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En quête de spiritualité

La guerre israélo-iranienne semble devoir nous en faire oublier une autre, européenne celle-là. Restons donc au Proche-Orient pour évoquer l’intervention militaire américaine de la nuit dernière : le largage, le 22 de ce mois de juin 2025, de 14 bombes GBU-5722. Et pour remarquer que si Trump, très lourdement, en commentaire de sa décision, a remercié Dieu pour son succès, Netanyahou n’est pas en reste pour évoquer souvent son Dieu et le louer pareillement. Quant au Guide suprême de l’Iran, à qui on pourrait faire remarquer qu’il a suprêmement guidé son pays dans une impasse, toute sa politique est justifiée par la volonté divine telle qu’il la comprend et l’explique. Et ces trois-là étant des monothéistes, ils revendiquent chacun une foi dans le même Dieu. A-t-on affaire à une nouvelle guerre de religion ? Qui aurait pu prévoir que notre modernité serait à ce point religieuse ? Malraux ?

Et cela m’amène à deux remarques, dont la première tient à cette évidente fracture de la civilisation occidentale que J. D. Vance a évoquée dans son discours de Munich de février dernier. Il y a bien aujourd’hui deux occidents. Le premier qui n’a pas rompu avec ses racines religieuses judéo-chrétiennes, et l’autre, Européen qui prend de plus en plus de distance avec ces racines et promeut des politiques plus ou moins laïques. Cette différence étant très remarquable entre la Grande-Bretagne et les USA. Et c’est peut-être moins le continent américain qui a beaucoup évolué sur ce plan, que l’Europe qui a renié ses fondamentaux. Et je remarque que s’il est convenu de nommer l’Europe moderne, et notamment après la création de l’UE, « nouvelle Europe », cette expression était utilisée au XVIIIe et XIXe siècle pour désigner l’Amérique. Comme je remarque que ce sont peut-être les québécois qui se sont le moins éloignés d’un certain parler « vieux français ». Et je crois que dorénavant, à moins que l’Europe change radicalement de chemin, en tournant par exemple le dos au wokisme et en s’affirmant face à l’islam, il faudra bien intégrer cette rupture entre les Occidentaux. Quand, seconde remarque, lors des premiers conflits mondiaux l’Amérique est venue au secours de l’Angleterre (et accessoirement de la France), c’est que ces deux peuples étaient proches et partageaient les mêmes valeurs. Aujourd’hui, Trump l’a assez dit et son vice-président est clair, nous ne partageons plus les mêmes valeurs, et cela modifie considérablement les relations internationales.

Mais je voulais aussi évoquer la question induite de la spiritualité. Car j’entends, ici, certains catholiques engagés, et parfois complaisants avec Trump, saper, tout en prétendant la défendre, la laïcité, au prétexte que la dérive morale de notre nation, et particulièrement d’une certaine jeunesse serait due à une absence de spiritualité, de transcendance, donc de religiosité. Mais cette hypothèse est un peu courte. Faut-il, pour structurer une analyse, toujours opposer spiritualité et matérialisme, alors que d’autres approches sont possibles : laïcité versus religiosité, idéalisme vs consumérisme, ou idéalisme et nihilisme ?

