L’appel d’Eton Musk

Il y a deux jours, je lisais sur le site d’un journal économique français : « ChatGPT et l’IA menacent 300 millions d’emplois dans le monde, selon Goldman Sachs ».

Et je me rends compte que j’ai une innovation de retard et que je ne connaissais pas la technologie ChatGPT. C’est, si je comprends bien, un « prototype d’agent conversationnel », autrement dit un modèle de langage utilisant l’Intelligence Artificielle et capable d’apprentissage automatique. Il peut donc comprendre les contextes et les intentions de ses interlocuteurs et fournir, en temps réel, des réponses précises et pertinentes. C’est donc, si je comprends toujours ce que je lis, une « intelligence » capable de remplacer l’humain de manière pertinente et crédible dans une « relation conversationnelle », en apprenant de son interlocuteur pour mieux lui répondre, pour interagir avec lui de manière plus humaine. C’est donc de l’IA adaptée à la relation « humaine » et capable de remplacer les agents humains dans les relations quotidiennes entre les organisations et leurs usagers ; que ces organisations soient des entreprises ou des services publics.

Et Goldman Sachs dit deux choses. D’abord que l’I.A. nous prépare ainsi un méga plan social qui mettra au chômage plusieurs centaines de millions de « fonctionnaires » dans le monde. J’entends ici le terme de fonctionnaire au sens large, qu’ils soient employés par les services d’une administration étatique ou locale, ou bien chez EDF, Primagaz, Amazon ou Google, ou chez le fabricant de mon aspirateur qui vient de me lâcher. Et, secondement, que cela – c’est ce qui me fait réagir – « pourrait contribuer, à terme, à faire progresser de 7 % le PIB annuel ».

Il faut donc se rassurer ! Ce méga plan social va permettre aux entreprises de gagner plus d’argent en boostant l’économie. Il y aura donc création de richesse, ou du moins de profit, car je n’ai pas la naïveté de croire que le PIB mesure la quantité de richesse produite. Mais, créant massivement des chômeurs, cela va augmenter le nombre de pauvres, donc augmenter l’écart entre les riches (profitant de cette nouvelle révolution industrielle) et les pauvres (condamnés par elle), c’est-dire les actifs qui s’en sortent et les non-actifs ; donc la fracture sociale. Et dans un avenir proche, on expliquera à des vieux sans-emplois de plus de soixante ans qu’ils sont trop jeunes pour toucher une retraite à taux plein. On nous explique en effet aujourd’hui que le décalage du départ en retraite est justifié par l’équilibre d’un système qui a bien fonctionné à l’époque où il y avait, il y a cinquante ans, quatre actifs pour un retraité. Mais qu’il y a maintenant plus que deux actifs pour un retraité et bientôt un ratio d’un pour un. Comme si l’allongement de la durée légale du travail allait changer quelque chose à cette évolution et régler le problème. Mais c’est intéressant de voir comment des fonctionnaires « hors-sol » pensent qu’en rallongeant la durée « légale » (en années) du travail, cela va changer la durée « réelle » de la vie professionnelle, dans la vraie vie des vraies gens, alors que cette durée va dépendre du Marché, et que nous allons fabriquer « administrativement », une masse de chômeurs âgés de plus de soixante ans, mais dont les caisses de retraite n’auront plus la charge. Fermons cette parenthèse, et revenons à mon sujet, autrement plus grave, mais dont tout le monde se fout et que les médias, pour l’essentiel, ignorent.

Certains adeptes des théories schumpétériennes me diront qu’à la destruction d’emplois ici, correspondront des créations d’emplois ailleurs. On a pu le défendre, voire l’observer. Aujourd’hui, c’est faux. C’est vrai que l’industrie aux XVIII et XIXes siècles a bien absorbé les emplois perdus à la terre, et qu’au XXe siècle, faute d’avoir encore besoin de paysans et d’ouvriers, ce sont les créations massives de postes dans la bureaucratie qui ont permis d’absorber les emplois perdus dans l’industrie. Avec cette conséquence funeste d’avoir bureaucratisé, c’est-à-dire stérilisé le monde. À tel point que l’occident, issue d’une civilisation de cultivateurs éleveurs sédentarisés, est devenu, d’abord industriel, puis aujourd’hui d’employés fonctionnarisés dans le public et le privé, avec toutes les conséquences que cela a sur le plan social et psychologique : non seulement, une perte de contact avec la nature, mais une perte de contact avec la réalité. J’y reviendrai. Et après ? No futur ?

Demain, nos sociétés, ou ce qu’il en restera, seront constituées, non pas de chômeurs – car ce concept suppose des gens ayant perdu un travail ou en cherchant un, mais des « sans empois », et surtout sans perspectives, des masses de consommateurs vivant d’allocations massives dans des appartements de plus en plus petits dans des villes ou la grande promiscuité et le désœuvrement, la vacuité des habitants produira une violence extrême, et obligera les riches à vivre entre eux, dans des ghettos surveillés par des I.A. et protégés par des sociétés privées. Car la police publique, trop occupée à protéger les biens publics et les élus des mouvements de foule et de la colère du peuple, sous-traitera la gestion de la délinquance au privé, ou trouvera des accords de circonstance, quartier par quartier, avec des structures mafieuses ou des organisations à caractère communautariste. Ce qui n’empêchera pas nos États d’augmenter leur surveillance et, massivement, leurs forces répressives, car dans la « conversation » entre un représentant de l’État (policier ou gendarme) et un manifestant qui n’a pas grand-chose à perdre, ce n’est pas un ChatGPT qui fluidifiera la relation. Revenons, après ces digressions, à mon sujet de départ.

