme. Et si la psychologie humaine a atteint ce niveau de richesse et de complexité c’est évidemment grâce au langage qui permet le partage du savoir et sublime la communion des sentiments ; et j’aurais donc pu débuter cet article en indexant la Politique d’Aristote, pour déclarer que « l’homme est par nature un animal politique ».

Tout cela est d’évidence et ne méritait pas d’être rappelé si ce n’était pour introduire une réflexion sur le dialogue, et précisément le questionnement. Car toute discussion est rhétorique ou dialectique, et si, comme l’aurait dit Napoléon, « Il n’existe qu’une seule figure de rhétorique, la répétition »,  c’est par contre la maïeutique qui est souvent la meilleure façon de faire avancer une dialectique et d’y enfermer son interlocuteur. Encore faut-il qu’il accepte de répondre aux questions qui lui sont posées.

Car il en est ainsi des questions les plus simples, qu’on se les pose à soi ou que l’on interroge son interlocuteur. Accepter de répondre à ces questions, si simples soient-elles – et que la réponse soit positive ou non ne change ici rien à l’affaire – c’est consentir à la question. Alors que cette question porte nécessairement et logiquement en elle, au moins des présupposés qu’il convient d’accepter ; au pire elle enferme l’interlocuteur dans des réponses prémâchées qu’il est invité à accepter ou à choisir. Car ici la forme induit le fond, au moins les fonds possibles. Ainsi, si l’on me demande si je suis croyant, je serais tenté de déclarer au moins par jeu, qu’effectivement je suis croyant puisque je crois que le dieu de la bible n’existe pas, en rajoutant que j’admets volontiers que cette opinion n’est qu’une croyance car elle procède de ma foi matérialiste. Pareillement, quand Spinoza répond à Blyenbergh sur la question du mal, et plus précisément sur la responsabilité divine en la matière (vieille question métaphysique), on voit bien – ou du moins on le lit – que les questions postées présupposent une certaine idée de Dieu et que les réponses données en retour en présupposent une tout autre. On pourrait ici parler simplement de dialogue de sourds, ou plus justement de soliloques. Et il en est ainsi de tout dialogue ou de toute relation qui suppose une relative intimité des ego en relation, basée sur une communion formelle, une communauté de vues, faute de quoi, ils conduisent à la confrontation de deux monologues.

Et c’est pourquoi, pour peu que l’on accède au prix d’un long travail sur soi, à une forme de détachement de l’air du temps – dont on pourrait penser aussi qu’il procède d’une simple lassitude, du corps et de l‘âme –, insensibilité aux idées qui font la mode, idées convenues, fausses évidences, vérités douteuses, valeurs d’artifices, tout dialogue devient difficile, pesant, stérile. C’est un peu, pour reprendre cet idiotisme, comme les noces de la carpe et du lapin. Que peuvent-ils avoir à se dire ? Je repense à cette chanson comique dont les paroles ne me reviennent pas en mémoire « Quand un lapin rencontre un lapin, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Des histoires de lapin ! » Forcément. Mais quand on a l’impression d’être une carpe dans un monde de lapins, comment trouver encore la force ou plus simplement les moyens de communiquer, de répondre à des questions auxquelles on ne peut simplement pas consentir. Comment trouver encore le gout de sortir de sa bulle. Heureusement, il reste la nature, c’est-à-dire le silence et la musique ; et peut-être l’écriture qui est une parole silencieuse, un dialogue avec soi-même sur le mode de Marc Aurèle[1].



[1]. J’admets mon côté « citateur précoce », mais chaque citation est une invite à y aller voir (ici les pensées pour moi-même de Marc Aurèle que l’on devrait toujours garder à portée de main). Et si j’utilise parfois quelques mots difficiles, ou des renvois peu explicites, ce n’est pas toujours pour « faire l’intéressant », c’est aussi, seconde invite, pour que l’on aille y voir de plus près ; internet est dans cette perspective d’une grande facilité, même s’il faut se méfier de ses erreurs.

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