Je pense qu’effectivement nous avons collectivement beaucoup perdu sur le registre des valeurs, de l’engagement, et admettons-le, de la spiritualité. Et admettons aussi que les religions, comme en Iran, répondent à leur façon à ses questions. Mais on peut, bien évidemment, avoir des valeurs – c’est-à-dire penser que tout ne se vaut pas ­– cultiver une éthique de la responsabilité, être convaincu qu’existent des forces immatérielles, donc spirituelles, que l’on peut créer, invoquer ; et aussi des principes supérieurs à l’homme. Et tout cela, sans passer par la « case » religion. Et je remarque que ces jeunes qui « piquent » des femmes à la seringue le font principalement pour leur interdire l’espace public, dans l’idée de conformer la société à des règles islamiques, donc religieuses, donc spirituelles. Ce qui manque à une certaine jeunesse que l’on qualité dans certains médias de barbare, ce n’est donc pas nécessairement une religion, ce n’est pas la foi en un Dieu quelconque, ce sont des valeurs, des principes moraux, d’éthique… et un idéal, au moins des perspectives d’avenir pouvant constituer soit une utopie collective à laquelle ils pourraient alors travailler, soit une utopie personnelle, singulière, existentielle. Mais ces barbares n’en sont pas là. Et s’il faut réprimer leurs agissements ultras violents, c’est en admettant qu’ils sont le produit de la société que nous avons créée. Soyons plus précis, certains d’entre nous ont fait ce choix politique, et la grande majorité l’a accepté. Nous avons tout cédé à l’économie, et avons accepté que l’intérêt économique le plus trivial devienne le seul moteur du progrès ; alors que cela aurait dû être le désir d’améliorer le sort des gens. Car c’est bien la politique qui est responsable en ayant accepté de réduire les valeurs aux financières et de se voir encadré par la technobureaucratie.

On reproche aux casseurs de n’avoir aucune valeur, mais quelles sont celles de notre société ? Elle les a négligées, puis piétinées, enfin déconstruites, sans les remplacer : merci à la communication, merci à la publicité, merci aux wokistes et autres idéologues qui jouent avec les concepts, au point que même les mots n’ont plus de sens : homme, femme, féminisme, racisme, fascisme, écologie, etc. Et merci au Marché. Aujourd’hui on en vient à envisager – la question étant posée – d’autoriser, voire de rembourser le changement de sexe de mineurs : « Trouble dans le genre », trouble dans les valeurs, trouble dans la tête des gens ; trouble, donc malaise, donc violence.

Ils n’auraient pas de principes moraux… Mais quand une partie de la classe politique ment, se sert dans la caisse, que la république est devenue une république de juges qui font et défont l’état de droit…

Et pas d’idéal ? Mais notre président était lui-même incapable, au seuil de son mandant de nous proposer une vision, un projet, un idéal national.

Quant aux perspectives d’avenir, « no futur ! » Ces jeunes n’ont pas d’avenir, ils le savent. Et ce n’est pas de leur faute. Quoi ? Il faudrait qu’ils acceptent de traverser la rue pour trouver un job… un job de livreur de pizza ? Sans même un statut de salarié ? Et les plus chanceux pourront terminer comme manutentionnaires ou caissières de supermarché. Je comprends qu’ils aient la rage. Je comprends, sans l’accepter, qu’ils s’en prennent aux représentants de l’État qui pourtant n’ont aucune responsabilité dans cette faillite politique. Les seuls vrais responsables ce sont les politiques qui seuls, ont le pouvoir de faire, et puis sans doute les médias, spécialistes du « brainwashing ».

Je conclus en prenant le risque de perdre mon lecteur, car je veux reprendre un fil que j’ai un peu laissé filer, porté et tendu par le souffle de mon humeur du jour. Je reste un esprit laïque, antireligieux, et capable, non seulement de cultiver une spiritualité authentique, mais de croire aussi à la possibilité d’une forme de métaphysique non religieuse, donc à usage laïque ; est-ce possible et qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? A savoir qu’on peut croire – et savoir que l’on croit n’est pas croire que l’on sait – que l’existence de l’humain est tout sauf un hasard, mais plutôt une nécessité, et que donc toute éthique doit être fondée sur un principe de responsabilité et sur le respect et la préservation de ce qui constitue l’essence de l’homme : un être vivant, mais mortel, sexué, en relation vitale avec son environnement naturel, capable d’une vie spirituelle plus ou moins riche, et dont l’intelligence singulière l’oblige. D’où ce principe de responsabilité, bien développé par Hans Jonas.

Revenons une dernière fois à ces barbares. Ils n’ont à l’évidence pas intégré ce principe de responsabilité. La faute à qui ? À leurs parents, sans doute dépassés ? À l’État, objectivement dépassé ? L’État fait tout pour déresponsabiliser l’individu et freiner toute tentative d’engagement collectif. Deux exemples qui m’ont particulièrement frappé : la façon dont un très jeune enfant fait du tricycle est règlementée (port du casque obligatoire) et échappe donc à la responsabilité de ses parents, jugés incapables d’en juger. Et puis celle-ci, cette façon dont une agence de l’État a normé la fréquence à laquelle on doit changer de caleçon.

