Trois séquences, une même frustration…

En créant ce blog, je n’avais aucune prétention à la toutologie. Oui, je n’ai appris que récemment le sens de ce terme si peu flatteur de « toutologues » appliqué à certains chroniqueurs qui savent avoir des idées sur tout et s’en faire un métier. Mon désir, c’était la philosophie, non pas de faire preuve d’érudition pour traiter de l’ontologie de ce qui est ou du sexe des anges, et se présenter à l’occasion comme spécialiste de l’histoire des concepts, mais simplement tenter de jeter un certain regard sur les choses. Et peut-être d’essayer de penser à haute voix – « la voix de l’âme », ce que d’autres ne pensent pas, ou pas comme ça. Et si je ne commente pas souvent l’actualité, c’est déjà parce que des travaux d’écriture, laborieux, me retiennent ailleurs ; en second lieu, parce que j’aime avoir un peu de recul sur ces choses que l’on voit mieux de loin. Enfin, car mon autre passion étant la politique, j’ai toujours peur de me laisser emporter par elle et de me laisser surprendre à tenir des propos politiciens comme on le ferait sur le zinc, un verre de blanc à la main. Mais là, c’en est trop… Et si je ne réagissais pas, on pourrait me taxer de cécité ou d’indifférence.

La situation est chaotique. Mais prendre la plume, ou plutôt ouvrir mon PC pour dire ça est un peu court. Quand même… jamais deux sans trois ; et il me semble que sous une nouvelle forme, on remet le couvert. Il y a eu « Nuit debout » et puis les « Gilets jaunes ». Aujourd’hui, un nouveau chaos sans nom – pas sans nom, Darmanin parle de bordélisation, et c’est assez juste. Des situations un peu différentes, et chaque fois une étincelle pour tout embraser et rappeler aux citoyens leurs frustrations : avant-hier, une loi travail contestée, hier le prix du gasoil, aujourd’hui la réforme des retraites : 2016, 2019, 2023. Mais, ce qui s’exprime dans ces trois mouvements, c’est la même frustration, la même colère, une identique convergence des luttes pour le droit de choisir son avenir et contre les décisions d’une élite hors-sol, et aux ordres de Bruxelles. C’est la « vieille » question démocratique. Si, selon la formule consacrée, la tyrannie, c‘est : « ferme ta gueule ! », la démocratie semble nous dire : « cause toujours ! ». Les gens ne sont pas représentés et les lois se font sans eux, loin d’eux, contre eux, alors que la démocratie, par définition, ce devrait être « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Où en est-on ? Le gouvernement d’une technocratie sans imagination qui considère « qu’on n’a jamais le choix », et dont notre président est un archétype caricatural ; c’est-à-dire qui considère la politique inféodée à l’économie, et le droit civil devant découler de la loi du marché.

Évidemment, en ce samedi d’écriture où je vois des voitures de police incendiées par des adeptes de l’ultra violence, je serais tenté de faire cette chronique sur cette violence, mais j’ai peur que ce ne soit que l’arbre qui cache la forêt, et que ces casseurs fassent le jeu d’Emmanuel Macron qui ne manquera pas d’instrumentaliser cette violence qu’il a contribué à provoquer. Restons donc, quitte à revenir sur ce point, sur le problème de fond, la déliquescence de notre cinquième république. Les gens veulent de la démocratie, ils vivent dans un tout autre système. Il faut le dire, on ne le dit pas assez dans les médias. Il faut appeler les choses par leur nom et c’est là où le philosophe peut se rendre utile. Je pourrai citer Montesquieu et puiser dans « L’esprit des lois », citons, pour faire plaisir à Mélenchon, Rousseau, toujours très clair – et précisément « Du contrat social » quand, au chapitre trois, il traite des différentes formes du gouvernement : « Le Souverain peut, en premier lieu, commettre le dépôt du gouvernement à tout le peuple ou à la plus grande partie du peuple, en sorte qu’il y ait plus de citoyens magistrats que de citoyens simples particuliers. On donne à cette forme de Gouvernement le nom de démocratie. Ou bien il peut resserrer le Gouvernement entre les mains d’un petit nombre, en sorte qu’il y ait plus de simples Citoyens que de magistrats, et cette forme porte le nom d’Aristocratie. Enfin il peut concentrer tout le Gouvernement dans les mains d’un magistrat unique dont tous les autres tiennent leur pouvoir. Cette troisième forme est la plus commune, et s’appelle Monarchie ». Et Rousseau rajoute ailleurs : « les mots ne font rien aux choses, et quand le peuple a des chefs qui gouvernent pour lui, quelque nom que portent ces chefs, c’est toujours une Aristocratie ». Et on peut d’ailleurs rappeler qu’Aristote, Montesquieu ou Rousseau – ce ne sont pas les seuls – affirmaient que les élections étaient intrinsèquement aristocratiques. Citons Montesquieu, moins prisé par Mélenchon : « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix, et de celle de l’aristocratie. Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie ».

