Profession d’optimisme politique.

Même si bloguer peut s’apparenter à un prêche dans le désert, je persiste avec conscience et constance à défendre des convictions qui induisent une posture politique singulière mais sincère que j’essaie, au fil de mes propos hebdomadaires, d’expliquer ; car ces convictions qui tiennent à mon histoire personnelle, mais aussi à mes intuitions métaphysiques et à ma conformation psychologique, me marquent aussi loin de la sociale démocratie – partout au pouvoir en Europe de l’Ouest, et représentée en France par le PSUMP – que des fronts totalitaires qui occupent l’espace contestataire médiatisé. Car ici, droite et gauche ne sont que deux faces de deux médailles, celle de la sociale démocratie et celle du national populisme. Et pourtant, je revendique une vision sociale et humaniste, défends la démocratie de manière radicale, le populisme s’il est assimilable au choix du peuple contre les élites, et l’idée de nation qui semble toujours d’actualité. Et j’ai pris le parti inconfortable d’aborder ces sujets avec les outils de la philosophie, et en rendant hommage à quelques maîtres à penser : La Boétie, Montaigne, Nietzsche, Arendt, Fromm, mais aussi Edgar Morin ou Raoul Vaneigem, et bien d’autres encore. Que dire d’autre en guise de justification ? Qu’une hyper sensibilité aux questions morales, à la laïcité, à la liberté, me conduit plus souvent qu’il n’est raisonnable à sombrer dans l’outrance dont j’aime les vertus pédagogiques dans une société bloquée où il devient mal céans de penser par soi-même, et fautif d’exprimer une pensée hétérodoxe ou décalée. C’est ainsi, par exemple, que je fais le choix de ne pas voter, car c’est, de mon point de vue, le choix le plus judicieux pour qui milite quotidiennement pour la démocratie. Et je suis prêt à utiliser toutes les formes d’expression pour défendre et promouvoir mes positions : l’essai, le manifeste, la diatribe ou l’apologie, la chronique, la prophétie. Et aujourd’hui, m’inspirant du grand Nietzsche penseur de la singularité radicale, c’est avec la voix de Zarathoustra que j’aimerais partager mon utopie, évoquer un New-Age que Fromm appelait de ses vœux sous la forme d’un nouvel humanisme.

Et ma prophétie est celle de l’émergence en politique de la société civile, d’une part, et celle d’une conscience politique populaire d’autre part. Hannah Arendt écrivait dans les années 60[1] que « la masse ne peut avoir d’opinions, elle n’a que des humeurs. Il n’y a donc pas d’opinion publique ». Je prophétise que demain la masse aura une conscience politique et cessera de se faire manipuler par des médias qui ne sont que des promoteurs, des manipulateurs et des metteurs en scène de l’émotion populaire, de ses humeurs. Et ce temps nouveau sera celui d’une démocratie populaire – pardon pour le pléonasme ; et si la formule renvoie trop à une terminologie datée et usée par une certaine gauche, je pourrais parler d’une démocratie généralisée qui ne sera ni représentative, ni simplement participative. Disons-le plus simplement en citant la formule de Lincoln, reprise sans grands complexes en préambule de notre constitution : « le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple ». Et précisons un point de vocabulaire essentiel : le peuple ne peut se réduire aux masses populaires, n’en déplaise à M. Mélanchon. « Le peuple, c’est les gens », madame Michue comme madame Bettencourt. Et restons optimiste, ou campons sur une utopie assumée : ce retournement révolutionnaire de l’histoire adviendra sans révolution, sans têtes coupés, sans règlements de comptes, sans drapeaux, sans idéologies, sans leader maximo, sans père de la révolution (ou du peuple à nouveau rassemblé) ; et ce sera, non pas la fin de l’Histoire, mais celle d’une histoire, et le début d’une autre.

Partout le système craque, se fissure et sa ruine est inéluctable ; et toute tentative de le sauver, quitte à le réformer, est vaine.

