Si les commentateurs conviennent que le premier tour est déjà plié, comme si l’actualité en imposait le résultat, à savoir que l’électeur devrait s’y plier, ils se focalisent surtout sur le second, mais en oubliant le troisième, le seul décisif.
De fait, la classe médiatique en est restée au temps des partis, cette époque défunte où la politique était faite par des partis politiques qui se distribuaient ou s’échangeaient postes et pouvoir. Mais ce temps n’est plus, je l’ai assez dit ici. Après la fin sans retour possible du PS, avec l’agonie de LR, il nous faut bien convenir que nous avons changé d’époque. Dans l’ancien monde, on savait que le Président élu n’aurait aucun mal à trouver sa majorité. Ce fut d’ailleurs l’une des raisons de la modification constitutionnelle de 2000 : éviter l’alternance. Et cette réforme, qui correspondit à une présidentialisation du régime, répondait surtout à une logique imparable. Si les électeurs choisissent pour les gouverner un parti politique, alors, s’ils le font dans le même temps pour l’Élysée et le Palais Bourbon, ces choix doivent permettre d’obtenir à coup sûr, et un Président et une Assemblée congruents à leurs vœux et cohérents. Mais l’électorat étant changeant comme le temps en Bretagne, encore fallait-il que ce choix fût fait pour ces deux lieux différents, dans le même temps.
Mais aujourd’hui, le choix ne se fait plus pour des partis, à tel point que des candidats qui ne sont pas des produits partisans (Macron, Zemmour) peuvent espérer l’emporter. Et les logiques qui président à l’élection d’un Président ou d’un Député sont donc différentes, avec le risque que le locataire de l’Élysée n’ait pas de majorité, donc qu’il ne puisse gouverner, donc qu’il ne soit pas vraiment Président – en exercice. Car, dans une logique présidentialiste, un président de cohabitation n’est pas plus président que Medvedev ne l’était en 2012 en Russie, ou du moins ne l’est qu’en titre.
La présente élection présidentielle s’appréhende donc comme une élection à trois tours et il faudra attendre le 20 juin pour savoir qui gouvernera la France et quel programme sera appliqué (libéralisme mou, ou dur). Et si nos commentateurs politiques faisaient bien leur job, ils envisageraient 3, peut-être 4 pour rester polis, scénarios :
L’élection d’Emmanuel Macron après qu’il ait reçu le soutien et accepté le renfort de Valérie Pécresse, et un second quinquennat proche du premier en plus dur, des deux côtés de la barricade ;
L’élection de Marine Le Pen, sans aucune majorité et obligée de tenter une alliance impossible avec Éric Zemmour, conduisant à une situation de cohabitation totalement inédite, lui laissant beaucoup de temps pour s’occuper de ses chats ;
L’élection d’Éric Zemmour avec quasiment les mêmes difficultés que Marine Le Pen – je ne sais s’il aime les chats, mais je crois que sa compagne va lui donner bientôt un petit à s’occuper ;
L’élection de Jean-Luc Mélenchon, sans majorité, et conduisant à une cohabitation très difficile avec des forces de droite radicalement opposées à FI. Sera-ce son dernier combat tribunitien ?
Dans tous les cas, ce peut être inédit, donc intéressant, sauf à ce que d’ici là, Poutine nous ait obligés à vivre dans nos caves sans télé, où à porter à nouveau un masque pour se rassurer, comme si une guerre chimique ou bactériologique à l’est de l’Europe, n’aurait pas d’effets ici. Faut-il craindre alors qu’un gouvernement doive quitter notre capitale pour se réfugier à Vannes, plus qu’à Vichy ? Non, car pour se protéger des effluves létaux des armes russes, le mieux serait Brest, au bout du bout.