Du respect, et de la liberté…

L’État, ce mal nécessaire, ne peut prétendre respecter la dignité des citoyens ; à moins que l’État, ce qui n’est jamais vraiment le cas, ne soit assujetti au Politique et le Politique au Citoyen. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal, je veux dire dans une démocratie digne de ce nom. Si c’était le cas, notre société favoriserait le sentiment de responsabilité et promouvrait la liberté ; et force est de constater que notre système occidental, totalisant[1], défend des valeurs inverses qui sont des contre-valeurs : obéissance à la norme, déresponsabilité, nivèlement pas le bas, abrutissement consumériste, paneme et circenses…

Exiger de l’État, en matière de respect, celui de nos libertés individuelles, c’est donc trop demander, et elles passent à la trappe au nom d’un prétendu « intérêt général » – autre formule ambigüe. Et dans cette formule se joue – contre nous – quelque chose d’essentiel. L’intérêt général est bien celui du groupe, pas des individus qui le composent, et c’est pourquoi je m’en défie. Trop souvent l’intérêt de la société, du pays, de la patrie s’oppose totalement aux intérêts des gens ; de ces gens que l’État qui, par nature, méconnait les individus pour s’intéresser aux catégories, ne peut évidemment connaître dans leur singularité. C’est pourquoi, nous ne pouvons demander à l’État de respecter notre dignité, mais seulement qu’il préserve nos libertés individuelles, ce qui serait la meilleure façon de respecter notre dignité.

Mais prenons une image simple, au risque d’être accuser de céder à la facilité rhétorique. Les prétendus citoyens occidentaux sont des animaux de rente ; et ils sont domestiqués, exploités par une oligarchie et gardés par sa police qui a donc pour missions : en premier lieu de garder le troupeau et de dresser ses individus, en second lieu de protéger le système, enfin de participer très directement à l’exploitation de ce troupeau – par exemple, par la perception des taxes et amendes. Qu’en est-il alors de l’intérêt du troupeau et de celui de chaque animal qui le compose ? Le troupeau peut être en bonne santé, prospère et docile, correctement nourri. Il n’empêche que toutes les bêtes sont destinées à finir à l’étal du boucher.

 

La question des libertés est pour moi la seule qui vaille, avec, évidemment, la question d’une  répartition équitable du pouvoir et de la richesse ; et, tirant ma réflexion sur le concept de « dignité humaine », sur la valeur « respect », sur le rôle de cette bête noire que je qualifie de « mal nécessaire », je veux prolonger ce court propos estival par une incise sur la notion de liberté.

Je m’en tiens ici comme ailleurs, et « modestement » à la liberté « négative », plutôt que « positive » ; en reprenant cette distinction que l’on doit à Isaiah Berlin, qui définissait – je simplifie énormément – la liberté négative, comme « de ne pas avoir de maître » et la positive comme « être maître de soi, contrôler ses désirs ».

Sans vouloir trop diverger, et attentif à ne pas quitter cette réflexion sur l’insupportable caractère moralisateur de l’État, il est important de clarifier et de distinguer, lorsque l’on parle de liberté, au moins quatre registres : ontologique, politique, physique et psychologique – c’est du moins mon approche. Car je tiens à cette distinction des champs dans lesquels ce concept-valeur peut recouvrir une réalité et une consistance méthodologique particulière. D’un point de vue ontologique, et ce n’est pas ici la question, la liberté est notre capacité à jouir pleinement de nos capacités physiques, de nos facultés naturelles – d’autres rajouteront : des dons que Dieu nous a donnés. Et je n’oublie pas nos capacités intellectuelles qui ne sont que des capacités physiques particulières, car seul le corps existe. Au plan politique, la liberté est un espace limité par la loi, à l’intérieur duquel il n’y a ni obligation ni interdiction. Et si, suivant la formule de Condorcet, « le mot « révolutionnaire » ne peut s’appliquer qu’aux révolutions dont la liberté est le but », le progrès ne peut être que progrès de la liberté, donc agrandissement de cet espace « hors la loi », bien que défini et protégé par la loi. Mais force est de constater que cet espace diminue comme peau de chagrin – autre preuve, s’il en faut, de notre décadence.

