Oui, comme la baleine qui refait surface après une trop longue immersion dans les profondeurs glacées de l’océan et expulse violemment de ses poumons un air vicié ; Oui, un peu d’outrance, simplement pour mieux respirer…
Un mescréant, c’est un empêché, à défaut d’être un incapable ; c’est un handicapé ; tout le contraire d’un agité du bocal – si je peux emprunter cette formule à Céline[1], autre outrancier assumé. C’est une âme mélancolique qui mécroit, autrement dit, qui doute ; et il doute de lui autant que des autres, de sa volonté comme de son désir, des vérités qu’on lui oppose, quelles que soient les formes sous lesquelles on les apprête ou on les appareille. Et il est capable, comme Jean-Marie Guyau[2], de s’en faire une éthique.
Il ne croit donc en rien ; ni aux idées de Dieu ni à aucune autre ; et, partant, ne peut se définir qu’en creux, par ce qu’il n’est pas ou ne possède pas. Ni croyant ni idéaliste, ce n’est pas un esprit religieux. Toute idée d’orthodoxie le révulse, toute idéologie l’effraie. Il ne surfacture aucune idée et ne peut être qualifié en « iste ». Ni communiste ou socialiste, encore moins fasciste ; pas même anarchiste, surtout pas nihiliste. Et si l’on me demande, cherchant absolument à me sauver malgré moi, si, me définissant par cette mécréance, je suis au moins un humaniste, je répondrai que non.
Je ne suis pas un humaniste, ne pouvant croire à la supériorité de l’homme. L’humanisme est une idéologie judéo-chrétienne ; et, à défaut de renier mon éducation chrétienne et toute ma culture occidentale, en bon nietzschéen, je travaille à me déprendre du judéo-christianisme – encore un isme qui m’apparait souvent comme un isthme[3]. Vanité de cet effort ? Évidemment, comme toute la philosophie est vaine à nous rendre plus sage ou plus heureux.
L’humanisme, maladie occidentale, est, que l’on croit ou non, qu’on le croit ou non, une idéologie religieuse. L’homme aurait été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il serait donc l’avatar du créateur. Pourquoi ne serait-ce pas le cheval, le rat ou la mouche à merde qui aurait été créé à l’image tutélaire et écrasante du Père ? Le Nouveau Testament s’inscrit dans cette filiation et en pousse l’implacable logique. Le père s’incarne dans le nouvel Adam, et, sans grandes difficultés, se fait homme, se glissant dans sa peau comme dans un costume à la juste taille : confusion des images, le créateur se montre sous les traits de son avatar[4].
Et l’homme, peccamineux mais divinisé par cette sublime ascendance, devient le maître de la nature et la seule espèce qui vaille. Qu’on lise la dernière lettre encyclique du pape[5] pour prendre la juste mesure de ce paradigme religieux qui est le nôtre et qui se nomme humanisme.
Peut-on définir autrement l’humanisme ? Sans doute par cette simple parabole : Imaginons que Dieu, voyant l’homme menacer de détruire la planète, décide comme à Sodome de détruire cette espèce dangereuse et indocile, et qu’il se trouve un homme de bien pour le convaincre que si l’on peut trouver 50, 45, 30 ou même 10 justes, il faudra sauver ces justes quitte à condamner la terre. Cet Abraham-ci est un humaniste, car il pense que Dieu, alors, préfèrera sauver 10 hommes et condamner la terre, ses millions d’espèces vivantes, et toute la nature.
Si la décision m’échoyait, en ces termes, je ne crois pas que je sauverai les dix justes, ou peut-être, pour les sauver, leur demanderais-je de se sauver, loin de ma colère, sans se retourner. Et s’ils se retournaient, comme la femme de Loth, immanquablement, je les transformerais, non pas en statue de sel, mais en cheval, ou en rat, ou …
[1]. Il parlait de Sartre…
[2]. Il n’est pas le seul, mais si je le cite c’est que je n’ai probablement pas suffisamment rendu hommage à ce philosophe français que Nietzsche avait lu, apprécié, annoté ; et qui écrivait si bien.
[3]. Qu’on me pardonne cette facilité : en médecine, un isthme est un rétrécissement anatomique.
[4]. L’hindouisme (encore un isme) parle des dix avatars de Vishnou sur terre : homme-poisson, tortue, sanglier, lion, un nain, Rama à la hache, Rama avec son arc, Krishna, Bouddha, Kalki ; mais pas de cheval, de rat ou de mouche.
[5]. Laudato si (il faudra que j’en reparle).