Depuis des lustres, la vertu peut se condenser dans cette courte formule « avoir du cœur », mais si, pendant longtemps, avoir du cœur signifiait « avoir du courage », aujourd’hui, transvaluation qu’il faut bien attribuer au christianisme, cela signifie « avoir de la compassion », et plus encore, en demander, être une victime ou en adopter la posture. Et on pourrait être surpris de cette inversion axiologique : le héros, celui qui a du cœur, était jadis un individu courageux et fort, aujourd’hui c’est une faible victime. Et la victime, parce qu’elle est une victime et n’a donc pas à rendre de comptes, est exonérée de tout, car tout lui est dû, tout lui est, a priori, pardonné ; car comme victime, elle a déjà payé pour tout. Et c’est bien ce que Nietzsche dénonçait.
On peut s’interroger sur la figure du héros dans nos sociétés occidentales. J’en vois au moins deux, mais en cherchant bien, on doit pouvoir en dénicher un grand nombre. Pour le Marché, c’est l’homme riche, non pas l’entrepreneur, mais le parvenu, au sens premier du terme. Celui qui a réussi, et peut en jouir en s’affichant sans complexe dans les médias. Pour la bureaucratie étatiste, le héros, c’est la victime, éventuellement morte ou salement diminuée : celui qui a eu la « chance » de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment ; à la terrasse d’un café par exemple, le jour où des islamistes voulaient se défouler en tirant dans la foule. Des fous de dieu, et des passants qui n’avaient rien demandé et qui se sont martyrisés et héroïsés, rachetés de je ne sais quoi par leur sacrifice involontaire