Reste la liberté physique qui consiste à ne pas être empêché d’agir. Tant que le corps de l’oiseau lui permet de voler, il est libre ontologiquement ; si l’oiseleur le met en cage, il cesse de l’être physiquement.

Et une liberté psychologique, sur laquelle je reviendrais, et qui n’est sans doute pas si loin de cette liberté positive que Berlin défendait.

[1]. J’emprunte ce qualificatif à Edgar Morin.

Du respect, déjà…

Si je déteste tant le « politiquement correct », c’est que j’y entends trop d’hypocrisie : cette façon de ne pas dire les choses, ce choix de couvrir ces choses-qu’on-ne-saurait-dire par des masques euphémiques… Et pas seulement parce que cet escamotage de la réalité sous un voile policé revient à la draper de honte ; pas seulement parce que je préfère les crudités à certains plats en sauce recuits. Parce qu’elle se prétend morale et que cette moraline pue.

De toute façon, de celle-ci et de bien d’autres, le système nous ment, toujours. Et quand je parle de système, sans toujours suffisamment le définir, je pointe tout à la fois l’État, seule structure organisée et disposant d’une telle bureaucratie ; et plus largement une connivence dont l’âme est le marché, les médias la voix, l’État le bras armé. Et cette connivence se présente sous la forme d’une prétendue morale, mais une morale qui aurait oublié l’essentiel : le respect dû à chacun. Refuser d’appeler un instituteur « instituteur », une femme de ménage « femme de ménage », c’est leur faire honte au prétexte de leur métier, leur manquer de respect.

 

Dans le même temps, les discours sur les valeurs n’ont jamais été aussi présents, assénés par les uns et les autres, ad nauseam – je le dis en latin pour faire chic, mais j’aurais pu pareillement dire « à gerber » –, chacun y allant de son couplet sur leurs dimensions universelles – entendons occidentales –, françaises ou républicaines ; et sans que personne ne cherche d’ailleurs, ni à les nommer précisément ni à les promouvoir ou les défendre. Mais il semble bien que la mode du moment soit au « respect de la dignité humaine », formule aussi belle qu’inconsistante et quelque peu tautologique. À quand le respect de la dignité animale ? On nous parle d’une nouvelle extinction massive des espèces. La question ne se posera bientôt plus.

Qu’est-ce que la dignité humaine ? À mon âge, moi qui suis de culture chrétienne – ancien enfant de chœur, aujourd’hui apostat –, philosophe de comptoir assumé, je ne suis pas sûr de le savoir, mais je ne demande qu’à être affranchi. Sentiment et valeur morale, valeur donnée à ce sentiment si particulier : le respect de l’autre, de l’homme en lui.

Est-ce alors la valeur constituante de l’humanisme, l’humanisme qui est, je le rappelle à nouveau, l’autre nom du christianisme ? Ou peut-être la troisième valeur, si ce n’est la première des vertus théologales de l’église de Rome : foi, espérance et charité ? [1]

Mais s’agit-il bien là d’agapè que l’on traduit parfois par amour, parfois par charité, et, dans un registre plus séculier, de respect ? Dans la bouche de Paul, de respect de l’autre, un respect dû au créateur et qui s’exprime, en religion, par, dans, et au travers sa créature. Mais l’humanisme chrétien, tel que le pape qui pourtant a choisi d’assumer son magistère sous le nom de François[2] l’explique assez clairement dans sa seconde encyclique « Laudato si », est cette idéologie de la prétendue supériorité « morale » de l’homme sur la bête. Et je ne peux y adhérer.

Ou est-ce le sentiment d’un devoir de l’homme vis-à-vis des autres, sans doute, mais aussi vis-à-vis d’une nature dont il est une des composantes ?

