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Foutu progrès !

Conservateur ou progressiste ? Question plus sotte qu’embarrassante… En fait, l’innovation n’a d’intérêt que si elle apporte un vrai progrès, si les outils qu’elle forge et met à la disposition des gens impactent positivement leur vie, protège l’environnement, se mesure positivement sur le plan moral. Et sans leur faire payer tout cela trop cher. Et c’est de moins en moins le cas, et pour une raison simple : si le Marché innove, c’est pour garantir ou augmenter ses bénéfices, si l’État fait de même – et de manière de plus en plus violente –, c’est pour garantir ou augmenter sa maitrise de ses administrés ; et si les gens y trouvent parfois leur compte – toute nouvelle technologie ou norme n’est pas nécessairement mauvaise –, ce n’est qu’accessoirement.  

Et le marqueur le plus pertinent est constitué par l’évolution de nos libertés qui, je veux bien l’avouer, m’obsède. Et je veux associer ici deux concepts, indissociables à défaut d’être totalement superposables, liberté et individualisme. Et c‘est pourquoi je fais ce choix de vous rebattre les oreilles de ce constat d’un « progrès » liberticide, mais pour éclairer cette question différemment… d’une lumière vespérale.

En fait de progrès, nous « régressons progressivement », si l’on peut dire ; et si la liberté et l’individualisme s’étaient longtemps développés en Occident au point d’en devenir des valeurs de référence – ce combat étant celui, double, de la démocratie et de la laïcité contre les totalitarismes idéologiques et religieux –, pour atteindre une acmé pourtant médiocre au milieu du XIXe siècle, depuis, il y a eu un retour des totalitarismes et une dissolution progressive de ces valeurs… accélérée à la fin des trente glorieuses.

Au moment où la laïcité est remise en cause par un islam conquérant, où la démocratie s’est embourbée dans le bureaucratisme (le gouvernement du peuple par les fonctionnaires et au profit de l’État) , les libertés individuelles ont été abandonnées au profit de très vagues libertés politiques (la liberté de choisir quel haut fonctionnaire nous imposera sa vision technocratique du monde), et les intérêts particuliers sacrifiés pour un intérêt général, qui est si général qu’il a cessé d’être intéressant.

Quant à l’individualisme, il a disparu dans une société massifiée et normée qui l’a dilué dans un conformisme tribal ou communautaire, parfois idéologique. Et à la vision économique d’un monde global, terrain de jeu d’un Marché transnational, répond une vision normalisatrice et totalisante de la politique, qui a déjà commencé à sombrer dans le totalitarisme bureaucratique.

Pourtant, on entend de la gueule de ceux qui ont l’impudeur de le dire, ces chiens de garde du pouvoir, mi-dogues mi-bichons frisés, que nos libertés augmenteraient et que notre problème serait d’être collectivement trop individualistes. Mensonges !

Nos sociétés occidentales sont embourgeoisées, c’est-à-dire massifiées et normées ; et accros à la consolation. Elles sont de plus en plus jouisseuses et égoïstes, car consuméristes, de moins en moins individualistes. Rappelons, quitte à lasser, que l’individualisme est une autodétermination, et que ce n’est ni du nombrilisme ni de l’égoïsme. Qui a encore l’envie ou la volonté de se déterminer par lui-même et d’échapper aux injonctions religieuses et aux ordres du Parti, au politiquement correcte, à la mode et à la fausse transgression promue par la com ? Le Système bicéphale (État-Marché), servi par la publicité, use de tous les moyens pour nous émasculer, nous empêcher de penser par nous-mêmes, pour nous empêcher de nous déterminer suivant nos propres valeurs, de devenir ce que nous sommes.

Je termine en évoquant l’un de ces derniers moyens d’émasculation : l’instrumentalisation de la légitime et nécessaire protection de l’environnement. Loin de l’écologiste radical que je suis le désir de nier l’effondrement, depuis un demi-siècle, de la biodiversité, ou la nécessité de réformes radicales de nos modes de consommation. Mais comment ne pas voir dans la communication du système qui l’axe sur la dérive climatique, une volonté d’effrayer, de culpabiliser, et de faire accepter aux gens l’inéluctabilité de la perte de leurs dernières libertés, pour le bien de l’humanité et de la planète ; et l’obligation « morale » qui leur est faite de vivre dans des cités panoptiques, en stabulation, comme ailleurs des poules ou des porcs confinés dans des petits espaces clos hygiénisés à fortes doses d‘antibiotiques, et gouvernés par des élites protégées, endogamiques, et demain transgéniques ? Et la séquence COVID a été révélatrice.

