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On ne parle que de ça.

C’était donc son investiture (leurs investitures ?). Les médias en ont naturellement fait leur une. Et la chose les a surtout fascinés, au point qu’il ne semble plus possible depuis plusieurs jours de parler d’autre chose : Trump, Musk. À droite une exultation revancharde sans bornes, à gauche plus qu’une frustration, le déchainement d’une haine pathologique. Et si j’ai personnellement hésité à en parler, c’est que tout semble avoir été déjà dit, tout et son contraire, dans cette avalanche de commentaires. Mais, à défaut de porter ici une parole vraiment originale, je voulais, plus modestement, vous dire ce qui m’a touché. Car ce délire médiatique provoqué par ces deux hommes ne s’explique que par ce que cette élection nous dit de nous-mêmes, nous autres européens ; et nous déstabilise passablement.

L’élection de Trump ouvre aux États-Unis une séquence démocratique. L’homme a en effet été élu assez facilement, sur la base d’un programme radical et clair, qu’il va appliquer et qu’il a commencé à mettre en œuvre par décrets le jour même de son élection. Et il faudra bien que l’administration américaine, ce qu’il appelle « l’état profond », va fasse avec. Et je ne dis pas que si j’étais américain j’aurais voté pour ce programme, mais le peuple américain a majoritairement décidé d’être gouverné ainsi. Et par comparaison, ce qu’on peut remarquer, c’est qu’en France, c’est toujours l’état profond qui gouverne, et que les dernières élections, celles d’Emmanuel Macron, mais pas seulement, ont été l’occasion de prolonger un moment non démocratique où, bien que le Peuple s’exprime régulièrement, c’est toujours l’aristocratie des hauts fonctionnaires qui décide de tout et bloque toute évolution progressiste, au prétexte que « C’est pas si simple… », qu’« On ne peut pas changer les choses, parce que la Commission européenne… le Conseil constitutionnel… l’état de droit (qui a bon dos)… la Haute cour… nos traditions… etc., etc. ».

Et c’est bien ce qui m’a frappé douloureusement, d’un côté un chef d’État au service de son peuple, très ambitieux, qui renoue avec les valeurs traditionnelles et l’identité de son pays, et qui avance fort et dur – et on verra qu’elles en seront les conséquences pour l’Europe et la France –, et chez nous un chez d’état, au service de la technostructure européenne, de l’état profond, condamné à l’immobilisme, sans ambition pour un pays dont il conçoit l’avenir comme  de devenir une province d’un empire européen dominé par l‘Allemagne, un pays dont il disait il y a quelque temps qu’« il n’y a pas de culture française ». D’un côté de l’Atlantique un Pays qui fait le pari de l’industrie, de la recherche, de l’efficacité de l’État ; de l’autre un pays géré par des fonctionnaires, pour des fonctionnaires, qui continue à mépriser l’industrie, à brader son secteur de production, et dont l’état est de plus en plus obèse et improductif. Là-bas un pays qui choisit la liberté, notamment d’expression, ici un pays qui a toujours autant de problèmes avec les libertés individuelles. Je pourrais rallonger la liste, mais je préfère conclure en réaffirmant qu’il serait possible, ici, chez nous, d’appliquer une politique de gauche, vraiment démocratique, équilibrant son budget, recentrant l’état sur ses missions régaliennes et permettant aux talents français de s’exprimer. Mais pas sans recouvrer notre souveraineté. Le premier geste d’un nouveau président à l’écoute du peuple devrait donc être de proposer, par voie référendaire, une modification de notre constitution pour se donner les moyens d’agir… vite et bien. Et dans le cadre d’un état de droit rénové.

Le citoyen, une espèce en voie de disparation

La seule question politique qui mérite d’être posée est celle de la démocratie, donc, d’une manière corolaire, de la laïcité.

Si la démocratie, c’est bien le gouvernement du peuple par le peuple, alors force est de constater que, non seulement nous n’en sommes pas là, mais nous n’en prenons pas le chemin. Et on ne peut l’expliquer sans dénoncer la collusion entre la classe politique, la bureaucratie étatique et le Marché, collusion pour éloigner les gens du pouvoir et ruiner la citoyenneté.

Ce que nous appelons faussement démocratie est devenu une fabrique à consommateurs de biens, de services, de soins et de sécurité, et, disons-le, de droits.

Société de consommation ou démocratie, il faut choisir ; car on ne peut à la fois être consommateur addict et citoyen engagé. Il faut choisir entre droits et devoirs, soumission et responsabilité, avachissement et vertu.