On ne peut tout à la fois en appeler au principe de responsabilité et infantiliser ces mêmes personnes. Et je pense, très paradoxalement, que ces deux « détails » qui peuvent paraître « amusants » sont plus critiques que l’élaboration d’une loi de finances.

Quant au refus de voir les citoyens s’engager dans une expérience collective, là encore deux exemples sont symboliques. Jacques Chirac a supprimé le Service national et ce faisant commis une faute colossale. Et puis, son successeur Nicolas Sarkozy a utilisé le congrès pour valider en 2008, dans le dos des Français, le traité européen qu’ils avaient refusé. Ce n’était pas alors une faute, mais un crime contre la démocratie ; un concept qui n’a rien de matériel et est totalement intellectuel, donc spirituel. Comment après cela en appeler à un engagement citoyen des jeunes français ? 

Castrer les violeurs ?

J’entends ce matin dans le poste une journaliste défendre la castration chimique des violeurs ; et surtout, je constate que les personnes qui l’écoutent ne s’en offusquent pas – silence problématique. Et je voulais dire ici ma totale opposition à cette idée qui verra peut-être le jour, tant les pires idées ont de chances de s’épanouir dans un monde qui a perdu toutes ses valeurs. Mais dire son effarement, aussi défouloir soit-il, est de peu d’intérêt si on n’explique pas pourquoi cette idée est de notre temps, c’est-à-dire méprisable.

Je sais bien qu’il ne s’agit pas d’une castration physique et que la chose est réversible, il n’empêche… J’ai bien compris que la chose pourrait ne s’appliquer qu’à des récidivistes, il n’empêche… D’ailleurs la fille de M. Pelicot la réclame pour son père. Y a-t-il vraiment en l’occurrence un risque de récidive ?

Tout d’abord, la question est mal posée. Et il conviendrait déjà de mieux définir pour la singulariser l’horreur du viol, car, comme je l’ai écrit ici, certaines prétendues féministes considèrent qu’un attouchement furtif sur une fesse serait un viol. Mais, à tout mettre au même niveau, on piétine la justice, car qu’est-ce-que la justice si ce n’est l’art de faire la part des choses et de proportionner la peine en pesant l’acte ? Si un délit n’est pas un crime, un crime n’est pas un meurtre, et un meurtre n’est pas non plus un assassinat. Pour les agressions sexuelles, c’est un peu la même chose, et si un viol est criminalisé par le droit, l’essentiel des autres agressions sexuelles ne constitue que des délits ; et sont condamnables comme tels. Et puis on parle bien de viol des corps, car pour celui des âmes, par les églises, on considère que ce n’est pas grave ; quant à celui des consciences par l’État, c’est parfaitement légal, c’est même l’essence du droit commun.

Mais la question est ailleurs. Nous avons fait évoluer nos peines afin qu’elles deviennent moins cruelles et se rapprochent d’une nécessité justifiable. Il fut en effet un temps où on crucifiait, on écartelait, où on brulait vif. Puis la Révolution a souhaité que l’on s’en tienne à une décapitation la plus propre possible. D’où l’invention de la guillotine par un médecin. Et on a fini par abolir la peine de mort, comprenant sans doute que tout crime odieux est aussi un échec de la société – de l’éducation, de la médecine psychiatrique ; et à s’en tenir à la privation de liberté et à la mise à l’écart de la société et de ses tentations. Mais l’amputation, même si elle est chimique, comme atteinte à l’intégrité humaine, me paraitrait un retour à la barbarie. Et je ne souhaite pas que l’État réponde au crime par la barbarie, même si ça ne lui posait pas de problème moral. Et personnellement, si je devais, pour des viols récurrents, envisager une punition d’une extrême sévérité, je préfèrerais encore la peine de mort à la castration. Car je me fais une certaine idée de l’humain et de son intégrité. Et je repense à ce film de Miloš Forman, « Vol au-dessus d’un nid de coucou », qui aborde cette question à sa manière.

