Je m’arrête acheter mon pain au coin de la rue, fais la queue, paye en faisant l’appoint.
La gamine qui encaisse, une teenager comme disent les anglais, me jette un regard noir au-dessus du masque, et repousse avec dégout une de mes pièces jaunes. D’une voix pincée, haut perchée, vulgaire, entre violence et mépris : « Celle-là n‘est pas française ! ». Je vérifie. Je m’étais fait refiler une pièce de 5 cts de Francs. Je m’excuse par réflexe et sans avoir l’aplomb de lui répondre qu’en fait, c’est la seule française et que les autres sont européennes. En sortant, maugréant dans ma barbichette, je m’étonne qu’elle n’ait pas reconnu la piécette et je prends conscience qu’alors que j’ai presque toujours vécu avec cette monnaie, elle n’a probablement jamais vu de pièces françaises. Je n’avais pas encore suffisamment intégré que certains adultes étaient nés dans en euroland. Il faut bien le comprendre, bien le rappeler aux souverainistes.
Pour beaucoup de jeunes, appelés à se prononcer un jour pour ou contre une sortie de l’UE, il s’agira bien de quitter, ou pas, le monde dans lequel ils sont nés, alors que pour les plus âgés, ce ne sera que d’éventuellement faire un pas nostalgique en arrière, vers leur jeunesse. Le résultat d’un tel référendum tiendra donc peut-être moins d’un choix politique réfléchi que de considérations psychologiques, la vieille peur du changement pour les uns, la nostalgie pour d’autres ; questions de générations.