Mais sans s’attaquer aux vraies causes de la destruction de la planète : notre idéologie économiste et juridique, la croissance comme fin en soi, et notamment celle de la population, le consumérisme, le bureaucratisme, le poids de la publicité. Tout un système d’exploitation, un OS fatal.

D’autres raisons de ne pas être humaniste

Dans mon dernier article, reprenant des réflexions anciennes qui m’avaient conduit, il y a quelques années, à créer ce blog pour y défendre – avant que je me rende compte d’un potentiel risque de malentendu – une position de mescréant, je me présentais comme non croyant ; l’écrivant « mes créant », en reprenant par jeu un usage vieilli et démodé. Et cette position n’a pas varié depuis : je me prétends avec constance « non croyant et non athée » ; et quand on me répond « agnostique ? », je décline alors ce terme. Mais pourquoi y revenir si cette chose a déjà été clarifiée ? Peut-être pour prolonger mon précédent propos sur l’humanisme en abordant l’obstacle par un autre côté.

Si je devais revendiquer une filiation – cédant à nouveau à cette faiblesse de chercher crédit chez plus respectés que moi –, ou simplement me raccrocher à une pensée théologique forte, je pourrais évoquer ici ma proximité avec Simone Weil dont je parle souvent, l’associant souvent à Arendt et à Rand. Cette jeune femme semble avoir deux visages (mais c’est bien le même), celui de la jeune militante engagée, notamment pendant la guerre d’Espagne, dans une gauche anticommuniste, proudhonienne, et celui de la théologienne juive acquise au christianisme, mais qui eut une destinée un peu différente de celle d’Etty Hillesum – et qui connaît cette dernière comprendra ce rapprochement qui s’impose à l’instant à mon esprit. Mais restons sur le christianisme de Weil et sa théologie qu’elle construit en réponse philosophique au double mystère de l’incarnation de Dieu et de sa mort abjecte, cloué sur un pal dressé sur la colline du Golgotha. Une théologie sans doute aussi ancrée dans la réalité d’un monde travaillé par les totalitarismes du siècle (le sien – elle nait en 1909 et meurt en 43) et qui bascule dans l’horreur absolue de la Seconde Guerre mondiale. Elle la construit donc au cœur du christianisme, à la source douloureuse de la passion de Jésus et de sa crucifixion ; et elle la développe, pas toujours de manière limpide, dans « La pesanteur et la grâce », ce recueil de textes (principalement de théologie et de métaphysique) qu’elle laisse à Gustave Thibon, théologien catholique qui l’avait hébergée et employée comme « fille de ferme » de juin 1941 à 1942.

Elle était alors déjà militante d’extrême gauche et agrégée de philosophie (ancienne élève d’Alain), mais les lois raciales de l’époque l’excluaient de l’université. Ces textes sont très courts, lumineux, parfois incandescents. Mais ils n’ont pas été relus, corrigés et mis en forme par elle – ils s’apparentent donc formellement aux « Pensées » laissées sur son bureau par Blaise Pascal à sa mort. Mais ils sont assez clairs et cohérents pour y lire une pensée exaltée, inspirée, mystique. Et si je veux l’évoquer, c’est pour sa dimension apophatique.

