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Le drame gazaoui

En février 1945, les Anglo-américains, engagés depuis plusieurs années dans un conflit qu’ils n’avaient pas voulu, cherchant à éradiquer l’idéologie nazie et ses promoteurs, déversaient près de quatre mille tonnes d’engins explosifs et incendiaires sur la ville de Dresde. Il s’agissait de s’attaquer à des infrastructures du Reich et d’accélérer la fin de la Seconde Guerre mondiale. Outre les destructions massives, beaucoup de civils allemands, hommes, femmes, enfants, vieillards périrent. On s’en offusqua alors, certains parlant non pas de génocide, mais d’holocauste. Et on peut encore se poser la question de la justification morale d’un tel bombardement. C’était six mois avant Hiroshima et Nagasaki.

Depuis fin 2023, les Israéliens, engagés dans une guerre contre le Hamas qu’ils n’ont pas voulue, cherchant à éradiquer une idéologie islamiste radicale ayant commis en octobre 2024 d’horribles crimes de guerre, déversent des tonnes d’explosifs sur la bande de Gaza. Il s’agirait de s’attaquer à des infrastructures du Hamas (souterrains, dépôts, etc.) et de récupérer des otages. Outre les destructions massives, beaucoup de civils gazaouis, hommes, femmes, enfants, vieillards ont péri. On s’en offusque aujourd’hui, très logiquement, certains parlant de crimes de masse et de génocide. Et on peut encore se poser la question de la justification morale d’un tel bombardement.

Faut-il rajouter qu’environ 60% des bâtiments de l’enclave palestinienne ont été détruits, subissant un sort presque aussi dramatique que certaines villes françaises pendant le dernier conflit mondial ?

La guerre est une chose qu’on ne peut d’autant moins accepter que ce sont, là encore, toujours les civils qui paient. Je pense aussi à l’Ukraine que le Président Trump est en passe d’abandonner. Des civils qui n’y sont pour rien. Les Russes n’ont pas décidé d’attaquer leur voisin, ni les Palestiniens les Israéliens. Les peuples subissent les décisions de leurs gouvernements qu’ils soutiennent ou combattent – M. Netanyahou est contesté dans son pays, les Palestiniens sont, pour une partie d’entre eux, pris en otage par le Hamas qui les affame et les utilisent comme boucliers humains, les autres, sous l’Autorité Palestinienne, combattent politiquement le Hamas. Et d’autres états sacrifient les Palestiniens sur l’autel de la géopolitique : L’Iran, la Turquie, le Qatar ; quand des citoyens européens soutiennent financièrement de prétendues associations humanitaires, dont le but est de détourner les sommes recueillies pour financer l’achat d’armes pour le Hamas, et ; au bout du compte ; permettre à des terroristes de continuer leurs crimes.

On voit donc que la question morale est difficile à poser. Et que si une solution à deux états, comme prévu en 1947/48, mais avec une répartition du territoire tenant compte de ce qui s’est passé depuis, est la seule solution, et dès lors s’impose, restera alors à régler la guerre entre Israël et l’Iran. À croire que cette perspective se perd dans le brouillard.

Pour ma part, je ne peux que soutenir les Gazaouis, dire toutes mes réserves sur la politique de M. Netanyahou, et dénoncer les premiers responsables de ce drame, le Hamas, mouvement terroriste, et l’Iran, une théocratie monstrueuse, qui mène en Israël, par procuration, une guerre de religion.

Propos sur le pouvoir

Relisant Alain, ses « Propos sur les pouvoirs », je retrouve sans surprise confirmation de cette filiation que je continuerai à revendiquer jusqu’à mon dernier souffle : Reclus, Alain, Camus, etc., mais il faudrait rajouter à ce panthéon personnel, Tolstoï, Thoreau, Gandhi, et bien d’autres qui, pourtant, sont tous singuliers. Mais tous défendent, dans leur cadre de pensée, et avec leurs mots, un socialisme individualiste, c’est-à-dire, libertaire ; une idéologie qui considère qu’existe en chacun de nous une singularité irréductible, et, qu’en politique, le peuple doit toujours être au début et à la fin, quitte à ce que l’action politique passe par un État qui ne peut être, aujourd’hui, compte tenu de l’évolution du monde, qu’un mal nécessaire. Et si je cite toujours d’abord Reclus, comme on mettrait un produit en tête de gondole, c’est qu’il était aussi féministe avant l’heure, écologiste à une époque où ce concept n’avait pas encore été forgé – il était aussi végétarien par respect pour les animaux –, pacifiste, et plus largement non violent, ce qui le distinguait de certains de ses amis anarchistes, je pense à Bakounine, Kropotkine.