Et puisqu’il faut conclure, je veux dire que je vois dans cette proposition toutes les tares de notre modernité. Cette façon de tout réifier et de considérer que l’homme n’est qu’une chose qu’on peut déshumaniser sans remords. Mais je suis aussi gêné par autre chose qu’il me faut bien évoquer, au risque du malentendu – comme s’il s’agissait ici d’excuser le viol. Notre société fabrique des frustrés. La publicité exploite sans limites le corps des femmes et leurs charmes naturels. Les médias font de même. La sexualité est devenue l’objet de toutes les manipulations et les individus les plus fragiles sont soumis à la fois à une agression récurrente de l’industrialisation de la pornographie, et en même temps à des discours moraux délirants et contradictoires, entre légitimation des revendications les plus radicales, et moraline sociale dégoulinante. Et que dire de ces musulmans enfermés dans un carcan sexuel religieux et confrontés dans la rue à l’exposition, parfois à l’exhibition, en toute innocence, des corps de jeunes filles qu’ils traitent de « putes », en exigeant avec la violence la plus condamnable que leur compagne couvre tout ? Et que dire de ces jeunes garçons pubères isolés devant leurs écrans, devenus incapables d’avoir une relation normale avec les autres, encore moins avec des jeunes filles, elles aussi parfois fragilisées et isolées ; et aussi influencées par des professionnels sans cervelle.  

Et cette frustration qui est à l’origine de trop de débordements tient au fait que l’État, en la matière, n’a pas d’autorité, et aucune volonté de légiférer, notamment sur les réseaux sociaux qui sont les pendants numériques de ces quartiers abandonnés aux narcotrafiquants. L’état de droit, donc la norme, devrait faire autorité et chacun devrait pouvoir s’en prévaloir et s’en servir comme cadre. Et pendant longtemps la norme bourgeoise était claire : pudeur qui mettait des barrières que chacun connaissait, mais n’interdisait pas l’érotisme, et relation hétérosexuelle dans le cadre du mariage religieux. Et une tolérance pour certaines relations extraconjugales et une homosexualité discrète, c’est-à-dire non affichée. Aujourd’hui, où est la norme ? Certains plaident pour le voile intégral partout, même à la plage, alors que d’autres souhaiteraient pouvoir y bronzer nus ; certains aspirent à vivre dans le cadre de la charia qui condamne les homosexuels à mort, alors que d’autres voudraient être « la femme de tous les hommes » ou « l’homme de toutes les femmes », ou comme César… Et on entend des demandes aussi radicales que contradictoires : car si les uns veulent détruire le genre, quitte à tuer le désir, les autres non seulement ne veulent pas le détruire, mais revendiquent de le choisir librement pour en jouir socialement. Faut-il évoquer ces enfants qui voudraient changer de sexe – quitte à revenir en arrière, à grands frais chirurgicaux, à l’âge adulte –, comme on aspire à devenir, plus tard, pompier ou policeman. « Et toi Bernard, tu seras quoi plus grand ? Moi, je serai une femme ».

Lorsqu’il a débuté son second mandat, Trump, qui n’a pas ma sympathie, a souhaité déclarer de manière un peu solennelle qu’« il n’y a dorénavant que deux genres : Hommes et Femmes ». Je pense qu’il était dans son rôle en clarifiant les choses et en posant une norme. Il faudrait qu’une loi, adoptée suite à un référendum, remette ici les choses à leur place et refixe un cadre. Reste à savoir lequel… et qu’on s’y tienne, dans la rue, l’église, la mosquée, sur le net, dans les territoires prétendument perdus de la république.