Le Marché a un besoin vital de consommateurs solvables et n’a que faire des citoyens. Et le Marché – confusion des intérêts – s’est attelé à une administration dont la fin est de transformer le citoyen en assujetti contribuable docile, et dont le tropisme est totalitaire. Le Marché a donc chevauché le Léviathan. Quant à la classe politique, parce qu’elle a une forte conscience de classe, elle a toujours préféré l’aristocratie à la démocratie, privilégié ses intérêts propres à ceux des gens ; et elle n’a jamais fait le deuil de l’Ancien Régime. Et cet attelage funeste du Marché qui conduit, de l’administration qui met en œuvre un projet de nature totalisant, et de politiques complices et veules, sera fatale à la démocratie et détruira la planète. J’ai lu quelque part que nous faisons disparaitre tous les ans environ 25 000 espèces vivantes. Le citoyen doit sans doute être compté au nom de ces espèces condamnées.

Le candidat qui pose et le président qui fait

Hier, il fallait entendre le candidat Hollande défendre avec brio et la démocratie et la république pour mesurer tout l’artifice des élections dans un système présidentiel hyper médiatisé. Et cet écart infranchissable entre le candidat qui parle et le président qui fait apparait avec une clarté aveuglante quand les candidats que les médias ont choisis ont tous deux exercé les fonctions de chef d’État, donc de gouvernement, et se sont donc découverts dans l’exercice du pouvoir.

L’injonction républicaine va donc nous conduire à retenir, au terme d’un processus qui n’est qu’un jeu de dupes, puis à subir un chef qui ne sera qu’un chef de clan ; et cela après avoir entendu des candidats dont les propos n’engagent ni n’obligent le président futur : le candidat aura dit ce qu’il doit, enfin ce qu’il pense que ceux de son camp, d’abord, puis les électeurs, veulent entendre, il aura pris la pose ; le président, lui, fera ce qu’il a déjà fait, mais comment pourrait-il en être autrement quand le système est construit sur l’irresponsabilité politique ?

Le candidat vainqueur – et les deux principaux impétrants sont curieusement dans la même position – se sera posé comme gardien de la démocratie, et il en violera l’esprit comme il l’a déjà fait, et ceci avec un mélange de désinvolture et de mauvaise foi. On appelle cela faire de la politique. À chacun son job : le candidat fait de la communication, c’est-à-dire crée un climat ; le président, demain, fera de la politique, et travaillera aux affaires des siens, aux intérêts de ses amis et de ses commanditaires. Ce processus est bien connu dans le monde des affaires : en amont, le vendeur qui peut se permettre de dire n’importe quoi – déclarer de manière explicite que l’ennemi c’est la finance –, puis en aval, une fois que le client a signé et que le vendeur s’est échappé, la livraison d’un produit décevant ; et les yeux pour pleurer sur notre naïveté.

Le poids des mots

La pratique politicienne est jeu de mots, mais ne peut se réduire à cela.

« La France est une République démocratique, laïque et sociale ». Quelles valeurs ces mots ont-ils dans notre charte constituante ? Vœux pieux, formule performative, pure incantation ? « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple ». Toujours des mots… On prête cette formule à Lincoln. Il est vrai qu’il déclara, le 19 novembre 1863, en conclusion d’un très court discours au Cimetière militaire national de Gettysburg qu’il espérait que « that government of the people, by the people, for the people, shall not perish from the earth ». En fait, la formule n’était pas nouvelle pour les contemporains anglophones du président américain, car elle avait été déjà utilisée par un théologien « John Wycliffe », dans une des premières traductions anglaises de la bible. La notion de peuple faisait donc référence au peuple de dieu, et nullement à l’incarnation politique du peuple, tel que les Lumières pouvaient l’entendre. « People », veut donc dire dans cette formule, les hommes, au sens biblique du terme, la descendance adamique, autrement dit les gens ; et nullement les citoyens. Il n’y a, au bout du compte, qu’une bonne formulation qui puisse clarifier le principe démocratique avec les mots d’aujourd’hui : « la démocratie c’est le gouvernement des gens, par eux-mêmes et pour eux-mêmes ». Et ce n’est jamais le pouvoir de se choisir de manière périodique, entre quelques candidats désignés par des organisations non démocratiques, des maîtres. Et le Peuple, qui n’est qu’un concept, un fantôme, ça n’existe pas. Préoccupons-nous plutôt des gens. Ils souffrent.

Démocratie égalitaire et tripartition des fonctions

N’ayons pas peur des mots qui gênent et, pour parler politique, parlons d’amour ; pour commencer et pour clore cette réflexion d’une nuit, sans crainte ici de l’artifice.