Socialisme libertaire, donc partisan, par défaut, d’une République d’inspiration résolument laïque et démocratique. Car si la monarchie n’est pas concevable dans un système laïc, l’aristocratie pose aussi problème. Même si l’idée, très platonicienne, de confier le gouvernement de la cité aux meilleurs, semble n’être qu’une marque de bon sens. Mais le projet de retenir les meilleures se heurte à deux obstacles insurmontables. Comment, par quel processus, désigner les meilleurs et s’assurer qu’ils le restent ? Les méthodes utilisées aujourd’hui sont en échec. Et surtout, sur quelle échelle de valeurs ? Oui, toute la difficulté tient à ces deux points. Peut-on, de manière conceptuelle, construire une échelle de valeurs, et comment, sur cette échelle, évaluer les hommes de pouvoir ? Cette impossibilité disqualifie le système aristocratique, sauf en cas de crise majeure, en temps de guerre, quand le meilleur est, de fait, le plus grand général, le guerrier le plus brave ou le plus audacieux. C’est ainsi que se forma, parmi d’autres, l’aristocratie française franque. Mais, en temps de paix, cette aristocratie qui sombre alors dans le luxe corrupteur ne vaut plus grand-chose. Rappelons aussi que les cités grecques étaient capables, en cas de crise, de suspendre la démocratie pour confier le pouvoir à un dictateur ; et cela pour un temps donné.

Mon obsession reste donc la liberté et très précisément les libertés individuelles. Et ce tropisme est chez moi, congénital. Car, et j’emprunte cette formule à Alain dans un texte de 1922, « je suis né simple soldat ». Mais pas seulement, ni fait pour diriger ni fait pour obéir : un esprit indocile, réfractaire à l’ordre, aux ordres, mais jamais déserteur, évidemment par solidarité de classe. Et si je reprends cette image militaire, c’est que je la trouve plus intéressante, et surtout plus moderne que cette autre, hégélienne, qui voudrait que le monde se divise naturellement, et pour des raisons d’essence, entre maîtres et esclaves. On naitrait l’un ou l’autre, ce qui condamnerait définitivement toute idée de démocratie comme ignorant le réel, et renverrait cette idée dans le ciel des utopies. Et je veux bien, gardant les pieds sur terre, le corps ancré dans la réalité des corps, biologiques ou non, reconnaître qu’il n’y aura jamais de démocratie directe, de « gouvernement du peuple par le peuple ». Mais pour ne pas désespérer de la Politique et de l’Humanité, on peut peut-être, par une pirouette, s’en sortir par le haut et garder un peu d’optimisme ou du moins de raisons de se battre. On peut en effet définir la démocratie, dont le concept en a vu tant, soit de manière active, soit passive. De manière active, je viens de le faire en rappelant la formule de Lincoln « gouvernement par le peuple et pour le peuple ». Et si l’on cherche cette formulation passive, en la doit aussi à un anglo-saxon : « Democracy is the worst form of Government, except for all others – le pire à l’exception de tous les autres ». Cette formule aphoristique, que Churchill rappelle en 1947 sans la reprendre à son compte, est une façon et une occasion de rappeler « que le peuple doit être souverain, souverain de façon continue, et que l’opinion publique, exprimée par tous les moyens constitutionnels, devrait façonner, guider et contrôler les actions de ministres qui en sont les serviteurs et non les maîtres ». On pourrait donc dire, sur un mode passif, donc peut-être plus réaliste, que la démocratie, à défaut d’être le gouvernement du peuple, c’est la possibilité du peuple de juger ses dirigeants et de les congédier, mais surtout la possibilité d’être gouvernés par des élus populaires et non une caste de professionnels de la députation ou de la haute administration. Il faut donc casser cette relation de maîtres à esclaves, en travaillant à ce que les gouvernés ne soient pas traités comme des esclaves et les gouvernants ne se prennent pas pour des maîtres. Et quant à moi, je sens bien que le seul gouvernant que je puisse accepter, supporter, n’est pas « un personnage d’autorité », mais bien « un personnage d’humilité ». Et la meilleure façon de pousser au bout cette logique de l’humilité politique, c’est de pousser celle de la république. Notre république a su désacraliser le souverain, lui refusant sur la guillotine tout statut divin. Car celui-ci, à défaut d’être comme César d’ascendance divine – d’Enée par sa mère Vénus –, était oint, depuis Clovis, suivant le rite chrétien – un peu comme un pape. Mais nous gardons toujours cette idée d’un gouvernant supérieur, jupitérien, monarchique. Alors qu’il faudrait s’attacher à une démocratisation qui doit devenir une désacralisation, une sécularisation, une vulgarisation du pouvoir. Et, poussant plus loin encore cette logique, je rêverais, pour ne pas confondre République et pouvoir, que nous soyons capables de porter très haut notre république, quitte à accepter que se développe une transcendance de cette république, mais que le pouvoir reste le plus vulgaire possible, proche du vulgum pecus, par l’élection de députés tirés au sort, par l’instauration de référendums, à la fois d’initiative populaire et d’initiative parlementaire, et l’abandon de toute la pompe républicaine. Quant au Président, s’il doit symboliquement porter la couronne républicaine, il doit continuer à être élu par le peuple, et avoir, paradoxalement, le moins de pouvoirs possible.

