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De la responsabilité.

Être responsable, ce n’est pas, comme je l’entends trop souvent, être « cause de ». La responsabilité est une assignation, parfois injonctive, à assumer, c’est-à-dire à porter et à rendre compte – qu’importe que l’on ait enfanté, si l’on reconnait ou si l’on adopte. On doit rendre compte de ses actes, mais aussi, en droit, de ceux de ses enfants, animaux domestiques ou de rente, de ses employés, de ce que l’on possède, garde, ou fabrique. La responsabilité est donc l’attendu du jugement, voire le présupposé de la justice (dans un cadre légale). Mais si la responsabilité n’est pas corrélative de l’acte, du phénomène, qu’elle en est donc le fondement ? Je réponds que son fondement est moral ou légal, c’est-à-dire que c’est un a priori, et que cet a priori existe dès qu’il est accepté comme tel. Là aussi, l’existence précède l’essence. Ce n’est pas le jugement, ou l’évaluation d’une causalité qui décrète la responsabilité, c’est la responsabilité considérée comme une donnée apriorique qui rend le jugement possible.

Et il n’y a de responsabilité que vis-à-vis d’une communauté de tiers, en référence à la loi, ou bien vis-à-vis de soi, en conscience. La responsabilité est donc soit conventionnelle – en général légale – soit morale. Et on ne peut pas ne pas distinguer ici nomos et physis, la loi et la morale, la responsabilité légale et la responsabilité morale.

Et si je tente ici de clarifier ce propos, c’est que la notion de faute est corrélative de celle de responsabilité ; faute que l’on peut nommer crime ou délit, en nomos, faute morale en physis, ou péché sur le registre religieux – en logos. Et il est intellectuellement salutaire de distinguer ici la loi, qui est une réalité sociale partagée, la morale, réalité toujours singulière – la conscience étant le seul casuiste légitime –  et la religion, qui n’est qu’une réalité sublimée, mythifiée, mais fantasmagorique ; et dont je dénonce les dangers à longueur de texte, assumant cette posture militante.

Et cette posture antireligieuse n’est d’ailleurs pas strictement antichrétienne. Evidemment, et malgré le parcours extraordinaire de Jésus et la profondeur d‘une partie de son message, je combats, en fidèle nietzschéen, la religion chrétienne. Et pour justifier cet écart d’adhésion entre le Jésus historique et le personnage conceptuel du Christ, je pourrais rappeler, en citant Deleuze, qui d’ailleurs s’exprime ici dans un essai sur la philosophie de Nietzsche que « L’inventeur du christianisme n’est pas le christ, mais Saint Paul, l’homme de la mauvaise conscience, l’homme du ressentiment ». On pourrait rajouter « l’homme de l’idéal ascétique ». Mais plus largement, je conteste toute démarche religieuse, tout enfumage clérical. Et le fait que le pape soit sincère, généreux, sympathique, le rend plus dangereux encore, et ne change rien au fond. Car toute religion cherche à donner corps à un monde suprasensible (un inter monde), en construisant ce monde de l’au-delà à l’image inversée du notre[1], en nous éloignant donc de notre monde sensible, et ce faisant, en nous désinvestissant de « la vallée de larmes » qui est notre quotidien – et ce désinvestissement est une déresponsabilisation. Notre monde étant matériel, l’autre ne peut l’être, l’homme étant peccamineux, mortel, faible, mauvais, Dieu doit être éternel, omnipotent, bon, impeccable. C’est pourquoi le monde supra sensible est toujours anthropomorphique, et en fin de compte, notre théologie n’est qu’une anthropologie.

Mais restons sur la difficile question de la responsabilité. Derrière le choix de condamner une démarche religieuse, morale, se défend un choix éthique alternatif qui veut privilégier le réel sur le vrai, s’en tenir au phénomène faute de pouvoir connaitre le noumène ; Ici se justifie une posture que je qualifierais d’épicurienne et qui fera toujours le choix de la positivité sur la véracité, du bon sur le bien. Ou, pour le dire autrement, et en des termes qui sont choisis ici pour choquer : pour ce qui me concerne, la vérité et le mensonge ont la même autorité – et le même statut : ce ne sont que des discours ; reste la conscience comme seule autorité, et la responsabilité posée comme un a priori ; une responsabilité qui n’a pas besoin du primat de la morale, car elle constitue en soi, une éthique.

Et il y a donc, en matière de responsabilité, deux dialectiques envisageables : celle de la « responsabilité – dette » et celle de la « responsabilité – ressentiment ». La première est active, saine, laïque ; la seconde passive, malsaine, religieuse. Et chacun devrait comprendre où le choix religieux nous mène, ou nous ramène, à un soi-disant péché originel, dont la dette ne peut être payée par les hommes ; ce qui justifie qu’elle le fût par Dieu lui-même, en la personne crucifiée de son fils ; et ce qui permet à une certaine église de prétendre que la dette est toujours existante, mais au crédit du fils, donc du père. Allez comprendre …

La dette doit être immanente, rachetable – au moins en principe à défaut de l’être toujours dans les faits[2] –, et le créancier réduit à la victime ; la religion en fait une dette transcendante dont le créancier serait l’Idée : Dieu ou le bien. Le péché étant une dette souscrite sur l’idée de bien. Sur le premier registre la douleur peut être extériorisée et guérie. Sur le second, elle s’intériorise sous la forme d’un sentiment de culpabilité qui sclérose notre humanité. Remarquons à nouveau, et pour conclure – puisqu’il faut conclure ces réflexions d’un froid matin de printemps – la construction « morale » de nos sociétés soit disant laïques. La dette y est considérée comme dette vis-à-vis de la société – qui souvent n‘a pas souffert du délit –, de la loi – qui n’a pas plus souffert –, de la morale, qui n’est ici qu’une autre façon, laïque, de nommer Dieu.



[1]. Ce que Feuerbach a bien montré dans « L’essence du christianisme ».

[2]. Rappelons qu’est grave, une perte conséquente pour qui la subit et irréversible (comme de vieillir, …). Comment réparer l’irréparable ?