Je me souviens, même si ce souvenir est aujourd’hui ancien, et peut-être incertain, que dans le film de Truffaut « l’homme qui aimait les femmes », un  médecin qu’il  consultait faisait remarquer au personnage incarné par Charles Denner : « On ne peut passer tout son temps à faire l’amour ; c’est pour ça qu’on a inventé le travail ».

J’y repensais en me faisant cette autre remarque « On ne peut malheureusement passer tout son temps à faire de la politique, c’est pour ça qu’on a inventé le travail ». Mais la chose dite ainsi, l’est mal, ou du moins décrit mal mon état d’esprit. Disons plutôt que je m’agace que le travail ait ceci de gênant, ou de pratique, qu’il nous prend notre énergie et notre temps, plus alors disponibles pour la politique, la philosophie, la méditation, l’amour. Et cela fait bien l’affaire des élites qui préfèrent s’adonner à la politique et laisser le travail à d’autres, et qui tendent toujours de manière naturelle à privilégier cette organisation, vieille comme le monde, de nos sociétés indo-européennes, que Gorges Dumézil évoquait sous la forme d’une tripartition des fonctions sociales : Les guerriers, les producteurs, les prêtres. Je préfère d’ailleurs dire les maîtres, les esclaves, les prêtres, qui assument les trois fonctions de base qui permettent au système de tenir debout : gouverner, travailler, justifier.

Ce schéma observé partout est évidemment très inégalitaire et associe le sabre et le goupillon, le monarque et l’église, dans une commune entreprise d’aliénation des bras-nus plébéiens. Le maître fait le droit, qui est toujours celui du plus fort, et le prêtre le justifie sur le plan moral. Et le travailleur, nom moderne et bourgeois de l’esclave, offre son corps au Système comme producteur et rempart : de la chair à Système, de la pâtée pour Léviathan.

Et ce système est naturel, on pourrait dire darwinien, même si Darwin, à défaut de l’inventer, se contente de le décrire. Il est basé sur le principe de la sélection des meilleurs et de l’élimination des plus faibles par leurs prédateurs. Système simple, efficace, naturel, fonctionnel ; dynamique des forces qui ignore la morale humaine. Et de ce point de vue aussi, on peut dire que l’homme est un animal surnaturel et opposer nature et artifice. L’homme ne peut se satisfaire de la nature ; il est sans limites. Mais alors qu’il devrait la dépasser en la conservant[1], il la nie, la détruit, lui substitue ses pauvres artifices.

Comme l’écrit Hugo « Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme a fait le vin ». Rajoutons à notre sauce : « Dieu a créé l’homme, mais l’homme a inventé Dieu », ou encore, « si Dieu a fait les lois de la nature, l’homme a inventé et l’état de droit et la démocratie ». Et la démocratie est la réponse humaine, politique, aux rapports des forces naturelles, à la loi du plus fort, du mieux adapté ; comme le droit est la réponse humaine au problème de la Morale.

La démocratie ne peut donc avoir d’autre objet que de supprimer, ou du moins de corriger, limiter, les rapports de force de l’Etat de nature, ce que je nomme les rapports naturels dominants/dominés.

Et elle ne peut être que laïque, car l’église est toujours justificatrice de ce rapport de force naturel.

La vraie démocratie, dont le travail est toujours l’ennemi – travail que je condamne comme fausse valeur morale et comme facteur d’aliénation, captation d’une énergie qui ne peut plus s’investir dans les rapports humains (la politique ou l’amour)[2] –, la démocratie authentique doit être tentative de dépasser les rapports dominants/dominés. Et ses principes constituants doivent donc être, en premier lieu, le refus des hiérarchies, ce que d’aucuns, et de manière maladroite et radicale, ont pu énoncer par la formule « Ni dieu, ni maître » et que je conceptualise par l’idée du refus du sacré, ou par l’esprit de laïcité.

Il nous faut dépasser ce vieux système, ce tripalium[3], dont les trois pieux, les trois pieds, sont : gouverner, justifier, travailler. Que l’on donne un grand coup de pied dans le « justifier » et l’on verra le tabouret du diable, ayant perdu son soutien métaphysique, basculer. C’est ce que la révolution française a essayé de faire, notamment avec les Hébertistes, mais Robespierre qui fut le mauvais génie de la révolution, petit bourgeois inconsistant et fossoyeur d’une révolution congénitalement non viable, porta, le 7 mai 1794, un coup de grâce à l’idée révolutionnaire, en imposant à La Convention qu’elle décrète une nouvelle religion[4] dont il se voyait bien devenir le grand prêtre. L’église, celle que Robespierre voulait réinstituer, comme toutes les autres, sera toujours au service d’un ordre politique, image d’un ordre divin, au service des maîtres. Elle sera donc toujours l’ennemi de la démocratie, car la démocratie authentique, donc laïque, refuse par principe l’ordre supérieur, et refuse d’inscrire dans ce cadre hiérarchique les relations de l’homme et de Dieu, du citoyen et de l’Etat, du corps et de l’Ame, de la perception et de la Pensée.