En fait de valeurs, il n’y en a qu’une que je reconnaisse comme telle et sans réserve : le respect ; et la seule religion en laquelle je pourrais confesser est celle qui affirmerait « Rien n’est sacré, mais tout est a priori respectable ». Et à défaut d’humaniste, je me préfère naturaliste, même si, en philosophie, ce terme désigne une doctrine à laquelle je ne fais pas ici précisément référence. L’amour évangélique peut constituer un horizon ; je me contenterais bien du respect, ici et maintenant… du respect, déjà…

 

La dignité humaine, c’est l’homme reconnu et assumé dans l’homme, l’idée du devoir de respect. L’homme n’est homme que s’il assume ses devoirs : ce qu’il estime être ses devoirs. Et c’est bien tout le contraire de l’humanisme « chrétien » qui est construit sur l’idée de droits, sur l’enseignement testamentaire : « Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre ». Et j’ai toujours été plus proche des philosophies des devoirs que des philosophies des droits. Et je veux défendre une forme de naturalisme versus humanisme chrétien ; opposer devoirs et droits, et une forme d’humilité à une certaine arrogance. L’idée de dominer sur les poissons de la mer, ou les oiseaux du ciel est mortifère, c’est un spécisme problématique. Je préfère le François d’Assise qui, traduit en justice pour avoir donné ses biens et ceux de son père aux pauvres, se dévêt devant ses juges et quitte nu le tribunal, au François de Buenos Aires vécu d’or et de soie et pavoisant dans sa papamobile.

 

En guise de philosophie morale, je m’en tiens donc au respect, et quant à la dignité humaine, c’est bien ainsi que je la conçois : le sentiment d’être un homme, et cette idée simple que l’essence de l’homme, c’est ce sentiment du devoir de respect, en quelque sorte le double sentiment assez paradoxal, et d’humilité et d’extrême responsabilité. Et je ne pense pas être très loin de l’idée d’Alain quand il écrivait dans une lettre à l’écrivain Sergio Solmi : « Il n’y a rien d’autre dans la morale que le sentiment de la dignité ». Et respecter la dignité humaine, c’est bien respecter l’homme dans l’autre, respecter son sentiment de responsabilité, son autonomie. Le respect de la dignité d’autrui ne peut donc s’exprimer que comme non-domination d’autrui, et sur le plan politique cette valeur première nous renvoie à une exigence de promotion d’une autre valeur, la liberté.

À suivre…

[1]. Paul – Première épître aux Corinthiens « Maintenant donc, ces trois-là demeurent, la foi (pistis), l’espérance (helpis) et l’amour (ou : charité, agapè) mais l’amour est le plus grand. »

[2]. François d’Assise, l’auteur du « Cantique du frère soleil », amis des animaux et écolo avant l’heure.

Modernité et conformiste, l’équation macronienne


Oui, ces élections terminées, il va devenir à nouveau possible de parler politique – je veux dire de philosophie politique ; comme, une fois la pub terminée, on revient au programme. César gouverne et va donc entreprendre toutes les réformes qui permettront au système de perdurer, en l’état – et en l’État. Comme dit Tancrède au vieux prince Salina dans « Le Guépard »[1] : « il faut que tout change afin que rien ne change ».  Aujourd’hui, on le dirait avec d’autres mots, d’autres images : il faut réinitialiser le système d’exploitation de l’homme par l’homme, réinitialiser ce système qui bugge trop souvent… Beaucoup de choses vont donc devoir changer, et nous allons bien vite nous habituer à d’autres visages, d’autres noms, d’autres concepts pour dire de vieilles choses et justifier une vieille politique.

J’entends ici et là qu’il faut s’en réjouir et choisir son camp, celui du progrès ou des conservatismes, c’est-à-dire choisir la forme de modernité que nous souhaitons collectivement fabriquer. Personnellement, tout en gardant un attachement critique aux traditions, il me semble que j’ai toujours été du côté du progrès, comme une évidence, et que je n’ai jamais eu d’autre horizon politique. Mais l’injonction présidentielle, « progressisme ou conservatisme… », m’interpelle quand même un peu. Comme dit l’autre, c’est un peu fort de café.

 

Macron a raison – comme ont raison, toujours, ceux qui gagnent ; et on peut au moins lui savoir gré d’avoir contesté la prétendue opposition gauche-droite, pour nous ramener à la vraie question : progrès vs conservatisme ? Il l’a fait brillamment en ruinant le vieux clivage, cette escroquerie qui maintenait ce que Michéa appelait « l’alternance unique ».  En-Marche n’est pas, comme j’ai pu le croire faute de recul suffisant, le NPS[2] ; c’est bien l’UMPS que Marine Le Pen dénonçait, et nous devons remercier le Président de cette clarification.

