Comment, prétendant à la « philosophique-attitude », ne pas réagir à l’actualité quand elle devient si présente et si prégnante, et quand le peuple en colère, ou du moins une partie de ce peuple coiffée d’un bonnet rouge, est dans la rue, brise des symboles de l’Etat-percepteur, chahute le Président, conteste la loi, défit le « monopole de la violence légalisée », et installe dans le pays un climat que certains qualifient trop vite d’insurrectionnel. Quand l’impôt est contesté, et avec une telle force, même localement, c’est l’Etat qui est contesté. Et face à cette situation explosive, on n’entrevoit que trois réponses politiques possibles : la violence institutionnelle, la discussion, et le pourrissement. Et l’Etat va donc jouer de tous ces leviers, en jouer comme on fait la cuisine gouvernementale, une cuisine sans grands talents : un peu de violence, mais pas trop pour ne pas envenimer la situation et ne pas obérer définitivement les chances du P.S. aux prochaines élections, municipale et européenne ; un rappel des principes républicains et du droit en démocratie ; l’agitation de l’épouvantail frontiste ; des concessions qui doivent désamorcer la crise, même si l’Etat n’a pas pour habitude de tenir ses promesses, et reste maître dans l’art de proposer des marchés de dupe. Considérons-donc, que le pouvoir étant maître à gouverner, et l’humeur du peuple changeante, les choses devaient rentrer dans l’ordre républicain, et la probabilité d’un véritable embrasement qui consumerait la sixième république reste faible. J’évoque la sixième, car nous avons déjà changé de régime en 2000 avec la réduction à cinq ans du mandat présidentiel et la modification du calendrier électoral (concomitance avec les législatives).
On peut quand même s’inquiéter de l’absence d’autorité politique en France. Et cela n’est pas le fait de tel ou tel président, mais bien celui, causal, d’une classe politique. D’ailleurs, aucun leader politique crédible ne donne de la voix, ne propose un projet de société alternatif, n’exprime une vision, ne montre le moindre chemin. On voit bien que c’est le Marché qui décide, relayé par les institutions de Bruxelles qui imposent leurs intérêts à nos sociales démocraties de droite ou de gauche, et qui ne sont en fait que des régimes sociaux-libéraux. Et tout observateur honnête doit convenir que c’est le résultat d’une prise de pouvoir des fonctionnaires. Notre république est une république de fonctionnaires, dirigée par des fonctionnaires pour des fonctionnaires ; et dès lors, il ne faut pas s’étonner de la médiocrité de son fonctionnement.
Le second point que je relève, après ce constat de l’absence d’autorité des représentants de l’Etat, c’est cette vanité du rappel à l’ordre. Je veux bien reconnaitre, puisque c’est ma propre opinion, que la « liberté civile est consentement à la loi ». Mais cela ne vaut que pour la démocratie ; et on ne peut, comme Stirner le rappelle[1], avoir une approche religieuse du droit, en considérant que la loi serait sacrée. La liberté est donc consentement à la loi, si cette loi est votée démocratiquement. Or, ce n’est pas le cas en France, pays qui a cessé d’être une démocratie depuis que les partis politiques ont pris le pouvoir. Si les syndicats de salariés représentent environ 7 % des travailleurs, les partis représentés à l’Assemblée représentent 1 % d’affiliés. Et les parlementaires n’étant plus les représentants de leurs électeurs (environ 44,5 Million), mais les mandataires de leur partie (moins d’un demi-million de personnes encartées), nous sommes bien gouvernés par des structures politiques qui sont animées par moins de un pour cent de la population, qui profitent de la passivité du corps électoral, et qui ont substitué au principe de la représentation nationale, celui d’une représentation partisane, par ce que l’on appelait au XVIIe siècle des ligues. Et Rousseau dans le Contrat Social nous met en garde contre ces ligues. Notre gouvernement est monarchique : tous les pouvoirs étant concentrés entre les mains d’un seul élu sans programme clair, et qui fait ce qu’il veut. Chacun devrait pouvoir en convenir. Dès lors, quelle valeur à la loi, si ce n‘est celle de la force des corps armés de la république (gendarmes, etc.).
Concernant ma remarque sur l’agitation de l’épouvantail frontiste, je constate avec un vrai désarroi – ne roulant pas pour Marine – que les partis dits « de gouvernement » sont incapables d’endiguer sa progression, et ne savent comment réagir au-delà de l’incantation républicaine creuse. Mais en quoi le FN, que je combats, ne serait-il pas un parti républicain, ou pourquoi le serait-il moins que l’autre front, son voisin de palier, à gauche ? M. Copé réaffirmait récemment que son parti ne pactiserait pas avec le FN et ne signerait aucun accord. Est-ce la réponse adaptée ? Le P.S. n’avait-il pas détruit le P.C. en s’alliant avec lui au sein de l’Union de la Gauche ? Le F.N. ne progresse pas en s’alliant ici ou là. Il gagne des parts de marché en opposant sa virginité gouvernementale à l’impéritie de la classe politique, et si l’on veut combattre les partis national-populistes, ne faut-il pas refaire de la politique, ce que nos politiques formés à l’E.N.A. ne font plus depuis trop longtemps. Ne nous manque-t-il pas une loi sur la gestion (humaine) des flux migratoires – et non une fermeture des frontières –, ne faut-il pas une loi sur l’immigration qui permette l’assimilation de populations ethniquement, religieusement, ou culturellement différentes, une grande loi sur la laïcité, concept qui n’est pas défini dans notre constitution, une loi cadre qui abordait les vrais questions dont les réponses feront l’avenir collectif de notre société : surpopulation, surconsommation, surrentabilité.