Pour ma part, je pense que chacun doit accepter ce que la naissance, aussi aléatoire soit-elle, lui a donné : son sexe, la couleur de sa peau ou de ses yeux, sa taille, ses différents dons naturels. Pour le reste, sa situation sociale, ses conditions de vie, il lui reste à se battre pour l’améliorer, en respectant la loi et en militant pour la faire évoluer démocratiquement et sans violence. Et pour ce qu’il en est de ses goûts, notamment sexuels, ça ne regarde que lui. Et précisons que pour ma part, proche d’Élysée Reclus qui était naturiste – fait rare à l’époque –, si je suis pudique, je ne suis pas prude, et plutôt de mœurs « progressistes ». Et lui était aussi féministe et n’acceptait pas que la femme soit soumise à l’homme.

Et puis, sur le plan collectif, en revenir aux leçons de Beccaria. La peine a deux fonctions : punir l’individu et protéger la société. Et la punition doit être humaine et ne pas porter atteinte à la dignité du condamné. Et on n’a rien trouvé de mieux que la réparation – mais rarement possible –, l’amende financière et la privation de liberté qui doit être réelle, mais digne. Et puis, s’il convient de protéger la société, l’enfermement est bien la bonne réponse, et le suivi après la peine nécessaire.

Mais tout cela peut justifier un nouveau débat, une réaffirmation des principes. Mais on ne peut être dans « l’en même temps », et donner un cadre. On ne peut accepter, voire défendre une chose et son contraire, et prétendre à l’autorité.

Vous dites « Génocide »

Génocide ? M. Netanyahou mènerait une opération génocidaire contre les Palestiniens de la bande de Gaza. C’est évidemment faux et le fait que notre Président prétende ne pas savoir, souhaite laisser les historiens en décider, laisse entendre que, de son point de vue, c’est une possibilité à ne pas exclure. Mais il y aurait une façon simple de le savoir, ce serait de porter plainte et de laisser le droit international trancher. Mais, si aucun état ne portera la question devant les instances internationales, c’est que chacun sait bien que la plainte ne serait pas reçue. En effet, le droit, ici la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide – un texte adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948 –, a déjà défini ce qu’est un génocide : c’est un crime de masse, avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux par des actes tels que :

–       Atteinte volontaire à la vie des membres du groupe ;

–       Atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique ;

–       Soumission à des conditions de vie entraînant la destruction du groupe ;

–       Mesures visant à entraver les naissances ;

–       Transfert forcé d’enfants.

Cette définition étant reprise par notre Code pénal, en son article L. 211-1.

Qui peut défendre que l’état hébreu qui veut détruire le Hamas, groupe terroriste et reconnu comme tel, qu’il ait pour projet de détruire tout ou partie de la nation palestinienne ?

Et ce qui est bien déterminant en l’espèce, c’est l’intention de détruire. Qui peut affirmer qu’Israël souhaite éradiquer les gazaouis ? Même l’autorité palestinienne ne le dit pas. Et rappelons que certains Israéliens, notamment siégeant à la Knesset, sont des Palestiniens.

Mais certains aimeraient que la conception du génocide évolue et que toute destruction massive de populations puisse être qualifiée de génocide. Pourquoi pas ! Mais cela reviendrait à dire que la Grande-Bretagne, lors du dernier conflit mondial, et notamment à partie de 1942, a commis un génocide en Allemagne. Par exemple quand les avions de la RAF, en juillet 1943 (opération Gomorrhe) ont causé des dizaines de milliers de morts innocents (hommes, femmes, enfants) en bombardant Hambourg. Ou plus encore la tristement célèbre opération sur Dresde, en février 1945.

Mais élargir le concept de génocide, ce serait le banaliser, le ramener au rang d’un crime de guerre comme un autre, lui faire perdre sa singularité. C’est comme de dire que Gaza et Auschwitz, c’est pareil, ou encore que la France, lors de la conquête de l’Algérie, se serait comportée comme se comporteront plus tard les nazies. Et c’est encore comme de traiter tout opposant politique de fasciste ou tout membre du RN de nazie. Ou encore, osons le dire, de prétendre qu’un attouchement furtif sur une fesse, un fait condamnable et qui doit l’être, est un viol. À tout mélanger on ne relativise plus, on ne juge plus la chose pour ce qu’elle est. On la condamne sans discrimination ni mesure. Tout est pareil, tout se vaut. C’est au mieux du nihilisme, au pire de la communication politique, une dérive fatale à la démocratie.

