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Compte rendu du pire et du meilleur

Manuel Valls nous montre cette semaine le meilleur et le pire d’un ministre, par ailleurs efficace en son poste. Et si j’évoque ainsi, par cette accroche un peu facile, et la fermeté de sa gestion des réactions islamistes à Trappes et une proposition de réduire encore la vitesse des automobilistes, c’est  que ces deux informations, sans aucun lien, font politiquement sens. Et je m’empresse donc de faire mon miel – le miel amère de la critique – de la concomitance de faits, au centre desquels s’agite l’un des ministres les plus populaires et les plus jacobins de notre gouvernement ; et par ailleurs primo-ministrable. Car selon que l’on approuve ou non ses positions, et j’avoue soutenir ici la fermeté dans les banlieues et condamner une nouvelle limitation de vitesse, on prend de toutes façon des positions fondamentales qui clivent, bien plus et bien loin du faux clivage entre des partis de gouvernement socio-démocrates qui se prétendent, l’un de gauche et l’autre de droite.

Si donc j’applaudis notre ministre ici, pour le siffler ailleurs, c’est au nom du principe de liberté, en rappelant que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, celle de 1789, déclaration de principe qui fait partie de notre constitution, ne reconnait à l’humanité que quatre droits naturels, et partant, inaliénables : la liberté, la propriété privé, la sureté et  le droit de résister à l’oppression. Personnellement, je me déclare défenseur jusqu’auboutiste de la liberté ; et c’est naturellement au nom de ce principe fondateur que je conteste l’idée d’une nouvelle baisse de la vitesse autorisée sur les routes. L’argument évoqué par le ministre est celui de la réduction du nombre d’accidents mortels. Acceptons les termes de cette équation pour mieux en contester la résolution. L’économie de la question est bien celle-ci : jusqu’où est-on prêt à abandonner sa liberté pour préserver sa vie, alors qu’en d’autres temps, ou encore aujourd’hui sous d’autres ciels, certains donnent leur vie au nom de la liberté. La route a tué en France 3 645 personnes en 2012, et le cancer du poumon, environ 28 000. Chacun comprend bien que si l’on veut éradiquer la mort accidentelle, si tant est que l’on puisse considérer la mort comme une pandémie ou distinguer la mort accidentelle de sa forme naturelle, il conviendrait d’interdire la voiture, mais aussi la mobylette, et la planche à roulette, comme celle à voile, ainsi que la cigarette, le tabac à priser et la barbe de maïs – j’en fumais étant gamin, faute de pouvoir acheter des clops –, de prohiber le rouge qui tache et le petit blanc qui donne le courage d’aller pointer le matin à l’usine, de proscrire l’escalade en montagne ou le rafting en eau vive. Il conviendrait donc de vivre en épicurien, si possible dans son jardin car le monde est dangereux, et de se contenter de jouir des plaisirs naturels et nécessaires. Vivre de pain et d’eau fraiche, ne pas se mêler au monde, renoncer à la vie, vivre au cloître, ou douillettement protégé de la folie des hommes par les murs capitonnés d’une cellule monacale – le capiton permettant de rendre supportable le murmure lointain de ceux qui souffrent. Je me souviens de cette anecdote lue chez Diogène Laërce et qui contait ici un autre Diogène, celui de Sinope, qui se montrait dans cette fable assez épicurien, bien que cynique – mais on peut évidemment être l’un et l’autre – et qui observant un enfant buvant dans ses mains jointes l’eau d’une fontaine, jeta l’écuelle de bois qui, avec son bâton et son vieux manteau crasseux, constituaient ses seuls biens, considérant que c’était un luxe d’en posséder une s’il pouvait s’en passer. Mais Diogène qui méprisait le luxe savait prendre des risques. On prétend qu’il mourut d’avoir mangé un poulpe cru pour prouver l’innocuité et la supériorité du naturel. Et j’aime ce sage un peu fou que l’on représente toujours, soit dans son tonneau, soit une lanterne à la main, cherchant vainement dans les rues d’Athènes, un homme.

