Faim de vie, fin de vie…

Un peu de politique avant les fêtes, ça ne peut pas faire de mal. Je ne parlerai pas de la guerre d’Israël contre le Hamas, ni même de celle, oubliée, que l’Ukraine mène pour survivre, tout cela est de peu de poids dans les médias face à l’affaire Depardieu, une affaire dont on sait peu de choses, que la police n’a pas finie de traiter, mais sur laquelle tout le monde a un avis. Même notre président qui prend le contrepied de sa ministre de la culture… Non, je veux vous parler de deux autres choses, infiniment plus importantes – non pas, évidemment, plus qu’une guerre, mais plus qu’une série d’agressions sexuelles, quand bien même seraient-elles inexcusables pour peu qu’elles soient avérées.

Notre président rappelait donc récemment que l’avortement est un droit fondamental. Je ne sais pas… mais je pense que c’est un droit qu’il faut préserver, celui de donner la mort à un être vivant que l’on porte, dont on pense qu’il n’est pas encore conscient et dont on ne veut pas. Mais, s’agissant du droit de se donner la mort, je pense que l’on peut considérer que ce dernier est bien plus fondamental ; et je pense intéressant d’opposer l’un à l’autre : d’un côté, il s’agit, pour une femme, de mettre un terme prématuré à une vie qu’elle porte, une grossesse non désirée ; de l’autre, il s’agit – je pense affectueusement à François Hardy – de mettre un terme à ses souffrances, au terme naturel d’une vie. Mais ce droit fondamental nous est refusé, au moins en France. Pourtant, les deux seuls droits fondamentaux sont bien ceux de vivre et de mourir. Et si je pense à l’esclavage, c’est que survivre quand on est très diminué, fortement handicapé par la maladie, c’est bien une forme d’esclavage, d’absence totale de liberté. L’esclavage, la France l’a aboli, mais très tardivement, bien après d’autres nations : Le Danemark en 1792, l’Angleterre en 1807, les États-Unis en 1808, la France en 1848. Oui, la France a toujours été à la traine sur le plan moral, bien que l’on aime prétendre le contraire et donner des leçons. L’arrogance française a toujours agacé nos voisins.

Mais je voulais aussi évoquer la fin de vie sur un autre registre. Il y a quelques jours, Keith Richards a fêté ses 80 ans. Il continue à vivre, semble-t-il, et ses fans attendent avec impatience le big concert qu’il fera pour fêter ses cent ans. Beaucoup, à cet âge, sont déjà morts ou se contentent de survivre sans disposer de leur totale autonomie. Car ce qui fait la vie, c’est l’autonomie ; après, ce n’est que survie. Et c’est pourquoi ce qui est important, ce n’est pas de mesurer l’évolution du temps disponible entre la naissance et le décès, mais le temps de vie, sachant que le temps de survie, en EHPAD ou ailleurs, n’est pas un temps de vie. Je lisais il y a peu d’années que l’espérance de vie avait commencé à diminuer aux États-Unis ; aujourd’hui, je découvre un article de Joséphine Boone, publié le 22 décembre, nous expliquant que « selon les derniers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans a reculé en 2022 par rapport à l’année précédente ». J’y lis aussi que ce chiffre reste encore positif par rapport à 2018 et qu’il faudra attendre pour y voir éventuellement une vraie tendance.

Ce que j’avais écrit alors, découvrant les chiffres états-uniens, c’est que, malgré tout ce que l’on nous dit, malgré les sommes extravagantes et les technologies savantes que l’on met au service de notre survie, l’espérance de vie – telle que je la considère – baisse en Occident. Et le Système s’en fout, car, pour lui, ce n’est qu’un simple dégât collatéral d’un certain mode de développement qu’il ne souhaite surtout pas modifier. C’est dire qu’en Occident, on vit de plus en plus mal, mais que l’on survit de plus en plus longtemps. Pour décrire cela, il existe un mot peu usité hors du cadre philosophique, c’est l’antonyme de progrès, le regrès.

Sur ce, Joyeux Noël !

Retour à l’actualité, comme une parenthèse ouverte sur le malheur

J’entends aussi qu’il faudrait trouver une issue politique à cette crise. Évidemment ! Mais de quoi parle-t-on ? De la revendication du Hamas, ou de celle de l’Autorité palestinienne ? Car ils ne souhaitent pas la même chose. L’Autorité palestinienne représente, mal, les Palestiniens qui souhaitent avoir leur état indépendant et la possibilité d’y vivre et d’y élever leurs enfants. Et cette fameuse solution à deux états est donc absolument indispensable.