Propos sur l’éducation

Nos sociétés s’ensauvagent et une partie de notre jeunesse, notamment issue de l’immigration africaine, est pointée du doigt – souvent celui de la main droite. Une immigration qui, c’est vrai, n’est pas gérée depuis des décennies et qui en serait donc responsable. C’est un peu court, tant il me parait que cette analyse passe à côté du fond ; et il me semble que c’est plutôt du côté de l’éducation de masse qu’il faut chercher la cause de cette violence, de cette bêtise à front de taureau. Mais il me faudrait plus de temps, de compétences, et peut-être d’envie pour développer cette idée. Essayons néanmoins de tramer ce possible essai, à titrer à la façon d’Alain « Propos sur l’éducation de masse ».

Avant la christianisation de l’Europe, l’éducation était essentiellement le fait de la famille. Non seulement de la cellule parentale, mais de la famille élargie aux limites du clan. Et jusqu’au début du siècle dernier, plus évidemment aux siècles précédents, au moins dans les campagnes, les enfants s’élevaient dans les champs et les rues des villages qui étaient le prolongement naturel de la maisonnée. Une maison à la porte ouverte sur la rue où jouaient les gamins et au seuil de laquelle, au moins quand le temps le permettait, les vieux chauffaient leurs vieux os aux ardeurs solaires en surveillant les enfants et en observant la vie de la communauté. Quand les enfants ne se socialisaient pas dans les rues du village, lieu d’apprentissage des us et des rapports de force, ils étaient éduqués par la mère, au foyer, par le père, parfois moins présent, les grands-parents, les oncles, tantes, amis, voisins. Et ils participaient tôt au travail des adultes, par exemple en surveillent les troupeaux, nourrissant les bêtes, ramassant ce que la nature pouvait offrir. Et cela a perduré très longtemps. Mais n’oublions pas que depuis que les églises sont au milieu du village, la religion a pris une grande part de cette éducation dans un cadre civilisationnel stable : famille, église.

Et puis, trait de la modernité – on pourrait parler d’une Majorité, en comparaison avec le Moyen-âge –, l’État a été de plus en plus présent, allant chez nous jusqu’à contester l’autorité de l’Église catholique. À la fois par l’éducation publique obligatoire et laïque, mais aussi par l’élaboration de normes de vie de plus en plus nombreuses et contraignantes. N’oublions pas l’idéologie républicaine qui a souhaité, en substituant l’Homme à Dieu, faire de notre religion républicaine le pendant de celle de Rome ; le solaire 14 juillet faisant écho au froid 25 décembre ; en quelque sorte un solstice d’été, un peu en retard sur son calendrier, et opposé à l’hivernal.  Et si je cède à la facilité de cette image, c’est qu’après l’orgie du solstice d’été, la lumière du jour ne peut que décliner jusqu’à une régénération mystique, une naissance improbable annonçant une renaissance spirituelle. L’éducation s’est alors trouvée partagée entre la famille de moins en moins libre d’éduquer ses enfants, l’Église, présente, mais contrainte, et l’État, omniprésent, omnipotent, totalisant, et de plus en plus totalitaire. Un schéma ayant connu son acmé pendant les trente glorieuses qui ont uniformisé la société, sa culture et sa langue.