Il nous faut donc changer radicalement notre système de pensée et substituer à l’idée d’opposition, celle d’amour. L’homme est une partie de Dieu, comme le singulier du Tout. Il n’y a pas de nation et d’état sans citoyens et sans volonté des citoyens. Il n’y  a pas de groupe sans individus. Pourquoi opposer la vague et l’océan. Ce n’est pas l’océan qui impose son rythme à la vague. Toute hiérarchie est opposition, toute opposition génère l’oppression et l’aliénation. Il faut substituer à « l’un contre l’autre », « l’un avec l’autre », aux rapports naturels de forces, la solidarité humaine, qui devrait être l’unique source du droit.

La solidarité, n’est-ce pas la meilleure façon de parler d’amour en politique ? Il y en a une autre : l’humilité.

Je sais que dénoncer les hiérarchies ne peut être ni compris ni entendu. Il y a des hiérarchies données. Ce sont d’ailleurs les seuls que je reconnaisse. Hiérarchies données, hiérarchies de dons, autrement dit : autorité naturelle. Certains ont effectivement des dons qui les mettent au-dessus. L’économiste Keynes, mettait ainsi tout en haut les artistes, et puis, juste en dessous, les entrepreneurs, qui étaient pour lui des artistes ratés, des frustrés. J’aime bien cette idée…

L’humilité consiste à refuser cette hiérarchie, même si s’abaissant ainsi, on s’élève encore. Le saint, le vrai, le maître de justice, est celui qui se sentant supérieur, ou se craignant trop parfait, pèche, se souille pour se rabaisser au niveau du commun, et se fait brigand par son refus de s’élever[5].

Terminons par d’autres paradoxes. L’église est l’ennemi de la démocratie, de la vraie, mais la démocratie, la nôtre, celle que nous avons construire est une idée chrétienne, c’est à-dire une idée qui perverti le message du prophète juif Josué/Jésus.

Dieu doit cesser d’être pour nous une idée, abstraite, une chose que l’on regarde comme extérieur à nous, supérieure à nous. Nous devons cesser d’en parler, cesser d’y penser, cesser de le prier ; nous devons combattre les religions, abandonner toute spiritualité qui ne serait pas celle d’un corps vivant, assumé tel qu’il est, petit, prétendument peccamineux, condamné, une pourriture en devenir morbide. Nous devons revenir à l’homme, à sa nature ; et à la nature ; et la dépasser. Nous devons construire enfin la démocratie.

Pourquoi conclure par Spinoza ? Peut-être parce que son traité théologico-politique est l’un des quelques grands textes fondateurs de la laïcité. Peut-être parce qu’écrivant « Deus sive natura », il ouvre la porte à qui voudrait écrire « Deus sive vita »



[1]. Ce conservation/dépassement correspond, de mon point de vue, au concept même de surhumain, celui du prophète de Zarathoustra. Et puisque j’évoque ici la philosophie allemande, comment ne pas convoquer aussi le concept d’Aufhebung.

[2]. Et qu’on ne me parle pas de réalisation de soi. Si l’homme a besoin du travail pour se réaliser, c’est qu’il est déjà bien aliéné.

[3]. Faut-il rappeler que l’étymologie latine de travail est tripalium (les trois pieux plantés dans le sol) qui désignait un instrument de torture, mais aussi d’immobilisation (des chevaux par exemple pour les ferrer). Le « travail » est donc étymologiquement synonyme de torture et de souffrance.

[4]. Robespierre, souhait donc maintenir la plèbe immobilisée dans ce tripalium. Ce décret arrêtait que : « Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme. — Il reconnaît que le culte de l’Être suprême est la pratique des devoirs de l’homme. Il sera institué des fêtes pour rappeler l’homme à la pensée de la divinité et à la dignité de son être ». On peut s’étonner ici que la Convention puisse parler au nom du peuple, et affirmer ainsi, de manière performative que « les gens » reconnaissent l’existence de Dieu. Qu’en savaient-ils ?

[5]. Cette idée, choquante s’il en est, me vient moins du côté de chez Nietzsche que du côté de Marguerite Porete ; et je la trouve ludique et iconoclaste, donc existante.