 Notre système économique est à bout de souffle, car il a été bâti sur un modèle aujourd’hui caduc, construit sur un équilibre brisé, et qui a trouvé ses limites indépassables. Il était basé sur la constante croissance quantitative du flux de production/vente/consommation/destruction de biens de consommations – nos armoires, nos garages, nos décharges en sont pleins ; et cette dynamique que les économistes appellent croissance, fonctionnait sur les deux valeurs bourgeoises par excellence, qui ne sont en fait que des contrevaleurs morales et qui ont fini parfois par se confondre : l’argent et le travail.  Je ne reconnais d’ailleurs aucune de ces deux valeurs. La croissance a conduit à une production/consommation de plus en plus abondante qui permettait d’offrir aux consommateurs de plus en plus de biens de confort ou de luxe à faible coût, et à ces mêmes consommateurs du travail ; car il fallait bien une main d’œuvre pour les produire, elle aussi de moindre coût, mais aussi des consommateurs solvables, donc salariés. Cela ne marche plus, et cette machine infernale s’est fracassée sur au moins trois écueils : cette dynamique qui a sorti beaucoup de gens de la misère et que certains continuent à considérer comme vertueuse, épuise les ressources et bousille la planète. Par ailleurs nous produisons de plus en plus mais avec de moins en moins de travailleurs, obligeant les états à s’endetter pour compenser le manque de ressources de consommateurs sans revenus de leur travail, mais pourtant nécessaires pour écouler les stocks et tirer le marché (politique keynésienne). Enfin, un certain nombre de citoyens commencent à comprendre que le travail est une aliénation et  aspirent à autre chose. Et je complèterai ce dernier point par deux ou trois remarques. En premier lieu, quand j’entends des chômeurs réclamer du travail, je me demande si c’est vraiment ce qu’ils demandent, ou s’ils ne demandent pas plutôt des revenus garantis, une reconnaissance sociétale et la possibilité de se réaliser – gravir tous les paliers de la pyramide de Maslow, et si possible au pas de course pour la génération Y. En second lieu, je renvoie aux analyses d’Hannah Arendt (Condition de l’homme moderne) et à sa distinction du travail et de l’œuvre. Enfin, je remarque un piège d’une perversité diabolique : le travail salarié est une aliénation, et les gens, pour survivre, en sont, non seulement à souhaiter que perdure cette aliénation, mais à construire, en tant que consommateurs addictes, les conditions mêmes de leur aliénation comme travailleurs.

Parallèlement, notre système politique ne fonctionne plus : notre démocratie représentative a cessé d’être démocratique pour devenir oligarchique à partir du moment où les politiques sont devenus des professionnels de la politique et où les députés ont cessé d’être les représentants de leurs électeurs pour devenir les mandataires de leur parti.

Il nous faut donc tourner la page pour que le monde que je prophétise – avec quelques imprudences assumées – garde une chance d’advenir avant la fin des temps. Beaucoup de signes nous encouragent à rêver. La prise de conscience écologique ; le mouvement apolitique des indignés qui se propage à son rythme partout en occident, celui des veilleurs ou des sentinelles ; l’usage des moyens de communication dans le cadre des réseaux sociaux ; les révolutions arabes ; l’émergence d’une classe moyenne et d’une société civile en Russie ou en Chine ; le développement de l’économie participative (crowdfunding,…) ; la désaffection des citoyens pour le spectacle politique … On peut donc rêver – et c’est un devoir éthique – à cette utopie d’un monde plus raisonnable, plus vertueux, pus démocratique, un monde ou modernité serait synonyme de progrès et non de regrès, un monde plus humain. Il nous faudra sans doute, pour y arriver, déplacer des montagnes ; personne ne sait comment, et chacun s’en effraye. On prétend que Confucius que l’on appelle à la cause chaque fois que l’on manque d’arguments disait que si l’on veut déplacer des montagnes, il faut commencer par les petites pierres. Edgar Morin dit exactement la même chose quand il écrit qu’il faut commencer partout et probablement par de petites choses[2]. Michel Serres est sur la même ligne quand il dit que quand les choses deviennent trop compliquées, il faut changer de paradigme[3]. Prenons un seul exemple, celui de la démographie.

Tous les pays d’Europe mènent des politiques natalistes. Je pense que c’est une bêtise, mais que personne (même pas les écologistes) ne veut remettre en cause une fausse bonne idée – une idée au-demeurant très chrétienne, comme le principe d’égalité, ou la laïcité –, et se contente de faire comme son voisin. Avons-nous toujours besoin de produire de la chair à canon, ou à baïonnette ? Je sais bien que Napoléon n’aurait pu mener ses campagnes victorieuses sans la Grande Armée, qui était alors la plus importante d’Europe (elle atteignit plus d’un million hommes), et que cela a été rendu possible par la durée de conscription, mais surtout par la démographie de la nation. Je sais que si la défaite de 1870 a été un traumatisme pour la France[4], elle a permis, comme victoire allemande, la naissance du Reich et que nous sommes entrés alors dans une course démographique avec l’Allemagne. Je sais qu’après-guerre, la massification de l’économie a justifié une immigration irresponsable et non maitrisée. La population française était restée relativement stable dans la première moitié du XXe siècle et a augmenté de 50 % dans la seconde[5]. Cette course aux bébés a-t-elle encore un sens ? Je sais que la démographie est une arme politique : Boumediene déclarait en 1974 à la tribune de l’ONU « que les ventres des femmes musulmanes remplaceront les fusils et les canons pour conquérir l’Europe »[6]. Aujourd’hui, on prétend que la richesse d’un pays (son PIB) croîtrait avec sa population, ce qui ne tient pas. Par contre, ses besoins sont bien proportionnels au nombre d’habitants qui se partagent ses richesses et ses revenus et qui profitent de ses services et de ses infrastructures. On nous explique aussi que les actifs payent les retraites des inactifs, et qu’il faut donc maintenir un équilibre, faute de voir notre système de répartition faillir. Est-on sûr que lorsqu’un enfant nait, c’est un futur actif (et non pas un futur chômeur) et qu’il produira plus de richesse qu’il n’en consommera ? Et si le système ne fonctionne plus, faute d’équilibre, ne faut-il pas en changer ? Changeons de paradigme – de système –, asseyons le financement des retraites sur d’autres ressources, et le problème posé différemment, se résoudra différemment. Où veut-on aller pour le bien des citoyens et de la planète ? : une population française de 70, 100 ou 200 millions ? ; une population planétaire de 7[7], 10, 20 ou 100 milliards ? Quelle place souhaitons-nous réserver à la nature, à sa flore et à sa faune ? Quelle population de chevaux, de chevreuils, de renards, de chouettes et de cafards souhaitons-nous conserver sur notre sol ?