Mais pendant cette période, un nouvel acteur éducatif est apparu et s’est beaucoup engagé sur ce volet. Le Marché, avec deux outils auprès desquels l’École parait désarmée, les médias privés de masse (journaux, télévision, puis réseaux sociaux) et la publicité de produits et de mœurs de consommation, qui a commencé par présenter, vanter des produits, puis a voulu donner envie de les avoir par des artifices et des méthodes de plus en plus sophistiquées de manipulation mentale, mentant sur les produits, escamotant le vrai au profit d’une réalité d’apparence construite loin de la vérité. Et l’éducation dispensée par le Marché, alors que nous vivons entourés, cernés, subjugués par des supports de com, est infiniment plus pénétrante que celle dispensée par des familles disqualifiées par l’État, ou par l’École, en faillite. Et, à l’heure des réseaux sociaux, cette éducation des masses ne vise pas à élever le niveau général, culturel ou moral de la population, mais à transformer des citoyens en consommateurs addicts et décervelés, afin de faire toujours plus de profits. C’est le progrès ! un progrès, tiré, non pas par la connaissance ou la culture, mais par le désir de gagner toujours plus d’argent, en exploitant toujours plus les ressources du Marché, l’environnement et les gens. Et, si l’État a toujours eu un tropisme totalitaire, le Marché, qui triche pour vendre, flirte toujours avec une forme insidieuse de violence : la publicité, c’est un viol, et de l’achat au vol, il n’y a, pour le consommateur, qu’un pas, celui, parfois, de la nécessité psychologique. Et l’État utilise de plus en plus les méthodes (pas seulement publicitaires) du Marché, les validant, et, comme le faisait remarquer Francis Fukuyama, « on peut considérer la démocratie libérale comme telle, mais remarquer aussi que la démocratie libérale porte en elle une dimension totalitaire qui réduit les libertés individuelles, en donnant toujours plus de pouvoir à l’État, et que cette doctrine de la souveraineté populaire, n’accorde au peuple qu’un semblant de souveraineté ».

Aujourd’hui, les cadres éducatifs sont d’une part ceux du Marché – totalement immoraux – et d’autre part ceux des églises, musulmanes, woke, chrétiennes – dont la moralité est discutable. L’État pèse peu, car il est si gras qu’il en est devenu impotent, et il a été mis en faillite, à la fois par une classe politique d’une grande médiocrité morale et par des hauts fonctionnaires incompétents ; l’École est inexistante, la Famille dépassée, déstructurée à une époque où même les définitions d’homme et de femme sont remises en question. Et le Marché, dont la seule valeur est financière, impose sa vision réifiée du monde, sa violence dans les rapports sociaux, son art de l’entourloupe et du mensonge publicitaire, son goût démesuré de l’argent, et son nihilisme. Quant aux religions, leur essence a toujours été totalitaire – leur folie de l’orthodoxie – et elles ont toujours méprisé l’individu, préférant vouer un culte à des concepts, l’Homme, Dieu, la parole du Prophète. Et sont toujours prêtes à dresser des bûchers et à semer la mort au nom de leur vérité. Et elles sont en concurrence et se font la guerre. Et la violence, parfois la plus brutale, parfois la plus insidieuse, règne dans une société de moins en moins démocratique où tout se décide loin des gens. Et l’immigration massive, qui a été d‘abord été voulue et promue par le Marché afin de faire baisser les niveaux de salaire des ouvriers, n’est qu’un élément de plus…

Courant d’idées ou courant d’air

Ainsi donc, j’entends un homme politique en mal d’action revendiquer la création d’un nouveau parti politique dénommé : « La France humaniste ». Évidemment, ce nom sent, voire pue la com. La « France humaniste » contre la « France des honnêtes gens » ? Mais on rêverait d’un leader un peu outrancier qui choisirait et assumerait, comme un clin d’œil, « la France des cons ». Coluche aurait pu le faire. Alexandre Jardin, un peu plus fin, et qui a toute ma sympathie – que ne se lance-t-il pas !  –, promeut « La France des gueux ». Personnellement, comme Lang qui se voyait « ministre de l’intelligence » – plus précisément, il avait envisagé de rebaptiser son ministère de la culture, ministère de l’intelligence –, je me verrais bien créer le Parti de la « France intelligente et modeste », pour inviter des millions d’électeurs à s’y reconnaître et à m’y rejoindre, moi le président des gens intelligents et modestes. 

Et « humaniste », qu’est-ce que ça veut dire ?

C’est bien souvent, comme cette idée « d’honnêtes gens », un concept un peu fumeux, du pain béni pour la publicité et pour les opportunistes. Pour moi, c’est l’autre nom du christianisme, un christianisme laïc, culturel, celui de Montaigne par exemple. Mais l’ancien médiocre premier ministre d’un de nos plus mauvais présidents ne va pas si loin. Et personne ne sait vraiment ce qu’il entend par là. D’ailleurs, il n’existe aucune vraie définition de l’humanisme, si ce n’est cette idée contestable de mettre au-dessus de tout l’homme et ses valeurs. Mais encore faudrait-il définir, à l’aube du transhumanisme, au moment où l’IA surpasse l’IN (la naturelle), quand une pseudo théorie du genre conteste la vision d’un humain comme être vivant et mortel sexué, ce qu’on entend par Homme.

L’humanisme n’est pas plus un concept fermé, une idéologie au cadre clair. Ce n’est qu’un sujet de philosophie, comme la liberté si l’on veut. Quant aux valeurs humaines… Convenons tout d’abord qu’il n’y a de valeurs qu’humaines. Mais surtout que la formule n’engage à rien si on ne les défit pas préalablement. On pourrait opposer au moins deux choses à cette tentative de définition. Mettre l’homme au-dessus de tout, c’est aussi le hisser au-dessus de l’animal, tout en haut, dans l’ombre divine ; ce que l’Occident, mais pas seulement, a toujours fait. Et quoi donc de neuf sous le soleil ? Car toute idéologie met ses valeurs (humaines) au-dessus de tout. Le communisme, le fascisme, seraient donc des humanismes. À moins que la bonne définition de l’humanisme soit justement de mettre l’homme au-dessus de ses valeurs, et précisément des collectives. Ce qui reviendrait à considérer que le respect de l’individu dans sa spécificité est la seule valeur qui mériterait d’être sacralisée dans le cadre d’une religion des droits humains, donc d’une vision métaphysique de l’Homme. Sauf que si, d’une certaine manière « Dieu est mort » –, crucifié par le nihilisme, mais je vois bien qu’il remue encore un peu sur sa croix –, l’Homme est, lui aussi, mort, tué par le Marché, étouffé enseveli sous des montagnes de produits de consommation.

Mais remarquons quand même que cet homme politique de plus de soixante-dix ans n’a jamais écrit une ligne, fait un geste, ne s’est engagé nulle part pour défendre l’humanisme tel qu’on peut le concevoir. Alors que nous vivons dans une société très peu humaniste, où la seule valeur qui compte est la fiduciaire, l’argent. Et comme trop de gens de droite, et comme tous les hauts fonctionnaires, M. de Villepin a toujours accepté que le progrès soit essentiellement tiré par la recherche du profit, et il a toujours considéré l’économie de marché comme seul horizon politique. La preuve étant qu’aujourd’hui encore, au moment de son « engagement » pour 2027, il ne s’exprime que sur le financement de la retraite des salariés.

On cite parfois Pétrarque comme le père de l’humanisme, car c’est l’un de ceux qui, à la Renaissance, ont souhaité renouer avec une culture antique que notre Moyen-âge barbare avait perdue de vue, voire mépriser. Est-ce son programme ? Renouer avec un certain passé ? Mais lequel ? Non, il s’agit évidemment de mettre en avant l’humain, ses besoins et ses droits et surtout de respecter tout cela. Ou peut-être plus simplement de mettre un concept au service d’une ambition personnelle. « Aimez-vous les uns les autres ». L’humanisme, l’autre nom du Christianisme, je le disais… Mais comment cela est-il par exemple compatible avec la défense d’un état, l’Iran, dont les textes fondateurs prévoient la destruction d’un autre état, par tous les moyens, et le génocide de sa population ? Comment cela est-il compatible avec une religion dont le mot d’ordre est le djihad, c’est-à-dire le meurtre des apostats et de tous ceux qui refusent de se convertir ?

Mais notre nouveau futur candidat à la présidentielle – un de plus et qui n’apporte rien, et il n’a aucune autre expérience que celle de tout haut fonctionnaire – restera dans une ambiguïté dont on ne sort qu’à son détriment, comme le faisait justement remarquer le Cardinal de Retz. De la com, je vous dis, uniquement de la com, ce qu’on appelle parfois de la publicité et qu’on nommait hier encore de la réclame.

Mais en relisant ce texte, je questionne ma compréhension du concept d’humanisme et j’interroge le net. J’y trouve tout et n’importe quoi… comme quoi ? Et aussi cette formule, assez contestable, qui est tout sauf une définition : « L’humanisme met alors en valeur la pensée, la culture et l’art ». De quelle pensée parle-t-on ? De quelle culture ? De quel art ? De la version occidentale de tout cela, de sa version islamique, orientale ou de tout et de n’importe quoi. J’attends des journalistes qu’ils fassent leur travail de questionnement et interpellent M. Benoît Jimenez. Qu’appelez-vous humanisme ? Qui peut se reconnaître humaniste et donc vous rejoindre comme on revient parmi les siens. Une réponse pourrait être sur le site internet de ce nouveau parti, avec son programme. Mais ce site n’existe pas… faute d’idées à présenter. D’ailleurs, les premières déclarations du fondateur de la France humaniste sont consternantes. Dans une interview au Parisien, il déclare « avoir décidé de créer un mouvement d’idées, de citoyens, ouvert à tous ». Comment cette ouverture aux idées de tous et à toutes les candidatures peut-elle être compatible avec un mouvement humaniste ? Et il dit « souhaiter défendre une ligne de justice sociale et d’ordre républicain ». Alors pourquoi ne rejoint-il pas tous les partis de droite ou d’extrême droite, ou le PS ou le PC ou encore les écologistes qui souhaitent aussi défendre une ligne de justice sociale et d’ordre républicain ; ou du moins l’idée qu’ils s’en font ? Et pourquoi ne rejoint-il pas la France des Gueux, ce qui, pour ce semblant d’aristocrate, aurait de la gueule, afin d’amener dans ce mouvement une dimension humaniste ? Je lis encore, aveu clair, qu’il prône une « politique d’équilibre et de mesure ». Traduisez : centriste, macron compatible ; et bien voir que le patron de ce parti de plus, de trop, sera un maire UDI. L’UDI n’étant qu’un prolongement idéologique de l’UDF, un parti de centre droit, chrétien-démocrate, pro-européen, un parti qui fit un bout de chemin, main dans la main, avec le Modem de François Bayrou. Tout est dit. S’il s’agit d’un mouvement, ce mouvement n’est pas celui créé par un courant d’idées, mais bien par un courant d’air.

En quête de spiritualité

La guerre israélo-iranienne semble devoir nous en faire oublier une autre, européenne celle-là. Restons donc au Proche-Orient pour évoquer l’intervention militaire américaine de la nuit dernière : le largage, le 22 de ce mois de juin 2025, de 14 bombes GBU-5722. Et pour remarquer que si Trump, très lourdement, en commentaire de sa décision, a remercié Dieu pour son succès, Netanyahou n’est pas en reste pour évoquer souvent son Dieu et le louer pareillement. Quant au Guide suprême de l’Iran, à qui on pourrait faire remarquer qu’il a suprêmement guidé son pays dans une impasse, toute sa politique est justifiée par la volonté divine telle qu’il la comprend et l’explique. Et ces trois-là étant des monothéistes, ils revendiquent chacun une foi dans le même Dieu. A-t-on affaire à une nouvelle guerre de religion ? Qui aurait pu prévoir que notre modernité serait à ce point religieuse ? Malraux ?

Et cela m’amène à deux remarques, dont la première tient à cette évidente fracture de la civilisation occidentale que J. D. Vance a évoquée dans son discours de Munich de février dernier. Il y a bien aujourd’hui deux occidents. Le premier qui n’a pas rompu avec ses racines religieuses judéo-chrétiennes, et l’autre, Européen qui prend de plus en plus de distance avec ces racines et promeut des politiques plus ou moins laïques. Cette différence étant très remarquable entre la Grande-Bretagne et les USA. Et c’est peut-être moins le continent américain qui a beaucoup évolué sur ce plan, que l’Europe qui a renié ses fondamentaux. Et je remarque que s’il est convenu de nommer l’Europe moderne, et notamment après la création de l’UE, « nouvelle Europe », cette expression était utilisée au XVIIIe et XIXe siècle pour désigner l’Amérique. Comme je remarque que ce sont peut-être les québécois qui se sont le moins éloignés d’un certain parler « vieux français ». Et je crois que dorénavant, à moins que l’Europe change radicalement de chemin, en tournant par exemple le dos au wokisme et en s’affirmant face à l’islam, il faudra bien intégrer cette rupture entre les Occidentaux. Quand, seconde remarque, lors des premiers conflits mondiaux l’Amérique est venue au secours de l’Angleterre (et accessoirement de la France), c’est que ces deux peuples étaient proches et partageaient les mêmes valeurs. Aujourd’hui, Trump l’a assez dit et son vice-président est clair, nous ne partageons plus les mêmes valeurs, et cela modifie considérablement les relations internationales.

Mais je voulais aussi évoquer la question induite de la spiritualité. Car j’entends, ici, certains catholiques engagés, et parfois complaisants avec Trump, saper, tout en prétendant la défendre, la laïcité, au prétexte que la dérive morale de notre nation, et particulièrement d’une certaine jeunesse serait due à une absence de spiritualité, de transcendance, donc de religiosité. Mais cette hypothèse est un peu courte. Faut-il, pour structurer une analyse, toujours opposer spiritualité et matérialisme, alors que d’autres approches sont possibles : laïcité versus religiosité, idéalisme vs consumérisme, ou idéalisme et nihilisme ?

Je pense qu’effectivement nous avons collectivement beaucoup perdu sur le registre des valeurs, de l’engagement, et admettons-le, de la spiritualité. Et admettons aussi que les religions, comme en Iran, répondent à leur façon à ses questions. Mais on peut, bien évidemment, avoir des valeurs – c’est-à-dire penser que tout ne se vaut pas ­– cultiver une éthique de la responsabilité, être convaincu qu’existent des forces immatérielles, donc spirituelles, que l’on peut créer, invoquer ; et aussi des principes supérieurs à l’homme. Et tout cela, sans passer par la « case » religion. Et je remarque que ces jeunes qui « piquent » des femmes à la seringue le font principalement pour leur interdire l’espace public, dans l’idée de conformer la société à des règles islamiques, donc religieuses, donc spirituelles. Ce qui manque à une certaine jeunesse que l’on qualité dans certains médias de barbare, ce n’est donc pas nécessairement une religion, ce n’est pas la foi en un Dieu quelconque, ce sont des valeurs, des principes moraux, d’éthique… et un idéal, au moins des perspectives d’avenir pouvant constituer soit une utopie collective à laquelle ils pourraient alors travailler, soit une utopie personnelle, singulière, existentielle. Mais ces barbares n’en sont pas là. Et s’il faut réprimer leurs agissements ultras violents, c’est en admettant qu’ils sont le produit de la société que nous avons créée. Soyons plus précis, certains d’entre nous ont fait ce choix politique, et la grande majorité l’a accepté. Nous avons tout cédé à l’économie, et avons accepté que l’intérêt économique le plus trivial devienne le seul moteur du progrès ; alors que cela aurait dû être le désir d’améliorer le sort des gens. Car c’est bien la politique qui est responsable en ayant accepté de réduire les valeurs aux financières et de se voir encadré par la technobureaucratie.

