L’humain me désespère, je l’ai déjà dit, écrit ici maintes fois ; et m’inquiète plus encore l’état du monde et précisément de la terre, subtil écosystème qui gravite autour d’un soleil qui se meurt en se consumant lentement. Je sais la vanité des choses, l’impermanence essentielle de l’univers et l’inconsistance d’un humain prétendument créé à l’image et à la ressemblance de dieu ; et je m’interroge toujours sur cette formule : orgueil de l’homme ou mépris pour le créateur ? Mais restons sur terre : l’homme l’épuise et la salope avec la désinvolture d’un gamin un peu jean-foutre, un branleur, pour le dire en français compréhensible ; et chaque observateur un peu attentif à ces choses peut voir que nos jours sont comptés et que le métronome s’affole, pris d’une tachycardie heurtée. Pourtant, je ne discerne encore aucune réelle prise de conscience de l’urgence de la situation. Après une allocution vide de propositions, on nous dit que le président français aurait renoncé à se coltiner ce problème si prégnant. J’évoquais il y a peu, en regard de l’impéritie politique, la mobilisation des plus jeunes, l’exemple de Greta Thunberg, mais sans doute avec trop d’optimisme car la mobilisation contre le réchauffement climatique est bien la preuve d’une absence d’appréhension du problème. Car ces jeunes, au demeurant sympathiques, confondent déjà la maladie et ses symptômes. Et le fait qu’ils se mobilisent pour lutter contre le symptôme montre bien qu’ils dédaignent le mal même qui nous ronge, c’est-à-dire un modèle de développement qui conduit à la destruction systémique de notre environnement.
Le réchauffement climatique n’est évidemment qu’une conséquence parmi beaucoup d’autres de la destruction de l’environnement et de l’impact toujours plus grand, toujours plus fatal des activités humaines sur les écosystèmes naturels. Réglons le problème climatique et rien ne sera réglé. Les espèces vivantes continueront à disparaitre, la terre à se stériliser, l’homme à perdre tout contact avec une nature qu’il méconnaît et méprise. Présenter l’agonie de la terre que nous avons provoquée comme un problème climatique, c’est le réduire, l’ignorer, faire preuve d’une grande inconscience ou se voiler la face ; et c’est perdre un temps précieux. Et c’est aussi, d’une certaine manière, faire preuve d’humanisme, c’est-à-dire tout ramener à nous, à notre confort d’hommes dénaturalisés, urbains. Le vrai problème n’est que nos vies soient menacées par la montée des océans, les canicules à répétitions, des incendies immaitrisables, des ouragans sans précédent, des catastrophes naturelles insurmontables. Non, le problème est qu’en détruisant la terre (je veux dire ses fragiles équilibres), nous avons condamné un nombre considérable d’espèces vivantes.
Homme, mon frère et ma sœur, quand vas-tu regarder le problème en face ? Richard Powers, après Jared Diamond, le dit simplement « Une croissance exponentielle dans un système fini mène à l’effondrement ». Surexploitation et gaspillage des ressources naturelles, pollution des terres et des mers – sans parler de l’atmosphère –, déstockage massif du carbone et déforestation. La solution est simple à poser, si difficile à mettre en œuvre. Il nous faudrait être moins nombreux, beaucoup moins nombreux et que chacune baisse drastiquement sa consommation et sa pollution, son empreinte écologique, sachant que l’écart entre les consommations individuelles des uns et des autres est supérieur à cinquante et doit être diminué, rééquilibré. Et il faut nettoyer, reboiser et peut-être réensemencer les mers. Car nous avons partiellement vidé les océans de leurs poissons et de leurs mammifères, modifier la salinité des mers, partout violer la planète. En moins d’un siècle, nous avons fait disparaître la moitié des arbres qui sont les meilleurs pièges à carbone. Et un arbre qui disparait c’est tout un écosystème qui meurt. Le réchauffement climatique n’est pas la cause de tout cela, mais l’une de ses conséquences fatales, et il faut s’attaquer aux causes et non aux conséquences, même si elles sont, elles-mêmes causes d’autres catastrophes, car une carte qui tombe en entraine une autre dans sa chute.
Mais, je le redis, l’homme se moque de ce qui ne le touche pas, et si la nature disparait, que lui importe ? Pourvu que l’air qu’il respire dans ses villes lui convienne, que les gazons de ses parcs urbains soient bien verts, qu’il reste quelques arbres aux ronds-points, quelques potagers sur les toits des immeubles. Et si un sanglier perdu s’égare dans une zone commerciale, ou si un chevreuil apeuré traverse une avenue de banlieue, ou que dans la nuit noire d’une résidence de campagne, les yeux d’un loup percent, alors ces bêtes seront abattues pour que l’ordre des hommes demeure. L’homme se fout de la nature, car il la méconnaît et n’a plus guère de contacts avec elle. Il finit même par confondre le jardinet ridicule de son petit pavillon pour un coin de nature, et se convaincra bientôt qu’il sert la nature en élevant une poule sur le béton de son garage.
Il n’y a pas de prise de conscience de la gravité de la situation ni des causes profondes du mal, et nulle remise en cause de notre système économique et de notre idéologie. Et s’il faut dire les choses, il s’agit de la marchandisation du monde et de l’humanisme. Je le dis à Greta Thunberg : il ne sert à rien d’interpeler la classe politique si l’on ne dénonce pas un système bourgeois qui réifie le monde et ne le considère que sous le rapport de sa valeur marchande, et une idéologie qui promeut l’idée que la terre a été créée à l’usage de l’homme qui pourrait croitre indéfiniment, quitte, après avoir épuisé la terre, l’avoir croquée comme une pomme d’or ou presser comme une orange bleue, à se projeter sur Mars ou ailleurs, pour piller et saloper d’autres planètes. Citant Richard Powers dans « l’Arbre Monde », je livre cet avertissement glaçant : « La Terre sera monétisée jusqu’à ce que tous les arbres poussent en lignes droites, que trois personnes possèdent les sept continents, et que tous les organismes vivants soient élevés pour être abattus ». Oui, Greta, c’est bien cela qu’il faut dénoncer et combattre. Il nous faut partout protéger la nature, rendre partout où cela est possible la terre à la forêt ou aux herbes sauvages – souvenons-nous qu’il fut un temps ou l’Europe n’était qu’une immense forêt –, nettoyer les océans et les mers, diviser dans les pays riches notre consommation par trois – pour commencer –, mener des politiques ambitieuses de réduction de la démographie. Et le plus essentiel, et cela peut paraître paradoxale, il faudra rapprocher l’homme de la nature, c’est-à-dire cesser de favoriser sa concentration dans des mégapoles dont l’importance économique, politique devra diminuer. Et c’est aux jeunes de s’engager dans cette voie.