Roman : L’homme qui ne voulait pas

L’homme qui ne voulait pas mourir

J’avais précédemment écrit un premier ouvrage pour proposer un modeste recueil de « Considérations diverses sur la nature des choses et la difficulté d’être ». En exergue, j’aurais pu alors citer Marc Aurèle : « La durée de la vie humaine ? Un point. Sa substance ? Fuyante. La sensation ? Obscure. Le composé corporel dans son ensemble ? Prompt à pourrir. L’âme ? Un tourbillon. Le sort ? Difficile à deviner. La réputation ? Incertaine. Pour résumer, au total, les choses du corps s’écoulent comme un fleuve ; les choses de l’âme ne sont que songe et fumée, la vie est une guerre et un séjour étranger ; la renommée qu’on laisse, un oubli. Qu’est-ce qui peut la faire supporter ? Une seule chose, la philosophie » (Pensées – Livre II).

Et c’est sans vraiment quitter la philosophie, sans rompre avec mes questionnements existentiels, en reprenant cette citation du penseur stoïcien que j’ai voulu écrire ce premier roman dans l’espoir de toucher un public plus large. Évidemment, comme tous les romanciers, j’ai creusé ma mémoire pour en extraire des matériaux et ériger ce modeste monument à mes peurs récurrentes. Et la conversation que j’entretiens depuis longtemps avec Nietzsche m’a servi de fil à plomb. Mais cela reste un roman, le premier ; le second sera publié en 2023.

I

    Les vérités sont des pierres, dures et tranchantes… Cette idée fusa comme un jet et ricocha sur sa conscience, comme à la surface d’une eau noire, alors qu’il marchait depuis peut-être une heure entre les vignes, plié sous la charge de son sac qui lui cassait les reins et dont les sangles lui blessaient les épaules. Il marchait, pensif, sur une blancheur rocailleuse éclatante qui brûlait ses yeux fragiles ; mais son regard rentré s’accrochait pourtant à l’empierrement du chemin qui dessinait d’un trait blanc et précis son proche avenir dans cette campagne plate et sèche qui semblait avoir été créée pour la vigne. On prétend que « Dieu n’a créé que l’eau, mais que l’homme, lui, a inventé le vin ». Si l’humour d’Hugo n’était ici manifeste, comment ne pas discerner dans cette formule tout l’orgueil de l’homme ? Christian sentait, à chacune de ses courtes respirations, la présence de Dieu dans cette campagne encore déserte à cette heure matinale ; Sans doute pas le dieu des curés, mais celui des Lumières, de Rousseau, de Diderot ou de Voltaire, ou peut-être mieux encore celui de Spinoza. Et il le formula ainsi, pour lui seul, dans la solitude douloureuse et intime de sa lente progression. Toute cette lumière, pourtant pâle encore, l’éblouissait, et les pierres concassées, blanches aux éclats lumineux, dures à son pas, guidaient sa rêverie plus que sa marche. Que la vérité soit inscrite dans ces pierres, ou que les vérités soient comme des pierres, blessantes, il sentait bien qu’il touchait là à quelque chose d’essentiel et alors qu’un pigeon s’éloignait dans un bruit d’ailes froissées, il se revit, enfant, dans une campagne semblable à celle-ci, armer sa fronde d’un éclat pierreux, viser un ramier et lui sectionner la tête en plein vol. Cruelle vérité, mais vérité première, celle de la vie et de la mort.