On reproche aux casseurs de n’avoir aucune valeur, mais quelles sont celles de notre société ? Elle les a négligées, puis piétinées, enfin déconstruites, sans les remplacer : merci à la communication, merci à la publicité, merci aux wokistes et autres idéologues qui jouent avec les concepts, au point que même les mots n’ont plus de sens : homme, femme, féminisme, racisme, fascisme, écologie, etc. Et merci au Marché. Aujourd’hui on en vient à envisager – la question étant posée – d’autoriser, voire de rembourser le changement de sexe de mineurs : « Trouble dans le genre », trouble dans les valeurs, trouble dans la tête des gens ; trouble, donc malaise, donc violence.

Ils n’auraient pas de principes moraux… Mais quand une partie de la classe politique ment, se sert dans la caisse, que la république est devenue une république de juges qui font et défont l’état de droit…

Et pas d’idéal ? Mais notre président était lui-même incapable, au seuil de son mandant de nous proposer une vision, un projet, un idéal national.

Quant aux perspectives d’avenir, « no futur ! » Ces jeunes n’ont pas d’avenir, ils le savent. Et ce n’est pas de leur faute. Quoi ? Il faudrait qu’ils acceptent de traverser la rue pour trouver un job… un job de livreur de pizza ? Sans même un statut de salarié ? Et les plus chanceux pourront terminer comme manutentionnaires ou caissières de supermarché. Je comprends qu’ils aient la rage. Je comprends, sans l’accepter, qu’ils s’en prennent aux représentants de l’État qui pourtant n’ont aucune responsabilité dans cette faillite politique. Les seuls vrais responsables ce sont les politiques qui seuls, ont le pouvoir de faire, et puis sans doute les médias, spécialistes du « brainwashing ».

Je conclus en prenant le risque de perdre mon lecteur, car je veux reprendre un fil que j’ai un peu laissé filer, porté et tendu par le souffle de mon humeur du jour. Je reste un esprit laïque, antireligieux, et capable, non seulement de cultiver une spiritualité authentique, mais de croire aussi à la possibilité d’une forme de métaphysique non religieuse, donc à usage laïque ; est-ce possible et qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? A savoir qu’on peut croire – et savoir que l’on croit n’est pas croire que l’on sait – que l’existence de l’humain est tout sauf un hasard, mais plutôt une nécessité, et que donc toute éthique doit être fondée sur un principe de responsabilité et sur le respect et la préservation de ce qui constitue l’essence de l’homme : un être vivant, mais mortel, sexué, en relation vitale avec son environnement naturel, capable d’une vie spirituelle plus ou moins riche, et dont l’intelligence singulière l’oblige. D’où ce principe de responsabilité, bien développé par Hans Jonas.

Revenons une dernière fois à ces barbares. Ils n’ont à l’évidence pas intégré ce principe de responsabilité. La faute à qui ? À leurs parents, sans doute dépassés ? À l’État, objectivement dépassé ? L’État fait tout pour déresponsabiliser l’individu et freiner toute tentative d’engagement collectif. Deux exemples qui m’ont particulièrement frappé : la façon dont un très jeune enfant fait du tricycle est règlementée (port du casque obligatoire) et échappe donc à la responsabilité de ses parents, jugés incapables d’en juger. Et puis celle-ci, cette façon dont une agence de l’État a normé la fréquence à laquelle on doit changer de caleçon.

On ne peut tout à la fois en appeler au principe de responsabilité et infantiliser ces mêmes personnes. Et je pense, très paradoxalement, que ces deux « détails » qui peuvent paraître « amusants » sont plus critiques que l’élaboration d’une loi de finances.

Quant au refus de voir les citoyens s’engager dans une expérience collective, là encore deux exemples sont symboliques. Jacques Chirac a supprimé le Service national et ce faisant commis une faute colossale. Et puis, son successeur Nicolas Sarkozy a utilisé le congrès pour valider en 2008, dans le dos des Français, le traité européen qu’ils avaient refusé. Ce n’était pas alors une faute, mais un crime contre la démocratie ; un concept qui n’a rien de matériel et est totalement intellectuel, donc spirituel. Comment après cela en appeler à un engagement citoyen des jeunes français ?