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Contre l’oligarchisation de la démocratie, et pour une démocratie représentative aléatoire.

Je rebondis, prenant le risque du ressassement, et prolonge ici mon propos sur la faillite de notre social-démocratie. Il me semble que la vertu d’un système politique se toise à sa capacité à cultiver sa dimension démocratique ; et c’est du moins mon choix assumé. Et si la finalité essentielle d’une démocratie doit être la liberté individuelle des citoyens, ses principes constituants doivent être d’une part la souveraineté du peuple, d’autre part la séparation des pouvoirs. Et le résumer ainsi me permet de rendre hommage, à la fois à Rousseau, trop souvent méprisé, et à Montesquieu qu’on lui oppose parfois ; et à deux livres qui forment ma bible « publigonique »[1] : Du contrat social, et De l’esprit des lois. Tout y est.

Et observant le fonctionnement de notre démocratie française, je vois bien sa pauvreté, son caractère si peu démocratique ; Comme on dit sur le trottoir, ou sur le zinc : « en France, on a tout faux ».

 « Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice ».[2]

En France, le parlement ne joue pas son rôle, car il est constitutionnellement à la botte de l’exécutif, et de toute façon, c’est d’abord le gouvernement qui légifère, sur décision d’un homme entouré de quelques dizaines de conseillés, et courtisé par des lobbies ; et les députés y sont réduit à un rôle très modeste : ceux de la majorité doivent, au bout du compte, approuver, avec ou sans quelques amendements, ou quels cris d’orfraie ; et l’opposition doit s’opposer, par principe (démocratique ?), et cela, quel que soit la qualité ou la nécessité du texte proposé. Une saine répartition des rôles imposerait que le gouvernement gouverne et que les chambres légifèrent dans l’intérêt général. Cela ne se passe évidemment pas ainsi. Et on peut aussi utilement s’interroger sur ce que légiférer veut dire, en démocratie, et comment se crée l’intérêt général. Car, il ne s’agit pas de débusquer puis de révéler l’intérêt général, mais bien de le construire ; l’intérêt général, qu’il ne faut pas confondre avec l’intérêt majoritaire, étant une construction politique consensuelle.  D’ailleurs, quelle valeur donnée à l’intérêt ou à l’avis majoritaire. On connait ces majorités d’opinion qui se font par défaut et qui restent, dans les faits, minoritaires. Mais il suffit souvent d’une minorité déterminée, bien organisée, disposant de relais nécessaires, notamment dans les medias, pour emporter dans les urnes un semblant de majorité qui ne légitime rien.

La question de l’indépendance du pouvoir judiciaire est tout aussi critique. En France, elle n’est pas réalisée, et ne le sera pas tant que le pouvoir exécutif gardera un pouvoir de nomination, ou une capacité à influencer les nominations. Pour terminer ces premières remarques, sans volontairement les développer, je pointe la question de la laïcité, que l’on n’envisage jamais sur ce registre-là. Pourtant, parler de la séparation des églises et de l’état, c’est encore évoquer la séparation des pouvoirs.

 « Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible ».[3]

Rousseau le dit assez clairement. On peut pareillement dire que le corps politique est l’Etat (considéré en sa nature) ou le Souverain (considéré en sa fonction). Les membres du corps politique sont donc à la fois Souverain (collectivement), et citoyens et sujets (individuellement). Mais la chose peut être dite de manière plus moderne. En démocratie, il doit y avoir une forme de confusion, de superposition entre gouvernants et gouvernés, chacun doit donc être virtuellement voire épisodiquement, ponctuellement gouvernant. Il n’y a donc de démocratie que participative, et c’est bien l’esprit de la formule de Lincoln « Le gouvernement du peuple par le peuple, et pour le peuple ». Rousseau le dit clairement « La souveraineté populaire ne se délègue pas ».

 Reconnaissons-le, notre système de démocratie est à bout de souffle, et manque justement, durement, de dimension démocratique. Et le mal est facile à diagnostiquer. Nous avons réduit la démocratie à une démocratie représentative, et la démocratie représentative à des élections qui permettent de sortir de temps en temps, comme un vieux costume d’un placard où il attend, bouffé par les mites[4], des électeurs qui sont invités à choisir entre trois ou quatre partis politiques qui sont nourris par le système et qui se partagent le pouvoir et les rentes de la fonction. Le système que nous avons construit est élitiste, aristocratique, et ce défaut est congénital. Et je ne vois qu’une façon de reprendre le pouvoir que les partis politiques tiennent fortement en mains pour le redonner au peuple. Il s’agit, sans doute pas de renoncer totalement à la représentation élective, mais de revenir, pour l’essentiel, aux fondements – grecs – de la démocratie, c’est-à-dire au tirage au sort utilisé au siècle de Périclès, et que plusieurs pays européens semblent redécouvrir. Je renvoie ici à la lecture des textes de Bernard Manin « Principe du gouvernement représentatif », ou de David Van Reybrouck « Contre les élections », et à toutes les initiatives, en Europe et au-delà pour promouvoir des approches participatives.