Et il faut aussi dénoncer cet usage politicien de la publicité qui consiste à jouer avec les mots, au besoin à les violer pour les obliger à dire ce qu’ils ne veulent pas dire. Et à trop prétendre qu’une vessie est une lanterne, c’est bien le sens des mots qui se perd et leur usage qu’on stérilise. Le fascisme, tel que Mussolini l’a « inventé », a une définition relativement précise ; un génocide est un crime de guerre qui se singularise par son but et ses méthodes. L’utilisation industrielle des chambres à gaz, après récupération minutieuse de ce qui pouvait servir (chaussures, lunettes, dents, cheveux), est un raffinement très singulier.

Oui, les États-Unis ont commis sur leur continent un génocide amérindien. Non, ils n’en ont pas commis en déversant sur le Vietnam des quantités extravagantes de Napalm ; non, ils n’en ont pas commis en larguant deux bombes atomiques sur des civils à Hiroshima et Nagasaki. Et si la France a commis un génocide, c’est en Vendée. Mais cela reste à instruire, et on pourra se référer à la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide vendéen de 1793-1794, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en 2007 par 9 députés.

Notre démocratie agonise depuis que juges et commentateurs médiatiques font la loi et bafouent l’état de droit. Elle menace de disparaitre depuis que les représentants du peuple ont été remplacés par de hauts fonctionnaires. Et depuis, comme le remarquait Hanna Arendt, que la politique est devenue « une variété des relations publiques », c’est-à-dire une usine à mensonges. Et c’est le triste signe de notre modernité consumériste. Et notre Président en est le meilleur promoteur. Au point que plus personne ne l’écoute.

La crise de l’autorité

Si certains discours de droite – par exemple ceux de M. Retailleau, bien relayés par M. Praud – me gênent, c’est tout sauf étonnant, car je continue à me considérer comme un modeste militant de gauche. Mais une gauche qui n’a rien à voir avec le centre droit macron-compatible du Parti socialiste, un parti de bobos qui a depuis les années 80 abandonné les classes populaires au Rassemblement National. Et encore moins avec les dérives stalino-révolutionnaires de La France Insoumise. Car, fidèle à Camus ou à Arendt, je ne crois pas aux révolutions qui ne sont que des occasions de régler ses comptes et de remplacer, à la tête de l’État, une bourgeoisie par une autre, et de suspendre les libertés pour un temps ; un temps qui en général dure.

Prenons la question, si lourdement posée par les commentateurs de CNews, de l’Autorité. Et sans avoir peur d’y mettre ici une majuscule. Mais poser la question en ce terme est déjà problématique. Mais comme il y a effectivement problème – voir le rapport d’une certaine jeunesse avec la police, plus généralement avec la loi –, je préfère parler d’un déficit de confiance. Et on m’objectera peut-être que c’est la même chose, qu’il n’y a Autorité que s’il y a confiance en la parole qui est censée faire autorité : en premier lieu celle des parents, mais aussi celle de l’enseignant, du scientifique, du juge, du médecin, du prêtre, des médias institutionnels, etc. Mais quelle confiance accorder ici ou là, quand nous baignons tous dans la propagande, le négationnisme, le prétendu complotisme.

Je pense que pour un homme de droite, l’autorité évoque plutôt la force et la soumission des gens du commun aux détenteurs de l’autorité (politique, policière, juridique, morale), soumission à tous ces gens de pouvoir qui promeuvent la moraline et défendent une bien-pensance qui peut sombrer dans le wokisme le plus radical. Alors que pour un homme de gauche, cette autorité procède d’une relation de confiance qui permet à chacun de s’abandonner aux institutions, par adhésion et non par peur des représailles. La défiance étant la vraie source de la perte d’autorité, et non la faiblesse de la répression.