Simone Weil y explique que si notre représentation du monde se réduit à la réalité sensible et pensable, alors on passe nécessairement à côté de Dieu, impensable. Car si Dieu ne peut être contenu dans cette représentation, c’est qu’il ne peut être contenu dans aucune représentation humaine. Il faudrait donc laisser un vide dans notre conception du monde – à la place de Dieu – et plus encore pour que se crée un « appel du vide », c’est-à-dire un appel à Dieu ; ce vide qui est la place vide de Dieu et donc qui est Dieu dont la présence est absence, justifiant notre besoin de Dieu qui seul peut le combler. Et si sa foi est en marge du déisme, à l’opposé du panthéisme, elle est donc apophatique, donc proche de la non-croyance. Car la différence est étroite entre croire en un Dieu inconnaissable, indicible, et se déclarer non croyant. Elle le dit d’ailleurs avec une formule proprement géniale « Il y a deux athéismes, dont l’un est une purification de la notion de Dieu ». C’est en ce sens qu’on peut la juger en équilibre instable au point de rencontre des deux approches (théologie apophatique et athéisme raffiné), mais très loin de l’agnosticisme. Car quelle différence y a-t-il à répondre à toute proposition théologique, « il n’est pas cela » (réponse apophatique), ou je ne crois pas « qu’il soit cela », ou, plus simplement, « je ne crois pas » (réponse mécréante). Du systématisme du « il n’est rien de cela » à « je ne crois en rien », il y a si peu de place. Et si j’ai tant d’affection pour elle, indépendamment de ma grande proximité politique avec la militante, et malgré son antisémitisme, c’est que je me demande si, moi et elle en équilibre au même point, elle n’est pas tombée d’un côté et moi de l’autre ; elle du côté de la mort – « De même, il faut beaucoup aimer la vie pour aimer encore davantage la mort » –  moi résolument du côté de la vie. Elle rajoute dans ces mêmes textes, mais je lui laisse la responsabilité de cet aphorisme : « Entre deux hommes qui n’ont pas l’expérience de Dieu, celui qui le nie en est peut-être le plus près ».

Et puis, on s’en souvient sans doute, dans ma dernière chronique, je me disais non croyant, mais aussi non humaniste ; et tentais de m’en expliquer. Et Simone Weil a cette formule dont elle ne s’explique pas clairement : « Les erreurs de notre époque sont du christianisme sans surnaturel. Le laïcisme en est la cause – et d’abord l’humanisme ». Je la comprends ainsi, au plus proche de ma sensibilité personnelle : notre époque est trop rationnelle, trop géométrique, et si la laïcité n’est pas condamnable, une forme de laïcisme l’est. Je l’ai souvent écrit en ces termes : « l’humanisme n’est qu’un christianisme laïc ». Pour y réfléchir, ici à haute voix, sous le regard amical et lointain de Simone Weil, je vois bien que je vais devoir dire dorénavant et de manière plus précise : « l’humanisme est un christianisme laïcisé ».

Ecoféminisme Versus Humanisme

Bien que je n’aime pas les concepts à géométrie variable, à contenu incertain – et j’y reviendrai –, je pourrais revendiquer et défendre l’écoféminisme, contre l’humanisme que je condamne, et qui est en effet, à la fois un spécisme et un machisme. Car la seule façon de justifier cette connexion entre écologie et féminisme, c’est bien en le formulant ainsi : écoféminisme versus humanisme ; et en revenant à la source religieuse de ce dernier.

Je le répète, l’humanisme, c’est l’autre nom du christianisme ou, pour le dire autrement, un christianisme laïque qui a vulgarisé (la Vulgate) le double message vétérotestamentaire, celui de la Genèse. Et il faut bien toujours revenir à la genèse des concepts : Dieu a créé son avatar pour qu’il domine la nature et la femme, établissant cette dernière entre l’homme mâle et la bête ; ou, pour le dire en terme juridique, entre l’homme et le bien meuble – en France, depuis le code Napoléon, l’animal est un « meuble » et faut-il rappeler que la femme fut longtemps considérée comme irresponsable.

Et l’Occident a été ainsi matricé par le judéo-christianisme ; et si le créateur a voulu que l’homme domine et exploite la nature et la femme pour que l’une et l’autre portent les fruits nécessaires à la croissance de son espèce – je n’insisterai pas sur cette façon d’assimiler la terre à la mère –, s’il a permis à l’homme de croquer la vie à pleines dents, le diable en introduisant le ver dans le fruit, a transformé l’homme, exploiteur et jouisseur, en prédateur.

S’agissant de son rapport à la nature et aux femmes, l’homme occidental a donc effectivement un certain problème que je qualifierai d’idéologique, de « religieux ». Mais l’Islam qui est une branche du judéo-christianisme (même tronc commun) a la même difficulté ; quant à l’hindouisme, au bouddhisme, ce sont aussi des religions très patriarcales. On ne peut néanmoins exonérer le christianisme (surtout catholique) de toute responsabilité quant au sort fait aux femmes ou à la nature – il y a quelques années, j’avais d’ailleurs chroniqué ici l’encyclique papale « Laudato-si » qui, sur le plan de l’environnement, m’avait proprement sidéré. Et malgré mon immense admiration pour Bérénice Levet, femme lumineuse, je ne peux souscrire à sa démonstration (dans « L’écologie ou l’ivresse de la table rase ») visant à dédouaner le christianisme de toute responsabilité dans les désordres écologiques et le mépris pour les espèces animales. Elle nous explique que les évangiles démontrent assez la proximité de Jésus avec la nature. Sauf que le Jésus dont on nous parle est un personnage préchrétien, qui vit dans un monde antique si l’on préfère, et qui est plus proche intellectuellement d’Epictète ou de Platon que d’Érasme. Et faut-il rappeler que Jésus n’a pu être chrétien, cette religion ayant été inventée par un autre que lui, et s’étant vraiment développée plus de deux siècles après sa mort – À Nicée, en 325 de notre ère, cette religion n’avait d’ailleurs même pas fini de clarifier sa doctrine. Et Jésus s’il avait vécu assez longtemps ne serait pas plus devenu chrétien que Marx n’est devenu marxiste.

Quant à la maltraitance animale, j’en reste à cette remarque de Nietzsche : « D’où vient que le christianisme a répandu en Europe la cruauté envers les animaux, malgré sa religion de la pitié ? Parce qu’il est également, et plus encore, une religion de la cruauté envers les hommes ».

Prolongeons mon dialogue avec Bérénice Levet et sur l’écologie, d’abord, et sur le féminisme ensuite – quitte à passer par Jonas.

Non spéciste, sans être antispéciste, féministe sans être sexiste, non raciste – je le pense – sans être racialiste, non croyant sans être athée, je suis écologiste et combats ce que je nomme avec d’autres, « écologisme » et en qui ses laudateurs français communiquent au sein d’EELV.

Un peu à la façon d’un Élysée Reclus qui reste, sur ce plan, ma référence ultime, je suis écologiste, car non-spécisme. Mais je ne suis pas un antispéciste, j’insiste. Et rappelons que si le spéciste croit à la supériorité morale de l’humain – seul être créé à l’image et à la ressemblance de son créateur –, l’antispéciste défend l’Idée que la nature aurait des droits. C’est une position que je dénonce. Le non spéciste que je suis défend l’opinion que l’homme fait partie de la nature, mais que les espèces humaines et non humaines ne s’inscrivent pas dans une hiérarchie morale. Pourtant, pour d’autres raisons, je pense que l’homme a des devoirs envers la nature. Et pour le comprendre, peut-être faut-il entendre ce que Hans Jonas nous dit du « Principe Responsabilité ». En synthèse, c’est parce que l’homme agit en conscience qu’il est pleinement responsable de ses actes, des artefacts qu’il invente, du monde qu’il créé. Et aujourd’hui « La frontière entre « État » (polis) et « nature » a été abolie : la citée des hommes, jadis une enclave à l’intérieur du monde non humain, se répand sur la totalité de la nature terrestre et usurpe sa place. La différence de l’artificiel et du naturel a disparu, le naturel a été englouti par la sphère de l’artificiel ; et en même temps l’artefact total, les œuvres de l’homme devenues monde, en agissant sur lui-même et par lui-même, engendrent une nouvelle espèce de « nature », c’est-à-dire une nécessité dynamique propre, à laquelle la liberté humaine se trouve confrontée en un sens entièrement nouveau ».

En tant qu’écologiste non encarté, je dénonce donc un écologisme, forme politique de l’écologie, comme Bérénice Levet le fait avec beaucoup de talent : mondialiste, bureaucratique, totalitaire, fanatique, converti au wokisme ; et sa prétention à reconstruire l’homme.

Quant au féminisme, et je veux, là encore, montrer mon attachement à Bérénice Levet, notamment aux idées qu’elle développe dans un autre de ses ouvrages : « La théorie du genre ou le monde rêvé des anges ». Pas plus que je ne crois à la supériorité morale, ou ontologique si l’on préfère, de l’humain sur l’animal, je n’admets l’idée d’une hiérarchie entre l’homme et la femme, ou ne souscris à cette idée que l’homme puisse asservir la femme, la subjuguer. Et si je défends l’égalité de leurs droits, c’est sans vouloir effacer leurs différences. Au contraire, je crois à leur complémentarité, donc à l’irréductibilité de leurs différences naturelles. Et ce que j’aime chez une femme, c’est bien cette altérité, qu’elle ne soit pas un homme ; et puisse, pour cette simple raison, me fasciner et m’échapper. Et c’est pourquoi je dénonce toute discrimination entre les sexes qui ne serait pas moralement ou politiquement neutre, qui serait donc négative ou positive.

Et je pourrai conclure aujourd’hui ce propos ainsi. Je rêve d’un monde qui ne serait pas dominé par les hommes ; j’en détesterais un autre dominé par les femmes, ou, pire encore, où il n’y aurait plus de différences entre les hommes et les femmes. Et c’est cet équilibre qu’il convient de trouver : accepter le donné naturel et ses corollaires, qu’il y ait donc des femmes et des hommes, des individus de différentes races, ethnie ou religion, des nations culturellement marquées par une histoire, une géographie, des traditions, des mœurs. Respecter tout cela, le vivre sans ostentation ni arrogance, dans une forme de laïcité, et construire à partir de ce donné, des conditions de vie acceptables et, si possible, harmonieuses. Et tout cela sans honte. Personnellement, je suis un occidental, mâle, blanc de peau, français de souche – oui, quand on peut prouver que ses parents vivaient sur ce sol, en Charentes, il y a plus de cinq siècles, peut-être plus de mille ans, cela fait sens – non croyant, mais de culture chrétienne. C’est mon identité, une identité que je n’ai de cesse d’essayer de dépasser ; c’est ma filiation que j’assume comme un legs. Mais si je défends une forme très élargie de laïcité, c’est que je crois que nous devons aujourd’hui plus encore qu’hier, mettre en avant ce qui nous rapproche, respecter les donnés naturels, et rendre le moins visible possible ce qui nous sépare culturellement. Sachant que ce qui protège les minorités, c’est d’abord le respect qui leur est dû, ensuite l’égalité de droit et le refus de la ségrégation, mais plus encore les libertés individuelles qui doivent être garanties à chacun. En regard, elles doivent respecter dans l’espace public, les mœurs, les coutumes de la société, de la nation dans laquelle elles vivent et qu’elles contribueront naturellement à faire évoluer. Une nation, c’est une histoire, un patrimoine, une culture. On peut se sentir différent, comme un enfant dans une famille ; on doit néanmoins accepter ce que l’histoire a fait, ce que l’histoire nous a fait, s’efforcer de l’aimer (amor fati), travailler à l’améliorer.

Il n’y a de progrès que moral

Sans doute me faut-il m’expliquer sur cet aphorisme : « Il n’y a de progrès que moral ». Je crois que « l’homme est un projet » (autre aphorisme). C’est aussi le sens de cette ancienne formule, « Deviens qui tu es quand tu l’auras appris », une exhortation que l’on doit à Pindare, un poète lyrique du Ve siècle avant le Christ (dans cette ode, il interpelle ainsi Hiéron, tyran de Syracuse). Devoir « devenir ce que l’on est », une intuition que les philosophes comme les religions ont reprise à leur compte, et qui, pour un esprit aussi peu religieux que le mien, peut constituer toute une Mystique.

Il me semble que cette invite s’adresse à l’homme en tant qu’homme, de fait, à l’humanité en tant que telle. L’homme est, ce que la tradition aristotélicienne nomme une entéléchie, non pas un être parfait, mais un être ayant en soi sa fin et sa perfection et qui trouvera sa perfection en devenant ce qu’il est. L’humain est donc un être en devenir, un projet ; et ce projet s’inscrit, depuis le début des temps humains, dans un cadre naturel que le judéo-christianisme considère comme créé par Dieu pour son avatar. L’homme ne peut donc être dissocié de la nature dont il procède, ce que toute la philosophie antique avait compris.

Tout progrès ne vaut donc que comme progression de l’homme vers la découverte et la réalisation en actes de ce qu’il est ; et de ce point de vue, un progrès technique ne peut être qu’un moyen de progression (ou de régression) vers cet idéal. Et si une civilisation est bien ce projet même, porté en un lieu et un temps par une communauté humaine, la fin de l’histoire ne pourra être que l’avènement de l’ère des premiers hommes, de l’homme complet, accompli dans sa plénitude. Et toute décadence civilisationnelle, comme celle que l’Occident vit depuis plus d’un siècle, n’est qu’un égarement du projet humain, une fausse route conduisant dans une impasse fermée par un mur.