 Peut-on rêver, en France, à terme, d’un changement radical de régime politique qui pourrait induire, à terme, un changement radical de régime psychologique, c’est-à-dire la fin de la relation dominant-dominé ? Comment cela pourrait-il fonctionner ? Comment passer d’un monde ancien qui meurt – le modèle vertical – à un monde nouveau – le modèle horizontal ?

Comment imaginer une innovation démocratique radicale qui ne serait, en fait, qu’un retour aux sources historiques du concept de démocratie. Je vois plusieurs axes de réformes indispensables qui permettraient de passer d’une démocratie représentative élective à une démocratie participative, au sens où la littérature politique l’entend, et comme la période est aux vacances, et aux jeux de plage (ou de rôle), je livre, un peu à la manière d’un think tank, quelques pistes possibles :

  1. Rendre le pouvoir au peuple.

Rappelons tout d’abord, que le peuple est, le plus trivialement du monde, constitué des citoyens, les gens pour le dire simplement, c’est-à-dire Mme Michu comme Mme Bettencourt.

L’Assemblée Nationale doit être constituée pour les deux tiers de citoyens tirés au sort, par régions, par exemple sur deux listes (une d’hommes et l’autre de femmes) sur lesquelles, des citoyens volontaires proposeraient leur candidature. Le troisième tiers pourrait être élu sur un scrutin national de liste majoritaire à un tour. L’ensemble des élus, qu’ils le soient par des électeurs ou par le sort, bénéficiant du même statut et des mêmes avantages.

Le Sénat serait profondément transformé, un peu sur le modèle du Bundesrat allemand, et deviendrait une assemblée des régions. Matteo Renzi ne tente-t-il pas de faire la même réforme en Italie ? Y siégeraient donc des représentants des régions, une vingtaine par région, sans indemnité particulière.

Les députés comme les sénateurs pourraient être élus pour 4 ans, et les assemblées renouvelées par moitié tous les 2ans.

 Pour les assemblées régionales (conseils régionaux, …), une dose importante d’élus tirés au sort est nécessaire (au moins la moitié).

Pour les élections municipales, la proportion d’élus tirés au sort devrait passer à 100 % pour les communes de moins de 5 000 habitants, toujours sur des listes de volontaires intéressés par la fonction. La présence d’une proportion très minoritaire d’adolescents de plus de quatorze, avec le même statut que les adultes serait une novation remarquable et nécessaire.

 L’élection du Président de la république resterait au suffrage universel, puisque les français y sont attachés ; les ministres choisis par le Président, et le poste de premier ministre conservé – le premier ministre devenant le n°2 du gouvernement. La composition du gouvernement doit être garante de son expertise.

 Le Comité Economique Social et Environnemental peut être conservé, encore qu’il ne serve aujourd’hui à rien (si ce n’est à salarier les amis du pouvoir). Il pourrait être avantageusement remplacé par un comité d’éthique garant de la laïcité (il ne pourrait donc y siéger aucun religieux) et des libertés individuelles, et constitué pour moitié d’experts tirés au sort, pour moitié d’experts désignés par les autres assemblées et le gouvernement.

 Le cumul des mandats serait évidemment limité, à tout moment à deux mandats, et dans le temps à deux mandats de même nature. Ainsi un maire pourrait être dans le même temps président d’intercommunalité, ou président du CHU de sa commune, ou député, mais sans mener de front plus de deux de ces mandats. De la même manière, Il ne pourrait exercer que deux mandats de Maire ou de Président de la république consécutifs ou non. En toute logique, le système devrait garantir, à l’issue des mandats, des conditions d’accompagnement et d’indemnisation chômage très sensiblement rallongées. Evidemment, un fonctionnaire souhaitant s’engager durablement dans la politique devrait, à l’issue d’un premier mandat, quitter la fonction publique.

 2. Séparation des pouvoirs.

Le Président ne doit pas pouvoir dissoudre les assemblés, ni les assemblées, par un vote de défiance faire tomber le gouvernement. Mais des procédures d’empêchement (visant le Président) peuvent être prévues, et votées à une large majorité.

L’indépendance du pouvoir judiciaire doit être renforcée. Par exemple, les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature doivent être nommés par les Assemblées pour une période de 6 ans renouvelable par moitié tous les 3 ans. Ils doivent nommer les magistrats du siège.

 Pour le reste, j’aurais pu mêmement proposer des pistes, s’agissant par exemple du Conseil Constitutionnel, ou de telle autre structure institutionnelle, mais mon but ici n’était que de montrer que des solutions existent, pour peu que l’on se penche sur la question.

 Comme l’écrit David Van Reybrouck, comparant les années 2010 avec 1850 : « A l’époque, la grande question, c’était le droit de vote ; aujourd’hui, c’est le droit d’expression. Mais au fond, c’est le même combat : c’est le combat pour sortir de la curatelle politique, pour la participation démocratique. Nous devons décoloniser la démocratie. Nous devons démocratiser la démocratie. » Oui, c’est la même question, la seule qui m’importe, celle de la liberté.


[1]. Si je peux me permettre l’invention de ce mot valise : publi, comme publica et gonique, … (Devrait-on dire poligonique ?).

[2]. Montesquieu.

[3]. Rousseau.

[4]. Poussant  au bout l’image, j’avais envie d’écrire les mythes, mais un lecteur inattentif aurait pu croire à la faute d’orthographe.