Subversion des commissaires de la république

Si je n’aime pas les religions, ce n’est pas seulement parce qu’elles nous proposent de vivre dans un monde symbolique, disons-le poétique, un monde irréel et fumeux. Non ! Après tout, pourquoi pas si cette construction idéelle, fantasmagorique, en nous éloignant de la vraie vie, ne nous la gâchait pas ? C’est surtout que je suis trop attaché à la liberté, et notamment à celle de penser, pour céder totalement aux idéologies, même religieuses, et pour vendre mon âme à un parti, fût-il religieux. Je reste un esprit libertaire, fidèle à cette simple définition : être libertaire, c’est refuser la soumission sans refuser l’engagement, et c’est autant refuser le nihilisme que la moraline. Et je suis malheureux de voir que nos sociétés restent si religieuses et que le progrès qu’on nous vend comme tel nous prépare gentiment à un monde de moins en moins démocratique, de plus en plus totalitaire, de plus en plus régressif. Triste progrès ! Et si je dis « gentiment », c’est en ayant à l’esprit les images d’Emanuel Maron ou de Bruno Lemaire, des personnalités jeunes et souriantes, modernes, intelligentes, des hommes au charme véritable, très élégants, et à la communication lisse comme leurs visages télégéniques. Des ambitieux qui travaillent sérieusement à notre malheur en nous tapant gentiment sur l’épaule et en nous racontant des sornettes, qui nous parlent d’une « start up nation », en pérennisant un système d’un autre temps, dont le conformisme et la ringardise sont les marques.

 

Camus déclarait en mars 1957 : « Ce qui définit la société totalitaire, de droite ou de gauche, c’est d’abord le parti unique, et le parti unique n’a aucune raison de se détruire lui-même. C’est pourquoi la seule société capable d’évolution et de libération, la seule qui doive garder notre sympathie à la fois critique et agissante, est celle où la pluralité des partis est d’institution ». Comment ne pas être globalement d’accord avec lui, et ne pas pointer aujourd’hui l’Algérie ou Cuba, la Chine ou la Corée du Nord ? Mais je voudrais aussi prolonger le propos, l’actualiser en quelque sorte. Encore faut-il, dans une société prétendument démocratique, qu’un parti ne soit pas en position de domination, ou que le pouvoir d’un leader charismatique ne s’affranchisse pas des partis.

Mais que penser quand les politiques n’ont plus la main et que le pouvoir est exercé par une institution, une administration sans contrôle ? En fait, je pense que le totalitarisme commence là où cesse la politique, c’est-à-dire la libre confrontation des idées et la possibilité d’un véritable choix. Et son niveau le plus abouti est la fin de l’état de droit. Et puis je rajouterai un dernier point, sans doute le plus important : on ne peut imaginer de gouvernement démocratique sans construction d’une société démocratique, et je vois trop que les Français, entre apathie et violence, sont de moins en moins informés et de moins en moins politisés. Ils sont découragés, ou s’en moquent ; et les gilets jaunes font tache – malheureusement pas « tache d’huile ».

 

La France, progressivement, mais rapidement, s’éloigne d’un schéma démocratique qu’elle n’a jamais atteint, et je ne vois pas comment ne pas écrire, sans chercher l’outrance, qu’elle est de plus en plus totalitaire. À croire qu’Orwell et Huxley étaient prophétiques.

 

Et si je pointe les raisons de ce pourrissement, c’est moins pour remuer le couteau dans la plaie que pour pointer dans le même temps les possibles réponses.

La bureaucratie étatique a pris le pouvoir, et l’exerce sans partage. Quelques dizaines de milliers de hauts fonctionnaires, non élus, mais cooptés, formés à une écrasante majorité à l’ENA, gouvernent le pays et ont réussi à imposer les leurs aux principales élections pour justifier d’une forme de légitimité. Emanuel Macron, comme le fut François Hollande avant lui, n’est qu’un représentant de la haute administration ;

Au fil des décennies, cette bureaucratie jacobine a construit tout un maillage d’institutions (agences, instituts, conseils, comités, commissariats, hautes autorités, observatoires, directions, bureaux, fondations), pour lui permettre de tout verrouiller, sans laisser la moindre liberté ou initiative aux usagers ou aux pouvoirs locaux ;

Elle a tout fait pour éloigner les gens de la politique, quitte à tout complexifier artificiellement pour réserver le champ de l’action publique à des spécialistes fonctionnarisés ;

Elle s’est alliée au Marché pour surveiller, contrôler et exploiter la population, transformant le consommateur en un animal de rente. Je remarque que tous les grands médias appartiennent au Marché et que notre siècle sera celui de « Big Brother » ;

Elle capte une partie essentielle et toujours croissante de la richesse produite (aujourd’hui plus de la moitié, demain 60, puis 70, puis 80 %), non seulement pour financer son couteux système de gestion et de prébendes, mais aussi pour rendre dépendant de l’État une partie toujours plus importante de la population (subventionnée ou allocataire), nous emmenant dans un schéma où une petite minorité de riches seront libres, car indépendants de l’État, et où la masse des gens seront totalement surveillés, dépendants et asservis à l’État. Rappelons que toute dépendance à l’État est une perte de dignité ;

Elle développe de manière méthodique, en s’appuyant sur les médias de masse, et en la justifiant « pour le bien et la sécurité de tous », une culture de l’irresponsabilité, de la soumission, de la surveillance, de la bien-pensance, une culture qui pue et me fait gerber.

Elle ne laisse aux esprits libres qu’une seule alternative : entrer en résistance.

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