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Péché d’orgueil.

Aristote notait que l’homme étant un animal social et par ailleurs le seul doué de la parole pouvait se définir comme « animal politique » ; et il développe cette idée, trois siècles avant notre ère, dans un texte très connu sous le titre de « La politique »[1]. Qui peut pertinemment contester cette analyse ? Loin de ce désir, et cherchant sur un registre plus psychologique la meilleur définition possible de l’humain, ou du moins celle qui me parle le mieux, je dis, moi, que l’homme est un « animal orgueilleux ».

Évidemment, le don de la parole le distingue des autres êtres vivants, ainsi que, d’une manière induite, une conscience plus claire de lui et du monde, mais aussi l’humour, la sensibilité artistique et beaucoup d’autres choses, car décidément l’homme est singulier. Mais au-delà de tous ses attributs, son orgueil, parce qu’il en a un gros, me semble bien le caractériser. Et j’aime cette formule car elle hiérarchise les créations de la nature, classant l’homme à part, mais sans créer une hiérarchie morale si claire, car tout chez l’homme est ambiguë. L’homme ne peut être comparé à nul autre animal. Il fait la guerre et tue ses congénères sans réelle nécessité, abuse de sa force pour le simple plaisir d’en jouir, est capable de raser une cité, de supprimer un peuple, une race, par simple idéologie.

L’orgueil est le péché originel de l’humanité.  L’herméneutique judéo-chrétienne nous le signifie assez clairement. Regardons du côté de la Genèse. Adam et celle qui fut tirée de sa côte pour vivre à ses côtés, vivaient en paradis, c’est-à-dire en innocence, car l’éden[2]est par définition le lieu où le péché n’existe pas. Cette utopie n’est pas seulement une ou-topos métaphysique, une utopia, c’est aussi une uculpa. Le premier couple n’était donc pas, dans cet état édénique de leur enfance, un couple d’êtres humains, mais d’animaux, car comme eux, il ignorait les questions morales, et vivait donc dans un monde sensible et phénoménale, un monde de la connaissance sans vraiment de conscience. Si l’animal n’est pas « politique », c’est que la question morale ne l’affecte pas. Il tue pour se nourrir ou pour défendre ses petits, et si le chat torture la souris, il le fait par jeux mais sans aucune méchanceté. J’imagine bien qu’Eve fît de même avec son homme, sans méchanceté, lui disant que ce soir : « non, pas ce soir, j’ai la migraine … ». Le serpent qui symbolise ici la sagesse[3], et mal lui en prit, initiât le couple à la dialectique, et les ouvrit aux questions morales : il leur fit gouter le fruit « de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Ils en mangèrent et « prirent conscience qu’ils étaient nus ». Par la sagesse, c’est-à-dire aussi par la ruse, ils accédèrent à ce que je nomme, paraphrasant Schopenhauer « le monde comme conscience du monde » –  « Leurs yeux à tous les deux s’ouvrirent », et ils découvrirent la faute et le remord. Ils devinrent homme et femme, et cessèrent d’être bêtes. Ils en goutèrent et virent qu’ils étaient nus. En effet l’homme est le seul animal à s’habiller, et la femme à suivre la mode. Et de ce changement de statut ontologique, ils en connurent un orgueil proprement humain – l’orgueil sans doute de pouvoir être jugés et de pouvoir juger (les animaux ne comparaitront pas lors du jugement dernier). Ce que le texte testamentaire ne dit pas, c’est que le premier couple cessa de manger, en toute innocence, ses enfants, et que ce fut le début de la prolifération gangréneuse de notre espèce sur notre planète. Car si nous devons honorer nos ancêtres ce sont moins Adam et Eve qui doivent l’être car ils furent d’abord des animaux que leurs enfants qui ne furent tout au long de leur vie de douleur que des hommes et des femmes, et qui commirent l’adultère et le meurtre, et connurent le remord et la mort.



[1]. « Toute cité est naturelle puisque les communautés antérieures [la famille, le village, les premières cités et les tribus soumises à un roi] dont elle procède le sont aussi.[…] Il est manifeste, à partir de cela, que la cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé soit un être surhumain […].

[2]. Éden veut dire délice en Hébreux, et c’est vrai que vivre en ignorant la faute, c‘est-à-dire faire tout ce que l’on souhaite et peut faire sans le payer du remord, doit être un vrai délice.

[3]. Dans l’astrologie chinoise, le Serpent est symboliquement associé à la sagesse, la culture, la réflexion, la créativité, la connaissance de soi…