Cette thématique a bien été développée par Hannah Arent, philosophe de gauche, mais aussi par Thomas Hobbes (toute autre époque), l’un des précurseurs, selon moi, de la laïcité. Que nous dit Hobbes dans le Léviathan ? Il nous dit que si on peut fonder un état par la force, il ne peut se maintenir que par le consentement des gouvernés, par l’idée d’un Contrat social plus ou moins explicite. Et ce consentement, cette adhésion nationale se construit bien sur la confiance ; par exemple sur la conviction qu’en matière de sécurité, on a tous intérêt à ce que l’État bénéficie du monopole de la violence et sache en user avec mesure.

Et c’est quand l’autorité fait défaut, du fait d’une défiance généralisée, qu’il ne reste plus à l’état qu’à utiliser la force comme substitue à l’autorité, et à glisser toujours plus sur la pente totalitaire. On l’a bien vu avec la crise du Covid. Beaucoup de Français ont douté de l’efficacité du vaccin. En réponse, l’État est allé très loin pour imposer sa vision des choses. On le voit aussi aujourd’hui avec l’environnement. Face au scepticisme généralisé, l’État est prêt à imposer à tous des règles liberticides, mais pour le bien des gens.

On pourra donc, comme les personnalités de droite le suggèrent, augmenter toujours le nombre de policiers et de caméras de surveillance, modifier le Code pénal pour augmenter les peines, construire de nouvelles prisons, raboter un peu plus les quelques libertés individuelles qui nous restent. Nous transformer en Chinois… Faire que « 1984 » ce soit ici et maintenant. Mais si l’on ne fait que cela, sans se préoccuper de recréer de la confiance, on aura peut-être rétabli une forme d’ordre – à l’image de l’Iran, où une femme qui refuse de se voiler peut finir par être pendue, au nom de Dieu ; on peut aussi, comme en Corée du Nord, mettre une balle dans la nuque des délinquants, ou encore, comme dans la Bande de Gaza, jeter les déviants depuis la terrasse d’un immeuble, afin qu’ils s’écrasent quelques étages plus bas. On peut faire régner un ordre plus strict, mais on n’aura pas recréé de confiance, donc d’autorité, on aura simplement créé du ressentiment, de la violence refoulée.

Comment retrouver un niveau d’adhésion à nos valeurs, à notre système ? Et la question est complexe, car comment faire adhérer des musulmans fidèles à leur religion, à un système politique laïc ? Pour cela, il faut s’attaquer au Système et se souvenir que la crise de nos prétendues démocraties vient du fait que le mensonge est devenu, grâce à la médiatisation du monde, aux réseaux sociaux, à l’omniprésence de la publicité, l’un des outils majeurs du gouvernement des masses. C’est pourquoi on ne comblera aucun défaut d’autorité, sans s’attaquer à cette fabrication de mensonges qui ruine toute confiance. Hannah Arendt, que j’ai citée et que j’ai à l’esprit, expliquait précisément dans « Du mensonge à la violence » que lorsque l’État perd son « pouvoir », son « autorité », il ne sait plus comment gouverner si ce n’est par la violence et le mensonge, le mensonge qui conduit inévitablement à la violence, à la violence de mensonge. Fatal cercle vicieux : crise de l’autorité, donc substitution de la force répressive à l’autorité, donc mise en place, avec tous les secours et les outils de la communication publicitaire, du mensonge d’état, donc perte de crédibilité et méfiance généralisée. Et on se souvient comment des mensonges d’état ont pu justifier des guerres : pour les États-Unis, au Vietnam, puis en Irak où il était question de retrouver et de neutraliser des ADM. Pour la Russie qui aujourd’hui prétend dénazifier l’Ukraine.

