L’amour de la sagesse

Disons-le sans détour, je n’ai que faire du bonheur et ne crois pas à la sagesse.

Prétendant maladroit à l’exercice de la vie philosophique – ce que je nomme « vivre sur une ligne de crête » –, ce n’est pas la sagesse qui m’importe, mais la vérité ; et sur ce point je pourrais adapter la définition de Comte-Sponville qui définit ainsi sa discipline : « C’est une pratique théorique (mais non scientifique), qui a le tout pour objet, la raison pour moyen, et la sagesse pour but »[1] ; l’adapter pour peu que je puisse changer sagesse par vérité. Car je pense que prétendre à la sagesse est « trop », comme on dit maintenant, et je préfère ici la vanité (de la prétention à la vérité), à une forme de défaut d’humilité. Car je ne suis pas assez naïf pour croire à la vérité, ou je prends trop la mesure de l’Apeiron[2] cosmologique ; et, à défaut de l’approcher significativement, j’essaie au moins de débusquer les illusions, critiquer les fausses évidences, dénoncer les fictions instrumentales, ce que Stirner, comme Guyau ou Leopardi, mais aussi comme Proudhon appelait des fantômes, ou des fantômes spirituels. La philosophie n’est pas un apprentissage de la sagesse, et si elle a quelques vertus thérapeutiques, si elle peut nous permettre de moins souffrir, ce n’est que d’une manière adventice, accessoire, car je ne pense pas, comme le déclarait Cicéron, qu’elle nous apprenne à mourir[3]. Tout au plus la philosophie peut-elle participer d’une saine éducation, et pourrait peut-être constituer précisément l’essence de l’éducation ; l’éducation n’étant comme l’écrit B. Edelman « qu’un élevage pour la mort »[4]. Pensée tragique ? Non, mélancolique…

Et s’agissant du bonheur, je garde à l’esprit cette citation d’Einstein qui disait que le « bonheur est un idéal de pourceau ». Est-ce moi qui y vois une référence claire au pourceau d’Épicure ? Qu‘importe ! Ce n’est pas le bonheur que je cherche, même si je fuis le malheur, c’est-à-dire la douleur physique et le stress psychologique, la peur, le ressentiment, etc. C’est bien la jubilation que je recherche, que je cultive sur la terre aride de mon jardin secret, sans dédaigner la jouissance quand elle s’offre comme possible accessible, cadeau de la providence, dans le partage ou la solitude : « Jouir et faire jouir »[5]. Jubiler, c’est au fond se sentir libre, c’est-à-dire expérimenter en acte une liberté qui, comme Spinoza la définit dans « l’éthique », est notre capacité à aller au bout de ce que l’on peut, car la liberté, c’est la puissance qui n’est pas coupée de ce qu’elle peut[6].

Il n’y a pas de volonté sans désir, et toute volonté est volonté de jouir, ou d’esquiver la douleur. L’altruisme est aussi un égoïsme.

[1]. « C’est chose tendre que la vie. »

[2]. C’est Anaximandre qui utilise cette notion pour définir une forme de substrat informe duquel naissent les êtres. L’apeiron signifie donc à la fois l’ignorance et l’infini.

[3]. Montaigne « Cicéron dit que « Philosopher ce n’est autre chose que s’apprêter à la mort » ».

[4]. B. Edelman : Nietzsche un continent perdu.

[5]. Chamfort : « Jouir et fait jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne ».

[6]. Spinoza : « Seule doit être dite libre une cause qui existe par la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir ».

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