Je remarque que le développement de ces outils (ChatGPT et IA) qui, en « mécanisant » les relations entre les gens et leurs interlocuteurs institutionnels ou commerciaux, vont achever de détruire la société et mettre à la rue un nombre très considérable de gens, est financé par ces États qui sont confrontés au chômage de masse – France 2030 contribuera à l’investissement dans la formation à l’IA à hauteur de 700 M€ à l’horizon 2025. Et on peut se demander pourquoi. Pour deux raisons. En premier lieu, comme Goldman Sachs l‘écrit, ça va soutenir le PIB, et nos dirigeants savent qu’ils sont jugés par leurs homologues étrangers sur leur PIB – un peu comme ces gamins qui comparent la longueur de leur quéquette – et puis parce que nos dirigeants qui sont tous, plus ou moins, des fonctionnaires – et au niveau de l’U.E., beaucoup plus que moins –, ne voient pas plus loin que leur… égo. Et sont acquis aux thèses néolibérales que l’économisme a perverties. Pourtant, toutes les informations et leurs analyses sont sur la table, et Goldman Sachs ne fait que reprendre, pour les vendre très cher, des données connues. Citons par exemple le patron du Forum de Davos, Klaus Schwab, qui écrivait dans « La quatrième révolution industrielle », ouvrage paru en 2016 : « Au terme de ces travaux, on constate que, dans les dix ou vingt ans à venir, environ 47% des emplois aux États-Unis sont menacés. On peut donc s’attendre à une vague de destruction d’emplois bien plus rapide et profonde que par le passé […] Les emplois routiniers à niveau de salaire moyen seront massivement détruits ». L’année suivante, Emmanuel Macron débutait son premier mandat, nous promettant de tout changer, d’être « disruptif », de créer ici un « start-up nation ». Puis, rapidement, essayait de nous convaincre de la théorie du ruissellement, un concept effectivement assez disruptif, qui consiste, pour enrichir les pauvres, à enrichir les riches en espérant que ça retombe. On a tous en tête l’image de ce type à la terrasse d’un café, qui mange son jambon beurre et jette des miettes aux oiseaux.

Il faudrait évidemment citer ici l’intégralité de ce livre, agaçant, mais bien documenté, qui n’a jamais été autant d’actualité. Agaçant, car Schwab nous y annonce le chaos et semble l’accepter benoîtement, même quand il décrit ce régrès (comprendre le contraire du progrès) ainsi : « La QRI dispose d’instruments permettant de nouvelles formes de surveillance et d’autres moyens de contrôle défavorables à des sociétés saines et ouvertes ».

Le président du WEF a donc déjà tout dit, clairement ; et si je souhaite le citer à nouveau, c’est qu’il écrivait, toujours dans le même ouvrage : « Il y a un besoin urgent de discussions entre enseignants et développeurs concernant les normes éthiques qui doivent s’appliquer aux technologies émergentes de la Quatrième Révolution Industrielle, pour définir des principes éthiques communs et les intégrer dans le tissu social et culturel. Comme les pouvoirs publics restent à la traîne dans l’espace réglementaire, il se peut que l’initiative revienne en réalité au secteur privé et aux acteurs non étatiques ». Or que voit-on ? Notre président, lui si jeune, prétendument intelligent, disruptif, aurait pu se saisir d’un problème si majeur, et faire enfin de la politique. Il aurait pu, depuis son empyrée élyséen, gardien de valeurs que nous prétendons universelles, gardien de phare de l’humanité, à l’image des constituants de 1789, faire mentir Herr Doktor Schwab et proposer à Bruxelles ou à New York, que l’on fasse une pause dans le développement de l’IA pour réfléchir à son cadre éthique. Il se serait hissé, il aurait hissé notre pays, à un autre niveau. Il ne l’a pas fait. Aujourd’hui, on peut se demander s’il en était capable. 

Ce matin, je lis ce titre dans « Les Échos » (information entendue hier à la radio) : « IA : Elon Musk et des experts appellent à une pause, évoquant des risques majeurs pour l’humanité – Elon Musk et des centaines d’experts mondiaux ont signé un appel à une pause de six mois dans la recherche sur les intelligences artificielles plus puissantes que la dernière version de ChatGPT. Ils s’inquiètent des menaces sur l’emploi, de la désinformation et même du risque de perdre le contrôle de notre civilisation… » Il se pouvait, effectivement, « que l’initiative revienne en réalité au secteur privé et aux acteurs non étatiques ». Ce qui veut bien dire que, non seulement, le politique a abandonné la politique pour ne servir que l’économie, mais que, dans cet attelage du Marché et de la Bureaucratie étatique et supra étatique, c’est bien le marché qui décide, et de l’économique et de la politique, renvoyant un Emmanuel Maron en culottes courtes, à ses problèmes… d’égo.

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