Il faut donc sans doute construire des prisons, au moins pour que les détenus y vivent de manière digne et ne dorment pas sur des matelas posés à même le sol, des centres clos pour y garder les OQTF en attente d’expulsion. Évidemment, il faut que la justice soit apolitique (condition de son indépendance), et donc dissoudre le Syndicat de la magistrature. Et puis contrôler nos flux migratoires, afin d’accueillir dans de bonnes conditions, le maximum raisonnable de gens que nous pouvons intégrer, assimiler, compte tenu de nos capacités d’accueil. Mais il faut surtout se poser la question de l’institutionnalisation du mensonge, de l’omniprésence et de la pollution de la publicité de produits utilisée pour vendre une idée, un homme politique comme on vend un autre produit de consommation. « On se lève tous pour un candidat comme on se lève tous pour Danette », même méthode. Et peut-être ne plus accepter que l’on prétende nous faire vivre en démocratie, alors que nos systèmes occidentaux le sont de moins en moins et que le sort des gens se règle sans eux, ailleurs, par de hauts fonctionnaires non élus vivant non seulement « hors sol », mais « entre eux ». C’est-à-dire redonner du pouvoir au peuple, et donc s’attaquer aux partis politiques. Citons Arendt « Les partis, en raison du monopole de la désignation des candidats qui est le leur, ne peuvent être considérés comme des organes du Peuple, mais, au contraire, constituent un instrument très efficace à travers lequel on rogne et on domine le pouvoir populaire ».

Et puis réinterroger ce que l’on nomme société de masse, ou société consumériste ; et se souvenir qu’avant de parler des droits accessoires de telle ou telle minorité, il faudrait déjà garantir à chacun les droits fondamentaux. Arendt les voit ainsi : « Les « trois grands droits premiers : vie, liberté, propriété … » Et j’adhère à cela. La vie, elle nous est de plus en plus chichement comptée, quand l’essentiel de notre temps, de notre énergie, est consacré à survivre – survie contre, survie malgré… La liberté, faut-il en parler ? Elle disparait progressivement en Occident, comme disparait la sphère privée. La propriété privée ? Tout est fait pour que cette propriété soit confisquée entre les mains des plus riches – de moins en moins nombreux et de plus en plus riches – et pour contraindre les autres à vivre à crédit, en location, de manière précaire, à la merci du Marché, de l’État et des aléas de la vie.

Et, disant cela, je ne m’égare pas. Nos institutions et ceux qui les font exister ne nous représentent pas, ne défendent pas nos intérêts, ne nous protègent plus, ne nous écoutent pas ; et quand, fait devenu rarissime, le peuple est consulté par référendum (29 mai 2005) et que sa réponse ne convient pas aux élites, alors on méprise et contourne cet avis. Comment s’étonner alors que les Français – ne parlons que d’eux – ne fassent pas confiance à leurs dirigeants et aux services de l’État ? Alors oui, dans ces conditions, on ne peut s’étonner de la ruine de l’Autorité. Et il est alors logique que l’image du Général de Gaule soit si présente dans les médias.

Mais concluons ce long article. Nous vivons bien une crise de l’autorité, dont la classe politique est le principal responsable. Cette crise est une crise de la défiance. Et on n’y répondra pas par une augmentation de la répression, un nouveau rabotage des libertés individuelles. Mais en s’attaquant aux réseaux sociaux, en confinant la publicité dans des espaces plus étroits, en recréant des universités et des médias institutionnels, moins politisés, plus laïcs, expurgés du wokisme. Qu’attend-on des institutions ? Qu’elles nous protègent, nous rassurent, fassent baisser notre niveau de stress, nous offrent un cadre stable, sécurisé à nos activités ; que l’État nous gère en bon père de famille, avec douceur et autorité. C’est tout le contraire que nous constatons. Un état incompétent et irresponsable.  

Patriotisme

Notre Président en appelle au patriotisme des Français. Est-ce un appel aux jeunes Nahel Merzouk des banlieues ? C’est vrai que certains sont déjà formés à l’usage des armes à feu, et même si la kalach n’est pas en usage dans l’armée française, les armes de guerre se ressemblent un peu toutes.

J’ai un peu tardé à réagir tant j’étais sidéré par ses paroles. Et puis j’ai retrouvé cette citation de Nicolás Gómez Dávila : « Le patriotisme qui n’est pas adhésion charnelle à des paysages concrets est une rhétorique de pseudo-cultivés pour entrainer des illettrés à l’abattoir ».