L’homme existe-t-il ?

L’Homme, avec une majuscule, existe-t-il encore ? Je n’en suis pas si sûr ! Non pas que je doute qu’existent des hommes et des femmes – disons-le plus simplement, des gens ; car j’en côtoie tous les jours, vivant parmi eux et avec eux, pour le meilleur et le pire de ces relations quotidiennes qui devraient, à elles seules, donner sens à l’existence, et qui, parfois, je l’avoue, me pèsent. Mais je me demande si l’Homme comme genre, ou encore si l’Idée, nécessairement « morale », que l’on se fait de l’Homme – et peu m’importe de m’interroger ici dans la langue des sciences du vivant, ou dans celle des sciences humaines – fait encore sens ; et si parler de l’humain, ou de l’humanité est sémantiquement pertinent. Répondre positivement signifierait qu’existerait une essence humaine transcendant nos vies singulières et périssables, une essence particulière, évidente et permanente ; une essence partagée qui permettrait aux hommes et aux femmes, au-delàs des singularités de race, d’ethnie, de sexe, d’âge, de culture, de se reconnaitre une parenté d’espèce, de revendiquer des droits humains, c’est-à-dire une forme de dignité, et de s’imaginer un destin commun, planétaire, et plus si adaptabilité – je veux dire si l’Homme, espèce éminemment terrestre est capable de s’acclimater hors de l’espace sublunaire. En fait, j’en doute un peu, mais ne souhaite qu’être contredit – ou rassuré.

Je pense en effet que les hommes ont radicalement évolué, et que le système qu’ils ont construit est en train de les faire muter si profondément que nous pouvons déjà dire que l’homme d’aujourd’hui est essentiellement différent de celui d’hier, disons de l’homme de l’antiquité, et que cet homme nouveau est si nouveau, si loin de sa nature primitive, qu’il est aussi éloigné de l’homme ancien que l’âne est éloigné du cheval, ou que le rat est éloigné de l’écureuil ? Parler de l’Humain, de l’homme en son genre ne fait donc plus sens quand l’essence même de l’Homme a, à ce point, évolué, s’est, à ce point, perdue. C’en est fini de l’Homme ! Il n’y a plus d’Homme, reste des gens… L’homme ancien, naturel, a produit, parmi bien d’autres artifices, les sciences et techniques qui ont transformé le monde. Et faute d’avoir pu les maîtriser, il a, par elles, réifié ce monde, c’est-à-dire qu’il a réduit le monde matériel à un ensemble exploitable d’objets, à une collection de biens de consommation subordonnés à ses désirs, et le monde immatériel à des concepts idéologiques de nature religieuse. La modernité produite par l’homme, a tué l’homme, victime collatérale de la destruction de la nature, puis a produit un homme nouveau, avatar, non pas de dieu, mais de la machine, un homme adapté à un système qui roule tout seul, avec sa logique propre, sans boussole morale, vers un avenir cataclysmique. L’homme nouveau est un esclave soumis à une technocratie dont le délire normatif tue la vie, un esclave repu, émasculé et ravi de pouvoir consommer toujours plus. Je crois que pendant que le Titanic sombrait dans les eaux noires et glacées de l’atlantique nord, sur le pont supérieur, jouait l’orchestre.

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