Tout observateur un peu honnête voit bien que nous sommes depuis trop longtemps gouvernés par une aristocratie, dont la plus grande partie est constituée par une haute fonction publique formée à l’ENA, et que l’Assemblée – qui vota en 2005 la constitution européenne que le peuple avait refusée par référendum – ne les représente pas, ou si mal. Mais, depuis l’élection de Jupiter, plus encore son second mandat sans majorité, nous sommes passés à autre chose, à une monarchie, au sens traditionnel du terme. Rappelons qu’une monarchie, par définition, n’a nul besoin d’être de droit divin, ou héréditaire – Hugues Capet fut élu roi des Francs en juillet 987. Nous sommes bien en monarchie, au sens premier du terme (du grec mono « seul » et arkhe « pouvoir » – le pouvoir d’un seul), et les Français qui, c’est vrai, ont accepté en 1852 le Second Empire, restent très opposés à la monarchie, et se distinguent totalement, sur ce point, de nos amis britanniques. Je ne peux évidemment pas prédire l’avenir, mais la chose ne passera pas. Les Français peuvent se lasser un temps, être effrayés par trop de violence, se laisser retourner par les médias. Mais si la question démocratique n’est pas sérieusement prise en compte, les braises continueront à couver et la rue s’embrasera à nouveau, à un moment ou à un autre – en 2025, 26 ou 27 ?

Terminons pour évoquer la violence. Personnellement, je la condamne sans équivoque. On peut ne pas aimer les flics, on doit les respecter. En hiérarchisant, dans mes derniers livres, les maux de l’Occident, je citais d’abord l’érosion de nos libertés, et puis la question environnementale, puis celle de la violence, et puis, et puis… Nous vivons dans un monde de plus en plus violent : violence de l’État et du Marché – nous subissons l’une et l’autre quotidiennement –, et des citoyens entre eux. Notre monarque à l’ego boursouflé est lui aussi est d’une extrême violence. Il adore visiblement le rapport de force, convaincu qu’il saura toujours sortir vainqueur de ses confrontations avec la foule ; et cette violence alimente celle de la rue qui ne s’en trouve pas justifiée, mais trouve là des prétextes à bordéliser notre pays. Quand les gamins se chamaillent, on leur dit parfois que « c’est le plus intelligent qui doit s’arrêter le premier ». Notre monarque y est-il prêt ? prêt à dire « pouce ! », à dire comme un autre en d’autres temps : « je vous ai compris », prêt à nous promettre une refonte profonde de notre République et l’approbation « rapide » d’une nouvelle constitution par voie référendaire ?

Oui, il faudrait aller jusque-là, et la conscience alors tranquille, fort du soutien du peuple, s’attaquer aux casseurs qui n’auraient plus alors de justification à la casse. Et c’est là où je plaiderai, parmi d’autres choses, et s’agissant de la nomination des députés, d’une combinaison du vote et du sort – Sieyès l’avait proposé en son temps, puis l’oubliera rapidement, puis finira par faire la courte échelle à Bonaparte.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *