C’est fait

Ainsi donc c’est fait, il est réélu pour cinq ans ; et ce n’est pas une surprise, tout cela était annoncé depuis de nombreux mois. Mais je voudrais réagir à un sondage qui montre qu’une large majorité de Français souhaiterait un gouvernement de cohabitation – je lis en effet que selon un sondage Opinionway pour Cnews et Europe 1, « 63 % des personnes interrogées souhaitent qu’Emmanuel Macron ne dispose pas d’une majorité et soit contraint à une cohabitation, contre 35 % qui veulent qu’il dispose d’une majorité ». Évidemment ce sondage ne fera pas l’élection de juin.

Mais on voit donc, comme j’ai déjà pu le chroniquer, que l’élection présidentielle répond en partie à une logique de casting dans un monde fortement médiatisé. Un certain nombre de nos compatriotes – ils ne sont pas les seuls – voient le monde par les médias télévisés, comme un film. Et c’est encore plus vrai dans une séquence comme celle de la guerre en Ukraine. Et l’idée que l’on se fait d’un Président est influencée, à la fois par notre histoire monarchique et à la fois par nos références cinématographiques et notamment hollywoodiennes. Macron a donc été élu, car, pour une proportion sensible des votants, il était celui qui collait le mieux au rôle. Mais ceux-là mêmes qui l’ont poussé sur le devant de la scène, n’adhèrent pas nécessairement à sa politique et préfèreraient qu’il ne gouverne pas. 

Pour analyser une situation de cet ordre, dans une médiacratie, une société du spectacle, sans doute faut-il chercher aussi, aux situations des ressorts non politiques.   

S’abstenir

Il y aura donc un second tour cette fin de semaine. Je n’y participerai pas. J’ai en effet plusieurs raisons de m’abstenir, quitte à consacrer cette journée politique à défendre la démocratie, à faire de la politique, autrement.

La première raison est que voter, en l’occurrence, ne sert à rien : les jeux sont faits, les médias nous en ont rebattu les oreilles jusqu’à nous en convaincre ; et les résultats du premier tout montrent que, pour l’essentiel, ils ne se trompent pas.

Et puis (seconde raison), cette façon honteuse dont les médias, entre les deux tours, ont appelé à voter pour Emmanuel Macron … Trop, c’est trop !

Et puis encore, M. Mélenchon l’a dit assez justement, c’est bien le troisième tour qui compte ;

Mais surtout, et qui me lit le sait, je défends, comme ultime arme politique, comme ultime réponse démocratique face à ce que Michel Onfray nomme le parti unique, cette désobéissance civile que je pratique comme désobéissance citoyenne.

On peut aimer son travail, son usine, s’être battu pour obtenir cet emploi auquel on tient et néanmoins faire grève, ou ne pas vouloir se compter parmi les jaunes. Certains devoirs parfois s’imposent, une exigence de responsabilité ne plus nous laisser d’autres choix.

Une élection pour quoi ?

On pourra se passer de lire la présente chronique. Car je n’ai rien à dire de cette nouvelle élection présidentielle tant elle m’inspire peu. Je m’interroge simplement sur le sens de tout cela. On nous a expliqué depuis des mois qu’à l’issue du premier tour, on retrouverait les deux mêmes que la fois dernière : des heures de discours sur toutes les chaînes pour nous l’expliquer. C’est fait. Ce vote, couteux à organiser, n’a donc servi à rien ; il suffisait de qualifier les sondeurs et de s’en tenir à leurs dires. Ceux qui se sont déplacés l’ont donc fait inutilement. Avec ou sans eux, c’était pareil.  On nous annonce qu’Emmanuel Macron va gagner dans une semaine, bien qu’il n’ait annoncé aucun programme, mais des promesses contradictoires. Nous n’avons aucune raison d’en douter. Reste à savoir si l’écart sera plus ou moins grand. Mais ça changera quoi ? Reste le troisième tour. Mais on nous annonce une énorme abstention, c’est-à-dire une non-représentativité de la future Assemblée nationale. Tout ça pour ça … Il y aurait donc un devoir national à se mobiliser pour participer à un processus parfaitement stérile qui doit nécessairement aboutir à la reconduction d’un monarque, sans réelles valeurs, sans idées personnelles, sans étoffe, mais qui, à l’évidence est dans l’air du temps et donne une assez bonne image, mais triste, de ce que les Français sont devenus : des consommateurs embourgeoisés et dociles. Car sur les valeurs, c’aurait pu être l’occasion d’en parler, d’une manière très concrète ; mais qui en parle. La décence, par exemple, ce qu’Orwell nommait « décence ordinaire ». On apprend que le Directeur Général d’AXA, Thomas Buberl, pourrait gagner (salaire fixe, plus primes et actions gratuites) 6 900 000 €, soit 359 fois le SMIC. Cette personne « vaudrait » donc près de 360 fois un ouvrier de base. Est-ce décent ? Quant à M. Tavares, patron de STELLANTIS, sa valeur serait de 3 430 quidams payés au SMIC, soit 66 000 000 €. Qu’on imagine, un salarié payé 66 millions. Son salaire étant presque équivalent à la masse salariale de son usine d’Aulnay-sous-Bois (3 500 salariés). C’est un problème de valeur, de décence. Quel candidat en parle ?

Massacre à Boutcha

J’ai vu comme chacun les images des massacres de Boutcha. Si je n’avais pas peur d’être mal compris, compris à l’envers, je dirai que ce type d’horreur n’appelle aucun commentaire tant la chose et les sentiments qu’elle provoque sont indicibles. Il n’y a pas de mots, de formules pour rendre compte d’une telle horreur. La guerre est évidemment toujours une saloperie, et de tels crimes ont été commis de tout temps par toutes les armées du monde. Mais on croyait que le monde avait changé que le souvenir des temps de barbarie pourrait s’effacer. Non, décidément, je ne trouve pas mes mots. Reste à espérer que la justice passe et juge les armées ayant commis délibérément de tels massacres de civils, au moins depuis les cinquante dernières années afin de faire comparaitre les commandements militaires russe, américain, israélien, etc. (la liste est tristement longue).   

Une élection à trois tours

Si les commentateurs conviennent que le premier tour est déjà plié, comme si l’actualité en imposait le résultat, à savoir que l’électeur devrait s’y plier, ils se focalisent surtout sur le second, mais en oubliant le troisième, le seul décisif.

De fait, la classe médiatique en est restée au temps des partis, cette époque défunte où la politique était faite par des partis politiques qui se distribuaient ou s’échangeaient postes et pouvoir. Mais ce temps n’est plus, je l’ai assez dit ici. Après la fin sans retour possible du PS, avec l’agonie de LR, il nous faut bien convenir que nous avons changé d’époque. Dans l’ancien monde, on savait que le Président élu n’aurait aucun mal à trouver sa majorité. Ce fut d’ailleurs l’une des raisons de la modification constitutionnelle de 2000 : éviter l’alternance. Et cette réforme, qui correspondit à une présidentialisation du régime, répondait surtout à une logique imparable. Si les électeurs choisissent pour les gouverner un parti politique, alors, s’ils le font dans le même temps pour l’Élysée et le Palais Bourbon, ces choix doivent permettre d’obtenir à coup sûr, et un Président et une Assemblée congruents à leurs vœux et cohérents. Mais l’électorat étant changeant comme le temps en Bretagne, encore fallait-il que ce choix fût fait pour ces deux lieux différents, dans le même temps.

Mais aujourd’hui, le choix ne se fait plus pour des partis, à tel point que des candidats qui ne sont pas des produits partisans (Macron, Zemmour) peuvent espérer l’emporter. Et les logiques qui président à l’élection d’un Président ou d’un Député sont donc différentes, avec le risque que le locataire de l’Élysée n’ait pas de majorité, donc qu’il ne puisse gouverner, donc qu’il ne soit pas vraiment Président – en exercice. Car, dans une logique présidentialiste, un président de cohabitation n’est pas plus président que Medvedev ne l’était en 2012 en Russie, ou du moins ne l’est qu’en titre.

La présente élection présidentielle s’appréhende donc comme une élection à trois tours et il faudra attendre le 20 juin pour savoir qui gouvernera la France et quel programme sera appliqué (libéralisme mou, ou dur). Et si nos commentateurs politiques faisaient bien leur job, ils envisageraient 3, peut-être 4 pour rester polis, scénarios :

L’élection d’Emmanuel Macron après qu’il ait reçu le soutien et accepté le renfort de Valérie Pécresse, et un second quinquennat proche du premier en plus dur, des deux côtés de la barricade ;

L’élection de Marine Le Pen, sans aucune majorité et obligée de tenter une alliance impossible avec Éric Zemmour, conduisant à une situation de cohabitation totalement inédite, lui laissant beaucoup de temps pour s’occuper de ses chats ;

L’élection d’Éric Zemmour avec quasiment les mêmes difficultés que Marine Le Pen – je ne sais s’il aime les chats, mais je crois que sa compagne va lui donner bientôt un petit à s’occuper ;

L’élection de Jean-Luc Mélenchon, sans majorité, et conduisant à une cohabitation très difficile avec des forces de droite radicalement opposées à FI. Sera-ce son dernier combat tribunitien ?

Dans tous les cas, ce peut être inédit, donc intéressant, sauf à ce que d’ici là, Poutine nous ait obligés à vivre dans nos caves sans télé, où à porter à nouveau un masque pour se rassurer, comme si une guerre chimique ou bactériologique à l’est de l’Europe, n’aurait pas d’effets ici. Faut-il craindre alors qu’un gouvernement doive quitter notre capitale pour se réfugier à Vannes, plus qu’à Vichy ? Non, car pour se protéger des effluves létaux des armes russes, le mieux serait Brest, au bout du bout.