 Mais revenons à notre sujet et à la question de fond que l’on peut poser ainsi : Est-on libre de prendre des risques et de mettre sa vie en danger pour la consumer selon son désir ? Accessoirement, on pourrait s’étonner – faussement – qu’un ministre soit plus prompte à restreindre la liberté des automobilistes pour faire baisser ce chiffre de 3 645 décès, qu’à s’attaquer au marché du tabac qui tue 28 000 personnes par an.

Mais pourquoi, me dira-t-on, ne pas défendre sur les mêmes bases, la liberté des femmes musulmanes de se voiler – ou la liberté de leurs hommes à les voiler ? Pour au moins deux raisons qui me paraissent fondamentales. En premier lieu, il y va de la paix sociale dans une situation dont la criticité devrait nous apparaitre. Dans un pays de tradition chrétienne – on ne refera pas, malheureusement,  notre l’histoire –, mais à la population d’origine magrébine et de confession musulmane très importante, et en croissance démographique forte, dans un monde que les conflits confessionnels ensanglantent – la guerre religieuse entre sunnites et chiites devient chaque jour plus radicale –, il est indispensable de maintenir la cohésion nationale et de promouvoir la laïcité, faute de quoi, nous verrons, dans le pays de Voltaire, des églises et des mosquées bruler. Et la loi de la république doit être appliquée, partout. Je remarque d’ailleurs que cette revendication du port du voile est plus culturelle, donc politique, que religieuse. Et si l’Etat laïc doit rester tolérant sur la religion, et protéger les libertés de culte et les convictions de chacun, il ne peut rien céder sur l’identité culturelle de la nation ; une identité, évidemment en évolution permanente – et de ce point de vue, les changements à petite doses sont salutaires, comme les remèdes, et à forte dose, elles tuent ceux qu’elles prétendent soigner. On aurait beaucoup de mal à trouver dans le Coran ou dans les hadits du prophète, une obligation du port du voile ; mais mon lecteur pourra peut-être m’éclairer ? Je n’ai trouvé qu’une sourate qui le prescrit, mais dans un contexte historique particulier. Par contre, je trouve ce commandement stipulé de manière plus précise dans la religion chrétienne – au moins pour les assemblées –, et notamment dans la première épitre aux corinthiens rédigée par l’inventeur de la religion chrétienne, Paul de Tarse. Il y déclare d’ailleurs que si les femmes doivent conserver les cheveux longs, c’est que Dieu l’a voulu afin que leur chevelure leur constitue ainsi un premier voile[1]. Mais cette règle, qui marque l’attachement psychologique du treizième apôtre aux us de son temps, s’est perdue, car il est évident que l’on peut vivre sa foi chrétienne, comme sa foi islamique, sans être voilée. Je remarque d’ailleurs, aussi, que Dieu étant unique pour les chrétiens comme pour les musulmans, qu’importe le nom qu’on lui donne, Dieu, God, Gott, Gud, Allah, Dios, Dio, …, la foi en Dieu est toujours la même ; ce qui diffère, c’est chaque fois la foi en la parole des prophètes. On ne se bat donc pas ici pour Dieu et là pour Allah, on se bat pour le message porté par la voix de Moïse, pour Paul de Tarse ou pour Luther, pour Muhammad ou pour Ali, pour Bouddha, ou pour Lao Tse. J’évoquais une seconde raison, et je conclurai rapidement sur ce point. Je ne suis pas convaincu que de répondre à des conditionnements religieux d’un autre âge, soit faire preuve d’esprit critique et exercice de sa liberté de penser.



[1]. 1E.C. 11,5 : Toute femme qui prie ou qui prophétise la tête non voilée, déshonore sa tête.

EC 11,15 : C’est une gloire pour la femme qu’une longue chevelure, parce que la chevelure lui a été donnée en guise de voile.