Et, s’agissant de l’Occident, cette fausse route a d’abord été de renoncer à la nature, puis de la violer et de la surexploiter, puis d’accepter des perversions idéologiques fatales : l’humanisme spéciste est une perversion de l’humanisme, le refus de la finitude de l’homme, de sa dimension animale, en est une autre. De même, le refus des déterminations congénitales, biologiques ou sexuelles des individus. Ne parlons pas du racialisme qui, exacerbant la race, favorise le racisme, ou du féminisme qui s’égare sur le terrain de la haine du masculin. Mais vouloir sanctuariser la nature au point de couper l’homme de ses racines ou de l’obliger à vivre dans des « smart cities » est du même ordre. Je conclurai comme j’ai débuté, par un aphorisme à ma façon : « Il faut déshumaniser la nature, pour renaturaliser l’homme ».

Tout le mal que je pense de la convention citoyenne

Puis-je exprimer ici tout le mal que je pense de la convention citoyenne sur le climat ?

En premier lieu, je regrette que son objet ait été celui du dérèglement climatique, alors que ce problème, évidemment gravissime, n’est que la conséquence de notre modèle de développement et des dégâts écologiques induits. Le gouvernement prétend donc s’attaquer à la fièvre du malade, mais pas vraiment à sa maladie, montrant qu’il a compris l’impérieuse nécessité de permettre à l’humain de survivre, mais sans remettre en cause la société d’hyper consommation et de gaspillage ni aucun des dogmes économiques qui condamnent la planète. Car que l’homme trouve des solutions pour limiter la fièvre du globe ne changera pas grand-chose aux conséquences fatales, pour la vie des autres espèces, de son développement irrespectueux de son environnement. Cette convention prend donc le problème par son mauvais bout. En second lieu, on doit regretter les conditions mêmes de nomination des membres de la convention, car on a ici raté l’occasion d’une démarche démocratique innovante, par exemple en mettant en œuvre une expérience de « démocratie délibérative ». Ici, le tirage au sort final qui a permis de sortir 150 noms du chapeau, a été fait sur un échantillon construit par l’administration et censé représenter l’ensemble de la population. Mais comment expliquer que M. Cohn-Bendit se soit trouvé « tiré au sort » avant de décliner ? Comment expliquer Cyril Dion ait été, lui aussi, plus favorisé par le sort que quelques autres millions de Français ? Comment comprendre que la convention ait validé à une confortable majorité la réduction de la vitesse sur les autoroutes, alors que les trois quarts de la population y sont opposés. Ces membres, non représentatifs, ont donc été tirés au sort après tamisage dans des conditions surprenantes, et n’ont pu, à l’évidence délibérer librement. Car, c’est le troisième point, la convention a été étroitement encadrée par un comité de gouvernance à la main du gouvernement qui a élaboré le programme de travail et veillé à sa mise en œuvre. Ce comité s’est appuyé sur de nombreuses interventions d’experts pour diriger (dans tous les sens du terme) ses travaux. Ce qui explique que le Président de la République ait pu trancher, sans délai, sur les propositions d’un comité, puisqu’il connaissait déjà ces propositions qui sont celles préparées par l’administration et sur lesquels les membres, après qu’on leur ait bien briffé, ont eu à voter et à apporter une caution. D’ailleurs, on retrouve la « patte » de l’administration dans cette idée de créer de nouvelles taxes qui devront, comme cela a été dit, être affectées à la lutte contre le réchauffement climatique. Je comprends que dans notre pays qui croule sous les dettes, qui a vu cette année s’ajouter à son déficit structurel les dépenses exorbitantes du covid, on va créer de nouveaux postes de dépenses qui seront financées par de nouveaux prélèvements, pour payer, n’en doutons pas, de nouveaux « machins », et salarier encore plus de fonctionnaires. Alors qu’il aurait fallu, dans le contexte de crise que nous connaissons, faire des économies drastiques partout où cela était possible, renoncer à des priorités devenues secondaires, baisser le nombre de fonctionnaires dans toutes les activités non créatrices de richesses, et affecter une partie importante des économies faites aux investissements permettant de produire autrement : plus durablement, avec moins de gaspillages, et beaucoup moins de rejets carbonés. Mais à l’heure du projet de prolongement de la CRDS sur plusieurs décennies, on va encore plus mettre à contribution les Français. Il faut donc dénoncer cette opération de com macronienne et rester vigilant sur les propositions faites. On nous parle d’en faire un référendum. Est-ce à dire que le pouvoir reconnaît que les décisions de ce comité n’ont rien de démocratique ?