Mais ce n’est pas l’objectif du Hamas qui ne s’en contentera pas et qui a toujours fait échouer tout projet de règlement. Car il souhaite l’éradication d’Israël, la fin du « Royaume de Jérusalem ». Et, non seulement la création d’un état palestinien qui sera vite militarisé par l’Iran, et dont le Hamas prendra « démocratiquement » la direction, ne règlera rien, mais cela rendra probablement la position d’Israël plus fragile encore, et conduira à un nouvel embrasement de la région, puis à une réaction encore plus forte d’Israël. Car le risque est là. Imaginons ce nouvel état aux mains du Hamas, largement financé par le Qatar, armé jusqu’aux dents par l’Iran, associé à un Etat libanais subverti par le Hezbollah, ces forces se retournant contre l’Égypte… Mais les choses seront effectivement plus claires, avec une guerre plus traditionnelle état contre état. Et nous verrons alors, quand le nouvel État palestinien sera prêt à perdre la guerre, quelles coalisions se créeront pour mener cette guerre de civilisation. 

On voit donc que pour éviter ce risque, si la création d’un État palestinien viable est indispensable, cet état devra absolument être démilitarisé, et l’ONU devra garantir cette démilitarisation. Les Russes et les Chinois y sont-ils prêts ?

Cause et raison

Une cause explique, une raison justifie. Et si l’on veut distinguer un croyant d’un mécréant, c’est une façon qui en vaut bien une autre. Le mécréant croit que tout ce qui arrive dans la nature s’explique par ses causes. Dans le même temps, le croyant en cherche les raisons. Mais c’est d’ailleurs un penchant assez naturel que de chercher des raisons où il n’y a que des causes, tant il est vrai que dans le domaine social ou politique si l’on veut, tout est justifié d’une manière ou d’une autre, même l’injustifiable – je pense aux crimes du Hamas. Mais il y a d’autres façons de faire ce distinguo viscéral. Oui, tout se passe au niveau des tripes.

La foi est une croyance irrationnelle ; ce n’est pas une simple créance : croire que demain le jour se lèvera et que ce sale temps va encore perdurer… La foi échappe à la raison, car tout porte à croire que rien dans la nature n’est justifiable, pourtant… ; et le croyant sincère, interpelé par sa logique, en vient à s’en sortir par des pirouettes : « Les desseins de Dieu sont impénétrables ! » Plus balaise encore : « Je crois parce que c’est absurde ! » Que répondre à cela ?

On peut passer sa vie à chercher la foi, mais la chercher avec sa raison, sa logique, est proprement imbécile, illogique. D’ailleurs, Pascal, pour renforcer sa foi, a eu besoin du miracle de la nuit du 23 novembre 1654, nuit dans laquelle il fit l’expérience d’une illumination mystique… Ne parlons pas, deux ans plus tard, du miracle de la sainte Épine, opéré sur sa nièce. Nietzsche l’a cherché, lui, partout, le provoquant pour qu’il sorte de sa cachette et vienne en découdre, d’homme à homme, si l’on peut dire. Mais Dieu lui est resté caché…

La vie est un jeu dont on ne connait pas les règles ; et il m’arrive de plus en plus souvent de ne plus avoir envie d’y jouer, tant ce jeu m’apparait pervers. C’est un peu comme ces jetons qu’on nous distribue dans les supermarchés. J’en vois qui font la queue pour mettre leur carton dans la machine et savoir qu’ils ont perdu… Merde ! encore perdu… C’est vrai, certains gagnent parfois un bon d’achat de cinq euros.

Plus sérieusement, il faut bien toute une vie pour espérer comprendre quelque chose à la vie. Et pour peu que l’on comprenne enfin quelque chose, c’est si peu et déjà beaucoup trop tard, car il est alors temps de mourir. D’ailleurs, tout observateur un tant soit peu attentif remarque qu’il est extrêmement rare qu’un jeune con ne devienne pas, avec l’âge, un vieux con ; quant à l’humanité, qui s’intéresse un peu à la poésie ou à la philosophie antique voit bien qu’en plus de deux mille ans, nous n’avons fait aucun progrès significatif – ce que le Hamas vient de nous rappeler.

Et nos histoires individuelles se terminent toujours mal… j’ai vu mes parents, des connaissances plus ou moins proches… tristes et moches fins. La mort est laide qu’elle nous prenne tôt ou nous laisse un peu de temps de loisirs, et les conditions dans lesquelles les choses finissent sont inacceptables… accident, handicape, vieillesse.

