Qui sème la violence institutionnelle voit pousser la désespérance et finit par récolter la mort et la violence.
Les gouvernements qui se succèdent en France depuis de trop nombreuses décennies sèment la violence ; celui de M. Macron, sans être pire, ne fait pas autrement.
Ce samedi, on en a vu le terrifiant résultat ; et je ne doute pas qu’en réponse à la violence inadmissible des casseurs, M. Castaner castagne et que le gouvernement d’Emanuel Macron poursuive dans la même voie : connivence avec les nantis, mépris des plus faibles, allégement des charges des plus fortunés, alourdissement des prélèvements des plus pauvres, démagogie permanente. On se méprend souvent sur la violence et sur l’autorité, et pour paraphraser Hannah Arendt, je rappellerai ce que la politique nous démontre malheureusement quotidiennement : Mensonge et violence sont ruine de l’autorité ; la communication commençant là où finit la com.
Augmenter la fiscalité des retraités au prétexte de solidarité générationnelle, alors que la solidarité ne semble pas s’opposer à l’allégement de l’ISF, est d’une grande violence. Justifier les cadeaux aux riches par un prétendu effet de ruissèlement est aussi d’une grande violence, et avoir raboter aussi faiblement que ce soit les APL, encore et toujours… Car c’est tout le problème de la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Si l’on pouvait l’isoler à fin d’analyse, elle paraitrait bien commune, bien dérisoire cette goutte d’eau, sans doute plus petite que bien d’autres. Mais, c’est elle qui fait déborder le vase. Aussi innocente soit-elle, elle se montre, par ces effets disproportionnés, d’une grande violence. Avoir ramené la vitesse sur les routes secondaires à 80 km/h, où est le problème ? Certains diront, surtout les urbains, que c’est un détail, après tant de mesures de ce type ! Et bien justement, c’est une de ces gouttes d’eau modestes, mais d’une extrême violence qui, dans un contexte particulier, stigmatise, humilie, et fait une démonstration éclatante : la bureaucratie souhaitait ce nouvel interdit, le peuple n’en voulait pas. Le sujet n’était pas politique et, au bout du compte, de si peu d’importance. Une fois de plus, le gouvernement a choisi, pour la bureaucratie, contre le peuple, c’est-dire a nié la démocratie, et l’a justifié par « l’intérêt des gens », suprême démagogie. Dans le contexte, c’était violent, comme une goutte de trop dans un vase trop plein.
Le gouvernement a montré là son manque d’autorité : incapable de s’opposer à l’administration, incapable de retenir M. Hulot, incapable de retenir M. Colomb. Demain, M. Castaner pourra cogner. Tout déploiement de force est l’aveu d’un manque d’autorité, et pourtant, dans le cas présent, l’État ne peut pas se dérober. L’autorité est un crédit. Ce gouvernement Macron n’en a plus ; cela ne me réjouit pas et m’effraierait plutôt. La confrontation de la rue avec la police est le pire des scenarii.
Que peut-on aujourd’hui espérer ? Je n’en sais rien, si ce n’est que les gilets jaunes dont le combat est légitime, la désespérance réelle, prennent leurs responsabilités et trouvent d’autres moyens d’action, sinon tout ce mouvement de sympathie, de soutien, va refluer très vite. Piller des magasins, brûler des immeubles, casser du flic n’est pas une solution ; et même si l’on ne doit pas assimiler les jaunes aux casseurs, recréer la possibilité d’un tel chaos reviendrait à faire la courte échelle aux radicaux les plus violents. Il faut inventer une forme nouvelle et contemporaine de désobéissance civique non violente.
Oui, j’écris « civique » quand d’autres penseraient « civile ». Dans le contexte, la désobéissante peut être un acte civique. Il faut se souvenir des leçons et de La Boétie et de Thoreau, de Gandhi ou de Luther King ; et pourquoi pas du Jésus des évangiles, personnage si peu chrétien et tellement subversif. Manifestons notre désaccord de manière jouissive, festive, non-violence, je dirais aimable. Refusons toute médiation des corps intermédiaires qui font partie de l’appareil d’État jacobin et se sont donc disqualifiés. Cessons de bloquer l’économie, les commerçants ont aussi le droit de vivre. Traitons l’État par le mépris, c’est-à-dire comme il nous traite ; cessons de consentir à cette prétendue démocratie qui n’en est pas une ; témoignons de notre désir d’autre chose : une fraternité, une solidarité, un gout de la simplicité et de la vérité ; Arrêtons de voter pour ça, ou glissons dorénavant dans les urnes dans bulletins barrés d’un fluo jaune.
Le Jésus de l’évangile – qu’importe qu’il s’agisse d’un personnage historique ou d’une personnalité fantasmée – nous dit (je résume) : « Ne répondez pas à la violence par la violence, et rendez à César ce qui est à César ». C’est la première leçon. Quinze siècles plus tard, un jeune homme d’une vingtaine d’années, La Boétie, écrit ces mots : « Ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude ». Quant à Thoreau, philosophe américain du XIXe siècle, il confesse dans un court texte où il appelle au « devoir de désobéissance civique » : « Je ne demande pas d’emblée « point de gouvernement », mais d’emblée, un meilleur gouvernement. Que chacun fasse connaître quel genre de gouvernement commanderait son respect, et ce sera le premier pas pour l‘obtenir ». Oui, il est grand temps que les gilets jaunes s’organisent et s’expriment de manière cohérente. Et si j’ai cité Gandhi ou Luther King, c’est qu’ils ont su triompher, par la désobéissance civile, dans un combat très inégal et j’ai retenu cette formule du second, comme une réponse aux « concessions » du gouvernement macron : « La vraie compassion ce n’est pas jeter une pièce à un mendiant ; c’est comprendre la nécessité de restructurer l’édifice même qui produit des mendiants ».
Les gilets jaunes ne sont pas de taille à affronter par les armes un État riche, déterminé, armé jusqu’aux dents disposant d’une armée moderne et de services de police, de gendarmerie, de surveillance, extrêmement bien équipés et entrainés. Il faut donc mener d’autres combats, sur d’autres terrains, entrer en résistance de manière déterminée et pacifique, et être prêt à un combat long et difficile.
Que chacun prenne ses responsabilités.