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L’esprit de révolte.

Au fil de ses chroniques hebdomadaires, le mescréant philosophant crie, pleure, invective, vitupère, et si ses épanchements sont si abondants, c’est qu’ils sont faits de pleurs, de sang et de morve mêlés. Mais il assume cet état pathologique tout comme il reconnait ses antipathies qui sont autant de peurs névrotiques de ceux que Nietzsche appelait « Les prédicateurs de la mort », c’est-à-dire les religieux de tous bords ; et de l’état que le philosophe allemand dénonçait avec autant de force : « L’État c’est ainsi que s’appelle le plus froid des monstres froids et il ment froidement, et le mensonge que voici sort de sa bouche : « moi, l’État, je suis le peuple »[1]. Oui, le mescréant est un révolté au sens ou Stirner l’entendait, opposant cette figure conceptuelle à celle du révolutionnaire. Et la position du penseur de « l’Unique et sa Propriété » préfigure celle de Camus qui défend la même idée, et qui, dans « l’homme révolté », parle en ces termes de l’esprit de révolte et écrit de l’état : « L’étrange et terrifiante croissance de l’État moderne peut être considérée comme la conclusion logique d’ambitions techniques et philosophiques démesurées, étrangères au véritable esprit de révolte, mais qui ont pourtant donné naissance à l’esprit révolutionnaire de notre temps »[2] . Où l’on voit cette grande proximité des sensibilités de Camus et de Nietzsche[3].

L’esprit de révolte – qui n’est qu’une autre façon de nommer ce que Nietzsche nommait, lui, l’esprit libre[4] combat tous les totalitarismes, qu’ils s’expriment comme religion, moraline, idéal ou pouvoir. Car il sait que la vraie morale se moque de la morale et que, dès que la morale se fait dogmatique, elle devient religieuse ; et qu’il faut donc se méfier des fausses certitudes, des idéaux magnifiés et de l’esprit d’orthodoxie. On peut d’ailleurs à ce propos relire le court essai de Jean Grenier « Essai sur l’esprit d’orthodoxie », et si je cite ce philosophe c’est qu’il fut à Alger le professeur de philosophie de Camus.

Et le mescréant n’a pas peur des paradoxes et les aime d’autant plus qu’ils ne sont souvent que jeux de mots qui illustrent, à leur manière, l’un des principes cosmogoniques de l’univers : le principe d’ironie. Considérons la religion, qu’il dénonce comme Nietzsche la dénonçait. Ce dernier écrit dans le « Gai Savoir » que « dans toute religion l’homme religieux est une exception ». Considérons encore la politique pour convenir que seul un mouvement apolitique – au sens commun mais faux du terme – peut aujourd’hui faire de la politique. Car, comme les partis institutionnels n’ont plus d’autre but que de prendre et de conserver le pouvoir, comme notre pays est découpé en métropoles qui sont autant de domaines féodaux ou des petits chefs aux méthodes mafieuses défendent et exploitent sans partage leur fief, comme les politiques ont déserté la politique, abandonné le combat des valeurs en réduisant la politique à l’économique, on ne peut refaire de la politique que de manière apolitique, c’est-à-dire hors de partis politiques, qu’ils se prétendent d’ailleurs de droite ou de gauche.

Et le mescréant n’a pas peur non plus de condamner la social-démocratie, qui pourtant fait l’unanimité, au risque de se faite traiter par les uns « d’extrémiste de gauche », et par les autres « d’extrémiste de droite ». Non, il est « simplement » nietzschéen, ou camusien si l’on préfère, et il rêve d’une société de « maîtres sans esclaves ou du dépassement aristocratique de l’aristocratie »[5]. Et la social-démocratie c’est aujourd’hui une société d’esclaves sans maître – car même nos maîtres sont des esclaves –, sans noblesse, sans goût du dépassement, une médiocratie institutionnalisée.   



[1]. Ainsi parlait Zarathoustra.

[2]. Dans l’homme révolté.

[3]. Comme écrivait son biographe Roger Grenier : « On n’en finit pas de trouver Nietzsche au détour de l’œuvre de Camus ». D’ailleurs, lorsque Camus mourut dans un accident de voiture en 1960, on trouva dans sa sacoche un exemplaire du Gai Savoir.

[4]. Son livre d’aphorismes « Choses humaines, trop humaines, répondra, dans son édition complètes avec ses deux appendices, au titre « Choses humaines, trop humaines, un livre pour esprits libres ». (Nota : Une tradition française traduit le titre « Humain, trop humain », alors que d’autres traditions préfèrent « Choses humaines, trop humaines ».

[5]. Oui, tout le verbe de cette formule, idée et langage, est nietzschéen. Pourtant la formule est de Raoul Vaneigem dans un manifeste du situationnisme de 1967 : « Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations ».