Libre de caractère

Le problème de l’idéologie, c’est moins de réduire la réalité à l’idée qu’on s’en fait, à ses désirs, que de construire des châteaux sur du sable, c’est-à-dire de développer des théories, justifier des doctrines, puis des projets sur des analyses fausses ou tronquées. Et quand ces constructions intellectuelles, une fois la toiture posée, montrent leur incohérence, il reste encore à affirmer comme Tertullien : « j’y crois parce que c’est absurde ». Et en politique, comme en religion, c’est un peu la même chose : un défaut d’humilité, une foi déraisonnable dans des constructions purement idéelles, pour ne pas dire idéales. Et c’est sans doute pourquoi je suis un militant de l’irréligion, non encarté, et pourquoi je défends une forme de laïcité et de démocratie, car je suis « un homme de peu de foi » ; en fait, assez fondamentalement, et pour des raisons congénitales, un incroyant. Et si j’osais tenir des propos qui dépassent ma pensée, j’affirmerais douter de Dieu et de l’homme.

Et si je ne doutais pas des hommes, je conviendrais que les lois sont inutiles et qu’on peut se passer d’État. Oui, si les hommes étaient tous vertueux, on le pourrait avantageusement. Mais, il faut s’appeler Rousseau ou Marx pour croire qu’ils le sont, l’ont été, ou peuvent le redevenir. Ou s’appeler Paul de tarse pour croire au Royaume. Là encore, ne voulant céder à aucune prétérition, je ne blasphémerai pas au point de dire qu’il faut être Dieu pour croire que son fils, aussi balaise soit-il, aurait pû racheter les hommes. Non, l’humanité est trop crasse et la beauté, l’intelligence qu’on y trouve – il y en a –, sont d’autant plus remarquables qu’elles détonnent.

En politique, il faut donc une certaine humilité, disons une forme de modestie et beaucoup de pragmatisme. L’État est un mal nécessaire – mais son enflure est une catastrophe –, et l’aristocratie est le meilleur des systèmes de gouvernement. Oui, en théorie du moins, car choisir les meilleurs d’entre nous pour gouverner, c’est mettre l’excellence au pouvoir et se donner des modèles de vertu.

Et c’est bien comme cela que les choses se sont construites. À une époque où les valeurs étaient guerrières, viriles, c’était les plus forts qui accédaient au pouvoir. C’est ainsi que les guerriers francs ont conquis la Gaule pour en constituer l’aristocratie. Installés, ils ont nommé roi le plus couillu d’entre eux. Mais leurs descendants n’ont pas forcément hérité de leur valeur, n’ont pas tous été des mâles dominants. Ils ont quand même gardé les privilèges attachés à leur nom.

Ce système idéal, idéologique, n’est évidemment plus possible. Tout d’abord, les meilleurs ne peuvent être reconnus comme tels qu’au regard des valeurs. Et si la virilité est aujourd’hui une contrevaleur, on serait bien en peine de dire qu’elles sont nos vraies valeurs. Et puis, comment pourrait-on recruter ces meilleurs ? On ne dispose d’aucune méthode, l’excellence pouvant naître partout, se développer suivant plusieurs chemins, prendre de nombreuses formes. Nous n’avons qu’une certitude, c’est que l’école, comme institution étatique, ne joue pas ce rôle, et ne peut le jouer. Nous savons aussi que l’ordre naturel des choses ne permet aux meilleurs de se faire connaître qu’en temps de crise majeure. Quant à notre système politique, s’il était capable de porter les meilleurs au pouvoir, cela se saurait. On a plutôt l’impression que le système a été spécialement construit pour écarter ces personnes au profit des plus médiocres, et des plus malins.

Reste donc la démocratie, le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres. Mais que vaut la démocratie sans démopédie ? Que vaut-elle si tout le Système vise à réduire les citoyens à des consommateurs de droit ? La classe politique est trop nombreuse, encombrante, mais nous manquons de citoyens, de gens capables de comprendre qu’on prend la mesure d’une démocratie, non pas à l’aune des droits qu’elle offre, mais des devoirs qu’elle impose. Mais peut-être aussi, à ce qu’elle est, dans une nation, à proportion inverse de sa bureaucratisation.

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