Léger comme l’été

Oui, il y a deux jours, spleen en été, nuages noirs et pluie froide. Secouons-nous… et parlons de choses plus légères ; et quoi de plus léger à la brise d’été que la tenue d’Adam avant la chute ? Les médias s’en font régulièrement l’écho – comme un marronnier à contre-saison : de plus en plus de nos concitoyens aspireraient à vivre nus ; et les villages de vacances naturistes, comme les plages qui vont avec, auraient leurs croissantes faveurs. Qu’en penser, qu’en dire, alors qu’il y a beaucoup d’angles d’attaque ?

Mais, d’abord, ayant comme première référence politique Élysée Reclus, qui, au XIXe, le pratiquait, je ne peux qu’avoir une forme de sympathie pour ses adeptes. Et puis je vois bien dans ce dépouillement des codes sociaux, vestimentaires, un pied de nez irréligieux et une forme de revendication libertaire, de rapprochement égalitaire, démocratique. Tous nus, tous bronzés, tous égaux sous le soleil dans une simplicité de premier jour. Remarquons qu’en règle générale, on meurt habillé – habillé pour quoi, un suaire pour quelle cérémonie, quel voyage ? –, mais on nait nu, comme si, la d’où l’on vient, il n’y avait pas besoin de se cacher. D’ailleurs le corps nu du nouveau-né, innocent et sans pudeur, ne trouble pas.

Je pense que ce retour au corps est non seulement naturel, mais assez salutaire à une époque où le modèle que notre système promeut passe par la dématérialisation de relations le plus souvent médiatisées par des écrans qui font écrans entre les gens et ne leur donnent à voir que des images plus ou moins manipulées. Et nous en sommes réduits à communiquer moins des idées, des sentiments, des émotions, que des données numérisées qui seront stockées, je le dis en passant, non pas dans un ciel plus ou moins nuageux (cloudy), mais dans des bâtiments de béton et de fer ancrés dans le sol. Et dans ce monde qui se dit virtuel, mais n’est qu’artificiel et immatériel, chacun est même invité à s’inventer un avatar et à s’effacer derrière cet être non pas de chair et de sang, mais d’octets et de pixels. Et dans ce processus de dématérialisation dont les deux objectifs sont de faciliter l’exploitation des hommes et l’enrichissement des plus riches, ce sont aussi les corps qui disparaissent. Au moins, avec les naturistes, les corps ne sont plus invisibilisés, mais découverts ; pour être sans doute découverts par les autres, mais surtout redécouvert par soi. Et le corps ne triche pas, même si, en le tatouant… Par exemple, à poil, il n’est plus possible de trop gloser sur le genre, et de prétendre que le sexe est une construction sociale. Nus, on sait bien à qui on a affaire, un garçon, une fille… C’est simple comme l’appareil qui est alors le nôtre. Et de ce point de vue qui transperce la pudeur, la nudité simplifie les rapports en réduisant la relation à l’essentiel : un corps, une voix, un regard.

 Mais je ne veux pas vous quitter sans faire un certain rapprochement, assez facile et tentant, entre le port du voile, de la burqa, et la nudité naturiste ; tout cela, évidemment, dans l’espace public. Chacun étant libre d’exprimer ses convictions religieuses et philosophiques, mais jusqu’à un certain point qui fait débat. Et si le choix, pour une femme, de ne dévoiler que ses yeux, correspond bien à une éthique spirituelle, on peut mêmement considérer que le fait de ne cacher sous des lunettes de soleil que les yeux, pour dévoiler tout le reste, correspond à une autre éthique de même ordre, aussi éloignée et aussi proche de la première que l’extrême droite est politiquement proche de l’extrême gauche. Mais il y a aussi ce qu’il est convenu de nommer les « bonnes mœurs » et qui ne sont que les mœurs culturelles, donc souvent religieuses de la nation, au prétexte de privilégier la cohésion nationale, donc la paix sociale.

Ces derniers développements montrant assez bien que les deux questions se posent légitimement, pareillement, mais à une exception près. Les rapports de force, liés à la démographie et à la peur engendrée par l’islamisme, font que si les pouvoirs publics, par lâcheté, sont prêts à beaucoup céder au voile, ils ne sont par contre pas décidés à en faire autant pour la nudité. Pourtant, afin de contenter tout le monde, on pourrait par exemple décider qu’un jour par semaine, par mois ou par an, le port vestimentaire est vraiment libre, sous toutes ses formes. Mais je vois un autre argument qui plaide pour le voile et contre la nudité. On sait que le pouvoir appartient à l’attelage fatal du Marché et de la Bureaucratie. Et le Marché, la mode, peut faire de l’argent avec le voile islamique ou la burqa, beaucoup moins avec la nudité qui, par nature, se moque de la mode. Il est donc probable que la nudité deviendra acceptable, quand le Marché sera convaincu que c’est un Marché et que les couilles des naturistes peuvent être en or.

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