Je ne sais si la vie est sacrée. Pour Dieu elle ne l’est évidemment pas, et, à son échelle, cosmique, c’est une poussière de temps accordée à un tout petit agrégat de matière si fragile. Comment imaginer que de là où il se trouve, son rapport à l’homme puisse être d’une autre nature que celui d’un aviateur qui survole à grande vitesse une termitière ? L’homme est trop petit, trop minable pour intéresser Dieu. Il n’est pas à sa mesure. Tiens ! je raisonne comme Nietzsche…

Oui, la guerre encore…

Car je souhaitais répondre à Dominique de Villepin qui faisait il y a quelques jours une matinale de France Inter, que le Royaume de Jérusalem n’a pu tenir que deux siècles…

Ni avec la dernière attaque du Hamas ni par la réponse d’Israël, nous n’entrons dans une guerre de civilisation, comme notre ancien ministre le craint. Nous y sommes déjà, depuis le début, c’est-à-dire depuis le VIIe siècle de l’ère chrétienne. L’expansion de l’Islam a en effet débuté dès 622, date de l’Hégire, quand le fondateur de la nouvelle religion révélée a quitté La Mecque pour Médine ; en fait plutôt dans les toutes premières années qui ont suivi, car tout est allé très vite : prise de La Mecque en 630, campagne militaire de Tabouk l’année suivante, création d’un premier Kalifa à la mort du Prophète, en 632. Depuis, l’Oumma croît, car l’Islam (religion et idéologie) progresse partout, et cette nouvelle civilisation arabo-musulmane qui est par exemple venue à bout de la civilisation perse, s’est vite heurtée à la civilisation occidentale, plus ancienne qu’elle. Car elle a extrêmement rapidement conquis toute la péninsule arabe, l’Afrique du Nord, le Levant, le pourtour méditerranéen, une partie de l’Europe du Sud et l’Empire romain d’Orient… Et bien d’autres régions depuis…

Les chrétiens menacés ont réagi dès le VIIIe siècle : Le royaume franc de Charles Martel les arrêtant là où on sait ; et les forces chrétiennes reconquérant très progressivement la péninsule ibérique, sur plusieurs siècles, depuis l’escarmouche de Covadonga en 722, jusqu’à la prise du dernier bastion musulman, à Grenade, en 1492, par les rois très chrétiens Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Ce fut d’ailleurs le début d’une nouvelle séquence pour l’Occident qui partira à la conquête des Amériques, puis de l’Afrique noire, sacrifiant d’autres civilisations sur l’autel de sa propre expansion religieuse et politique. Mais d’abord, le Christianisme a aussi voulu revenir aux sources et a organisé plusieurs croisades pour reconquérir Jérusalem. Et la création du royaume chrétien de Jérusalem en 1099 a été une nouvelle séquence de cette guerre de civilisation. Évidemment, les islamistes ne pouvaient accepter ce qu’ils considéraient comme un sacrilège, une présence chrétienne sur une terre sanctifiée par la naissance de leur Prophète. Cette enclave disparaitra en 1291 avec la chute de Saint-Jean-D’acre. Ils ne pouvaient l’accepter, comme les Arabes refusent l’historicité d’une présence chrétienne sur leurs terres, aux premiers siècles de notre ère (c’est-à-dire un demi-millénaire avant la naissance de leur religion), et détruisent systématiquement les témoins archéologiques de cette présence dès qu’ils en exhument de leur linceul de sable.

Et il aura fallu attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que l’Empire ottoman disparaissant, libérant les Arabes du joug turc, et que la Société des Nations (une structure internationale n’ayant d’autre objet que d’imposer à notre planète l’idéologie occidentale, c’est-à-dire surtout américano-anglaise) impose la présence occidentale au Moyen-Orient (protectorat anglais sur la Palestine), pour que l’Occident prenne sa revanche. Et la création en 1947, après que les nazis aient perpétué la Shoa, après que les autorités islamiques de Jérusalem se soient compromises avec les nazis, va permettre la création d’un nouveau « royaume occidental » de Jérusalem.

Évidemment, les islamistes ne peuvent l’accepter et même si cela leur prend deux siècles veulent l’élimination d’Israël – la cause palestinienne n’étant qu’un détail de l’histoire, un prétexte, la réparation d’un dégât collatéral.