Concluons pour aujourd’hui. Nos systèmes politique et économique sont à bout de souffle, et ne sont plus réformables. Il faut reconstruire, mais reconstruire morceau par morceau, pierre à pierre, sans imaginer qu’un « grand soir » soit la meilleure garantie de « lendemains qui chantent ». Il faut donc reconstruire, radicalement, mais avec modestie et humilité, c’est-à-dire sans dogmes. Faut-il changer les hommes pour changer le monde, ou changer le monde pour que changent les hommes ? Tout à la fois et progressivement…  Il n’y a aucune solution de court terme ; la crise ne va pas s’arrêter l’année prochaine, mais ne pas engager de changements au prétexte que cela ne règlera rien dans l’immédiat serait irresponsable vis-à-vis des générations futures. Il faut travailler local ET global, travailler pour le court terme ET pour le moyen terme ET aussi pour le long terme. Il faut être ambitieux ET humble, prendre des risques ET rester prudent, accepter des sacrifices ET se battre pour conserver notre confort. En d’autres termes, en sortir par le haut ; et imaginer que l’on puisse sortir de la crise sans refonder notre système économique, ou prétendre changer le système économique sans toucher à la technostructure, et sans refonder le politique est une dangereuse illusion, ou un mensonge fautif, pour ne pas dire criminel – car certains en meurent, affamés sur la terre de leur ancêtres, enfermés dans leurs ghettos, ou noyés lors d’hasardeuses migrations.

Deux questions se posent alors : comment pousser le système dans ses limites pour provoquer un déclic sans casser la machine, sans mettre le pays à feu et à sang, sans perdre nos acquis les plus essentiels, sans laisser des organisations totalitaires, de droite ou de gauche, prendre le pouvoir, et normaliser la situation ? Sur quelles bases politiques reconstruire un nouveau contrat social ?

Les citoyens, et plus largement l’ensemble des membres de la société civile doivent multiplier les actions, donner de la voix, occuper la sphère publique, s’organiser via internet et les réseaux sociaux pour redonner vie au dialogue social, sans compromission avec un système qui a failli. Il faut par ailleurs revenir à l’essentiel : redéfinir des valeurs nationales – la liberté individuelle et l’égalité de droit redevenant l’alpha et l’oméga de toute politique – quitte à s’inscrire en faux contre celles du passé (l’équité remplaçant l‘égalité de situation ; la reconnaissance et le respect des singularités individuelles se substituant à l’uniformité du troupeau ; la solidarité remplaçant l’assistance ; la laïcité s’opposant aux reconnaissances communautaires ; l’autorité de l’Etat reconstruite se substituant à son autoritarisme …). L’urgence est une reconstruction morale, qui doit aussi se garder d’une certaine éthique jacobine. J’en donnerai pour l’exemple cette citation de Robespierre qui n’est pas sans me poser problème : « Or, quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c’est-à-dire le ressort essentiel qui le soutient et qui le fait mouvoir ? C’est la vertu ; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine; de cette vertu qui n’est autre chose que l’amour de la patrie et de ses lois ».[8]

Pour le détail des choses, tout est sur la table, et je crois que le problème n’est pas là – et il faudrait considérablement rallonger cette chronique déjà trop longue pour donner des pistes. Il est urgent de renverser les obstacles, et d’expérimenter autre chose.



[1]. Dans On revolution.

[2]. Par exemple dans Où va le monde, où il écrit : « La révolution ne dépend plus d’un opérateur principal (le parti, le prolétariat), d’une action principale (la prise de pouvoir), d’un noyau social principal (les moyens de production) ; elle nécessite une multiplicité de changements/transformations/révolutions à la fois autonomes et indépendantes dans tous les domaines (y compris nécessairement celui de la pensée).

 

[3]. Dans Petites poucettes.

[4]. Armée française mal préparée, mal équipée, mal commandée moins nombreuse.

[5]. Augmentation de 20 % entre 1900 et 1950 (évidemment, il y  a eu la saignée de 14/19), et 43 % entre 1950 et 2000, soit globalement 70 % entre 1900 et 2010.

[6]. Cité par le journaliste anglais Christopher Caldwell, et largement diffusé sur le net. Je n’ai pas vérifié l’authenticité de la citation, mais je pense qu’elle l’est.

[7]. J’ai lu sur le net que la population mondiale était de 7 168 267 142 personnes ce mercredi 23 octobre 2013 à 21 h 35 min (heure du pole Nord). Est-on sûr de n’avoir oublié personne ?

[8]. Discours à la Convention du 18 floréal An II.

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