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De la médiation.

Je voudrais dire ici quelques mots sur la médiation, comme Bruno, en d’autres temps, écrivit sur les liens[1] et j’en prends prétexte pour évoquer ce religieux de la renaissance, métaphysicien du XVIe siècle que l’Église immola à sa folie, à Rome, Campo de Fiori[2], à l’aube du 17 février 1600.

Je suis en effet très attaché à Bruno, esprit nietzschéen (pardon pour l’anachronisme – doit-on plus justement dire que Nietzsche était nolain[3] ?) et dont l’esprit mélancolique a tout pour me plaire et m’être familier : Déclaré hérétique impénitent, entêté et obstiné, il fut condamné à la dégradation des ordres ecclésiastiques, excommunié du sein de l’Église, consumé sur le bûcher et tous ses livres publiquement brulés sur la place Saint-Pierre et mis à l’Index. Et sa proximité avec Nietzsche est forte. Giordano Bruno se présente par exemple, en titre du « Chandelier » : In tristitia hilaris, in hilaritate tristis (gai dans la tristesse, triste dans la gaîté) et Nietzsche recopiera cette formule qu’il s’approprie sur une de ses photos de 1870 qu’il conserve.

J’ai déjà eu l’occasion de réfléchir dans d’autres textes aux liens et à cette distinction entre ce qui relie et ce qui lie, mais fermant cet hommage à Bruno, revenons à la médiation, pour distinguer les médiations de fermetures et celles d’ouverture.

L’Etat comme l’Eglise est médiateur, et je nomme parfois le premier : « petit » et l’autre : « grand ». Le pouvoir (comme d’ailleurs l’amour) est une médiation, mais cette médiation est toujours aliénante. Vivre dans le présent de l’espace et du temps, affranchi du souvenir et de l’anticipation, des besoins et des peurs, sans médiations, serait donc la seule éthique libertaire.

Pourtant, existent aussi des médiations d’ouverture : l’art évidemment, mais aussi la philosophie quand elle prend comme forme, ou qu’elle a comme source, l’intuition métaphysique. Et ces médiations constituent le seul lien capable de nous mettre en relation avec ce qui est en-deçà du phénomène, ce que j’appelle la Vérité et qui est le nom simple et choisi pour cela des « choses en soi ».

Toute une tradition philosophique depuis Platon jusqu’à Kant considère que nous vivons dans un monde (ce que je nomme par distinction avec le vrai, la réalité) dont la « géométrie » est caractérisée par l’espace, le temps et la causalité. Et j’utilise à dessein le terme de géométrie, alors que la philosophie parle traditionnellement de modalité. Les modalités de notre connaissance du monde, ce que l’on appelle ici immanence, ou ailleurs monde sensible et phénoménal, sont donc l’espace, le temps, la causalité. Et tout esprit religieux, qu’il soit déiste ou matérialiste[4], croit à l’existence d’une transcendance, à l’existence d’un monde ou d’une dimension des choses en soi qui échappent à l’espace, au temps, à la causalité. Et pense que la géométrie de ce monde nouménal est ce que l’on nomme communément la morale (la morale religieuse n’en étant qu’une traduction biaisée, faussée). Mais chacun pourra se replonger dans la lecture de Schopenhauer qui mieux que tous distingue monde phénoménal et nouménal, représentations et choses en soi, qui construit une philosophie préparant celle de Nietzsche, et qui défend l’idée qu’une Volonté, qui est pour lui « volonté de vivre », existe comme désir d’objectivation dans le réel, dans les phénomènes. Ce « vouloir vivre » serait présent partout comme essence et s’objectiverait dans l’espace, dans le temps selon les causalités génitrices, pour devenir « représentation », par le processus de la connaissance. Notre monde sensible serait donc une objectivation de la volonté de vivre, une illusion, et la première de ces illusions serait l’apparente multiplicité des choses et le sentiment d’individuation.

Mais la contemplation esthétique (de la nature ou d’une œuvre d’art) serait le seul moyen, le média privilégié d’accès au beau (la morale du monde des choses en soi, du monde comme volonté), donc de contemplation de la vérité, c’est-à-dire du vouloir vivre.



[1]. Voir « Des liens », ouvrage  que Giordano Bruno termine, d’ailleurs de manière très abrupte, en 1591.

[2]. On y voit sa statue.

[3]. Bruno, natif de Nola (en Italie) se faisait appeler Le Nolain.

[4]. On peut parfaitement être matérialiste et religieux dès lors que l’on croit que la matière, n’est non pas produite par l’esprit, mais a comme essence le logos.