On peut donc dire que le Hamas s’inscrit dans une tradition millénaire, et messianique. Et ses crimes de guerre génocidaires et assez dégueulasses … redisons-le … s’inscrivent dans la macabre logique de la guerre religieuse. Qu’on réinterroge l’histoire, les guerres de religion ont toujours été, systématiquement, l’occasion de crimes de guerre atroces ; et aucune religion ne s’est montrée particulièrement encline à respecter l’homme, la femme, l’enfant… Car si on peut imaginer « humaniser » une guerre faite au nom d’un état, d’enjeux économiques, de problèmes démographiques, c’est-à-dire d’une structure politique, en rédigeant par exemple des conventions internationales, on ne peut humaniser une guerre faite au nom de Dieu, puisqu’il s’agit de « sauver des âmes » en convertissant, ou, à défaut, en tuant des mécréants égarés dont le statut est alors bien inférieur à celui d’un homme, puisqu’ils n’appartiennent pas au peuple de dieu.

Et c’est là où Dominique de Villepin se trompe, en considérant que seule la création d’un état palestinien règlerait le problème. Cette création est absolument nécessaire, mais ne règlera rien, car ce n’est pas ce que veut le Hamas et ce n’est pas ce que demandent les islamistes purs et durs.

On finira donc par sortir de cette crise – à quel prix ? –, mais la guerre va continuer sans que l’on puisse en prévoir la fin, les Occidentaux pouvant compter sur leurs arsenaux militaires et leur maîtrise technologique (voir Israël) ; les musulmans comptant sur les ventres de leurs femmes, leur mépris de l’individu, mais surtout la décadence occidentale – qui porte le doux nom d’humanitarisme, mais qui n’est, comme Nietzche l’a bien montré, qu’un abaissement ; les premiers produisant des canons, les seconds de la chair à canon… 

Nous sommes donc coincés par cette Histoire, étranglés par cette réalité historique aujourd’hui prégnante, contraints d’accepter les faits que le Hamas nous a rappelés de la manière la plus horrible, en l’occurrence cette guerre, ou bien de répondre à côté, de regarder ailleurs, de nous coucher – l’esprit de Munich, les idiots utiles qui manifestent à contretemps leur solidarité avec les palestiniens. Mais il y a aussi une troisième voie, celle dont Houellebecq a fait un roman, nous soumettre, trahir ce que nous sommes pour espérer sauver notre peau, et en sortir par le haut, devenir de bons musulmans… Car il ne faut pas trop compter sur les musulmans pour, tout en gardant leur foi, accepter de s’occidentaliser. Car Ils ne peuvent le faire sans justement renier leur foi.

Faire la guerre au sacré

L’actualité est lourde, pue le sang et la merde… c’est dur d’y échapper. Je vois bien qu’Israël est tombé dans le piège tendu par le Hamas. Mais comment aurait-il pu en être autrement quand l’hystérie gagne les foules ? L’opinion publique israélienne s’est déchainée et M. Netanyahou a cherché à préserver son avenir politique en faisant oublier les carences de son administration. Je pense à cette formule d’Hanna Arendt, décidément très présente à mon esprit depuis quelques semaines : « La masse ne peut avoir d’opinions, elle n’a que des humeurs. Il n’y a donc pas d’opinion publique ».  Mais il est quand même dommage que les hommes d’opinion et de conviction que devraient être les politiques suivent ce mouvement d’humeur. Mais c’est dans ces moments de crise qu’on prend toute la mesure de la gent politique : nous sommes principalement gouvernés par des nains.

  Israël va donc faire payer très cher aux Gazaouis qui n’y sont pas pour grand-chose, un crime de guerre génocidaire dégueulasse, perpétré par une organisation terroriste et planifié par une théocratie mollahchique. Et ce faisant, la riposte de Tsahal va exacerber la haine des Palestiniens à l’encontre des juifs, et de celle des musulmans vis-à-vis de tout l’Occident ; et un antisémitisme qui semble survivre à tout. Poutine et Xi Jinping peuvent s’en frotter les mains…

Et en Belgique, on l’a vu, réellement vu, deux ressortissants suédois ont été assassinés. Et on a d’abord dit que c’était parce qu’en Suède, lors d’une manifestation, des Corans avaient été brûlés. Or le Coran est sacré…

Justement, l’autre soir, je regardais à la télé… non, pas longtemps… une émission littéraire dont le thème était « Le sacré ». La grande librairie… médiocre, je n’y ai pas trainé. Je pensais qu’on y parlerait de Sacré ; mais, pas vraiment, il était surtout question de religion et de foi, avec des raccourcis sidérants : tout le monde croit à quelque chose, on ne peut croire en rien, et même les enfants ont besoin d’avoir foi en leurs parents…

