Je garde le souvenir d’avoir entendu à la radio Serge July se dire tout à la fois libéral et libertaire. Pourquoi pas ? Après tout, pourquoi ces deux mots, sémantiquement si proches, devraient-ils être considérés comme antonymes ? Ce que j’ai cru comprendre de cette déclaration, c’est une forme radicale d’attachement à la liberté. Je partage aussi cet attachement, déraisonnable, total, à ce qu’Arendt, dans « On revolution » voyait comme « La plus ancienne de toutes les causes, celle, en réalité, qui depuis les débuts de notre histoire détermine l’existence même de la politique : la cause de la liberté face à la tyrannie ». Et je rajouterai qu’il n’y a de libertés qu’individuelles.
Liberté donc, et liberté avant tout le reste. Non pas que la liberté, n’étant qu’une fin, doive être avant toute chose, au début, mais qu’elle constitue la première de mes valeurs, et que cette primauté justifie qu’on lui sacrifie tant : confort, sécurité, etc.
Et, après avoir remarqué que la liberté, si importante pour les Lumières, n’est pas une valeur chrétienne[1], je dirais que c’est sans doute pourquoi je me méfie tant de l’esprit religieux, ce que Grenier appelait l’esprit d’orthodoxie. Je n’aime pas les religions, qu’elles fassent place au dieu du livre ou non, et n’aime pas plus la philosophie quand elle se prend au sérieux, quand de spéculative, elle se veut dogmatique. Discutant récemment de savoir si le bouddhisme est religion ou philosophie, je répondais que l’on doit parler de religion, dès lors que l’on prend l’objet de sa foi pour une réalité objective, et qu’on sacrifie sa vie, à ce qui n’est qu’une idée. Rajoutez s’y un rite, qui n’est qu’un acte de soumission idéel ; et l’existence d’une prêtrise gardienne de la morale, et l’affaire est tranchée.
Je n’en suis pas, et poursuivrais un chemin de philosophie dé constructive, non pas que je détesterais la spéculation, j’aime bien trop jouer avec les concepts, mais je me méfie trop des systèmes.
Mais revenons à la question ; mais faut-il y répondre ? Libéral ou libertaire ?
La liberté civile, seul concept dont je comprends le sens, nait avec le droit. J’ai déjà développé cette idée. En l’État de nature, il n’y a pas de liberté, seulement des possibilités… Il faut qu’il y ait une loi pour tracer une limite qui permette de se tenir en deçà ou au-delà de l’interdit, et cette limite, comme une clôture, crée en la délimitant une aire de liberté. Je crois donc au droit, à la loi, mais essentiellement quand elle crée des zones nouvelles de liberté. Quand elle se fait liberticide, ce qui n’est pas rare, elle doit être combattue, sabotée – désobéissance civique[2] ; car si la loi a pour objet de produire la liberté, trop de lois tuent la loi, en tuant la liberté d’être et d’entreprendre. Et c’est pourquoi, par exemple, et pour ne prendre que ce simple exemple, il faut s’attaquer au droit du travail, qui accélère la destruction des emplois. Mais, écoutant la voix des paysans qui souffrent, je vois que la liberté, comme fin, ne peut se défendre, sans que des préalables soient garantis. L’un, et probablement le plus important, est l’équilibre des pouvoirs et des forces. On ne peut en effet renvoyer le fort et le faible à la simple liberté de la relation contractuelle. Autant laisser le loup et l’agneau libres dans la bergerie. Comment imaginer qu’un juste équilibre se trouve entre des intérêts naturellement contradictoires, quand les forces en présence sont à ce point, inégales : d’un côté la grande distribution, qui n’en finit pas d’utiliser l’argument de la protection des consommateurs, même si ce cette caution morale n’est qu’une escroquerie intellectuelle, de l’autre des industriels qui veulent aussi maximiser leur profit ; et à la marge un monde paysan d’artisans, pour l’essentiel, exsangue. Comment la liberté du commerce pourrait-elle exister dans ce système ? Et la régulation ne peut être qu’une réponse provisoire, de circonstance.
Car la loi n’est jamais essentielle. Le droit est nécessaire, évidemment, et je ne plaide pas pour la fin de l’État, mais le droit n’est que le mode d’emploi d’un système qui a sa propre axiologie. Le nôtre pue, et je combats sa morale commerçante, sa morale de commerçant. Fourier parlait, dans « le nouveau monde amoureux », de « ceux qui porteront le titre infamant d’amis du commerce, titre qui indique en Harmonie le superlatif de dépravation… ». Le monde n’est pas en utopie, et ne porte pas ce beau nom d’Harmonie, et le commerce est sans doute nécessaire, comme la police, mais je rêverais d’un monde qui ne serait ni policier ni commerçant.
Mais, à défaut d’autres perspectives de court terme, il nous fait faire avec, combattre de l’intérieur, et refuser ses inégalités des forces en présence. Car c’est sur l’inégalité des moyens que se brise tout espoir de liberté. Et c’est pourquoi aussi, le premier ennemi de l’individu, c’est l’Etat, ce « monstre froid… », qui tous les jours nous mange la tête et nous émascule.
[1]. Donc problématique en occident.
[2]. Ou civile, mais civique, c’est tellement plus fort…