Un printemps de mélancolie

Un ami m’interroge : tu n’écris plus ? Aucun livre en vue ? Si… si…, j’écris, quotidiennement ou presque, mais sans doute ne suis-je plus vraiment sûr que ce que j’écris mérite d’être publié, sauf peut-être pour mes proches… mais ils ne s’intéressent pas à ce qui me fait vivre. Donc je continue à coucher mes mots fatigués sur le blanc du papier, à laisser dormir mes phrases dans des linceuls immaculés qui s’entassent comme dans une morgue. Mais publier, ce qui est de toute façon très difficile, ne me parait pas essentiel. C’est en fait comme de faire un loto. Cela m’arrive encore, mais le reçu reste dans mon portefeuille ; et je ne regarde jamais si j’ai gagné, car je sais que je ne peux que perdre. Et c’est seulement l’espoir vain, mais réel d’avoir les bons numéros qui me procure ce plaisir que je paye modestement. Mais constater de visu que j’ai perdu ne m’intéresse pas, ce qui fait que le papier reste longtemps en poche ; et quand l’envie me reprend de jouer, je jette l’ancien, sans même le regarder ou le regretter.

Et, à bien y réfléchir, si l’on a compris que dans la vie, on ne peut pas gagner – c’est conçu comme ça –, car c’est un jeu où ce sont les autres qui gagnent, et d’abord la société du loto, alors on comprend aussi que l’on achète un peu de rêve, une dose d’opium, mais à un prix si abordable… et sans vrais effets secondaires. Mais ne cherchez pas à comprendre, c’est trop fort pour vous… Et je vais donc continuer à travailler des livres, à empiler des tapuscrits que mes héritiers jetteront à la benne après ma mort, comme, pour respecter mes dernières volontés, ils bruleront mon cadavre, jetant les cendres récoltées dans le composteur du jardin, le reste des cendres d’un homme dont le souvenir s’efface déjà allant naturellement aux ordures.

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