J’aurais aimé que quelqu’un prenne le temps d’y définir le sacré, sans essayer de l’enfermer dans une problématique religieuse. Par exemple en rappelant que le sacré est un absolu indépassable qui fait autorité : le livre d’un prophète, une relique ou un talisman qui fait des miracles, l’incarnation d’une force ou d’une idée supérieure, la terre pour certains écologistes, la nation ou le drapeau pour des nationalistes. Ce n’est donc pas une notion strictement religieuse que le profane aurait reprise, mais un concept intellectuel, voire politique, que les structures de pouvoir ont toujours su utiliser pour couper court à toute remise en question de l’ordre établi, voire couper court, au ras du col, quelques têtes qui dépassent. Car on peut aussi, comme je le fais souvent, déclarer que « rien n’est sacré, mais que tout est à priori respectable », notamment la foi des croyants. Et l’autre point qui aurait mérité d’être clarifié, c’est bien de distinguer la foi religieuse et la « simple » croyance en ce que l’on ne sait pas. Rappelons que bien souvent on croit savoir, alors que l’on devrait savoir que l’on croit. Encore un aphorisme pour la route : « la foi, c’est une croyance déraisonnable ». Oui, c’est bien le fait qu’elle échappe à la raison qui la définit : « Credo quia absurdum est », comme l’écrivait Tertullien (ou attribué à Tertullien).

On peut croire pour de multiples raisons… qui peut dire comment se forme une conviction ? …, par expérience (que telle couleur du ciel au couchant annonce tel temps pour le lendemain), par une forme d’habitude (que le soleil se lèvera demain – le philosophe anglais David Hume parlait de coutume), par déduction, réflexion, analyse probabiliste ; mais aussi par désir, envie (prévoir ce que l’on désire voir arriver, et cela même sans s’en rendre compte). On peut aussi se forcer à y croire, par vertu, conformation à une forme d’éthique de la pensée et de l’engagement, surtout quand l’avenir est à ce point désespérant. Mais la foi, c’est autre chose, c’est une confiance inaltérable, inébranlable et déraisonnable en une autorité supérieure, un absolu, d’où l’appel au sacré qui n’est qu’un interdit, celui d’en douter ; ou une autocensure. Mais ne réduisons pas le sacré à cela, pas plus que le totalitarisme au religieux…

Et convenons que si une chose est sacrée pour les uns, elle peut ne pas l’être pour d’autres, car l’autorité ne s’impose pas, même par la force qui ne peut que la détruire. Mais admettons aussi que nous ne pouvons pas vivre collectivement sans autorité, car ôté l’autorité, il ne reste que la violence pour faire tenir les choses entre elles, les faire mal tenir et dans la douleur. Il y a donc précisément le même rapport dialectique entre autorité et violence qu’entre la loi et la liberté, et le rôle du politique est d’en faire la synthèse.

Si l’autorité n’existe pas, ne reste que la violence. Toutes les structures politiques le savent : il faut faire de la pédagogie, se faire aimer, faire que les gens adhèrent, construire une relation d’autorité avec le système ; et si ça ne fonctionne pas, ne restent alors que la violence, la police, la chasse aux dissidents et aux hérétiques, la prison, les bûchers. Le Prophète de l’Islam le savait et l’a tranché au fil du sabre : convertir ou tuer ; celui du christianisme était sur une autre ligne – il n’a pas tué, il a été tué d’une manière ignominieuse. Je n’invente rien.

Je conclus sur le Coran et sur la façon dont les musulmans ont pu vivre l’outrage suédois, que ce soit la raison de l’attentat en Belgique ou pas. Je comprends et respecte le fait que la parole divine, transmise par l’Archange Gabriel dans une langue considérée comme « pure », soit considérée, par les musulmans, comme sacrée. Maintenant, il me semble qu’un ouvrage imprimé, fait de papier et d’encre, est d’une autre nature et que le considérer comme sacré, c’est confondre la chose et sa représentation démultipliée. Je possède d’ailleurs une traduction française de ce texte… Quelle valeur, quel statut a-t-elle ? Ce n’est évidemment qu’un écho imparfait, une évocation de la voix qui éveilla le Prophète de l’Islam, et le mit sur le chemin qui fut le sien. Puis-je l’annoter, souligner des phrases, stabiloter des passages ? Peut-être faudra-t-il que j’interroge un ami musulman pour qu’il me donne son avis, afin que je puisse continuer à m’informer du texte fondateur d’une religion planétaire, sans risquer paraître lui manquer de respect, et sans y perdre la tête ?