Le vrai clivage se situe donc bien entre progressistes et conservateurs, et on doit donc soutenir ou dénoncer le président sur ce registre. Soit !

C’est donc sur ce registre que je combattrai avec mes petits moyens ce président qui est devenu, par le fait de nos institutions républicaines, monarque et premier représentant français du conservatisme occidental.

 

Qu’est-ce qu’être conservateur ? C’est tout simplement défendre l’ordre naturel et ancestral, fait d’inégalités et d’absence de libertés. A contrario, le progressisme se mesure à l’aune du progrès revendiqué, proposé comme horizon de tout choix politique, défendu bec et ongles : c’est-à-dire, sur le plan social, toujours plus d’égalité de situation, et sur le plan des mœurs, plus de libertés individuelles. C’est une vieille leçon d’Arendt, et, plus récemment, Ruwen Ogien nous le rappelle dans ce livre indispensable qu’est « L’État nous rend-il meilleurs ? ».

Et la philosophie d’Emmanuel Macron, jeune bourgeois et ancien banquier, n’est ni égalitaire au plan social, ce qui ne peut que satisfaire une certaine droite, ni, par ailleurs, libertaire, mais jacobine et liberticide, ce qui ne peut que satisfaire une certaine gauche, celle de Hamon comme celle de Mélenchon.

 

Mais Macron a été élu (considérons le premier tour des présidentielles, car le second n’a pas été celui du choix, mais du rejet) par 18,19 % des inscrits – ce que les médias nous présentent après coup comme un triomphe – le triomphe de la démocratie contre le populisme. C’est donc la France conservatrice qui a gagné, mais pas triomphé.

Mais avant de conclure sur ce tropisme conservateur de nos sociétés, revenons sur la question de la liberté, question si fondamentale pour un esprit nietzschéen.

Les philosophes se partagent entre deux définitions de la liberté ; une liberté négative, c’est-à-dire définie négativement et une autre positive. Je reste, parce qu’elle est plus simple et surtout plus facile à utiliser et à défendre en politique, personnellement attaché à une liberté définie négativement, en quelque sorte selon Voltaire qui déclarait dans « Le philosophe ignorant » : « Je suis libre quand je peux faire ce que je veux ». Je ne saurais mieux dire, ou faire plus court. À défaut, je dirai que je suis libre si je ne suis dominé ni par une personne ou une organisation  ni par une situation particulière et insurmontable qui m’oblige ou m’empêche, donc me contraint ; et que je ne consens ni à l’un  ni à l’autre. Cette définition est effectivement plus lourde, moins élégante que celle de Voltaire, et je laisse chacun la décliner sur le plan politique. Mais cette idée de consentement me semble importante et me permet de revenir à La Boétie que j’évoquai dans la chronique qui précède. Dans son discours sur la servitude volontaire il a cette formule indépassable : « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libre ». Il nous invite à ne plus consentir à l’esclavage pour recouvrer notre liberté. Et si je devais inviter mon lecteur à la méditation, ce pourrait être aujourd’hui sur ce point. Il y a sans doute deux façons d’être libre, c’est-à-dire de vaincre la domination : soit cesser de consentir « Soyez résolus à ne plus servir » soit consentir, afin de vouloir ce qu’on me veut. « Amor fati » comme disait Nietzsche, ou « Que ta volonté soit faite » comme le propose la catéchèse en guise de programme religieux de libération[3]. Deux façons d’être libre et deux figures archétypales « le rebelle » et « le religieux ». Qui me connait un peu sait où je me trouve ; mais tout cela n’est qu’affaire de conformation psychologique.

 

Concluons donc sur cette idée de progrès. Le progrès n’est pas le mouvement et ne s’oppose pas à la tradition. C’est une élévation, une progression vers un horizon désiré, parce que désirable. Et en politique, il ne peut s’agir que d’aller vers plus d’égalité de condition – faire diminuer l’écart entre les plus pauvres et les plus riches, c’est-à-dire mieux répartir le pouvoir et les richesses – et vers plus de liberté pour chacun. Tout le contraire du conservatisme qui s’arrange bien, comme le macronisme, de la situation présente. Or la France, comme plus largement l’Occident, est de plus en plus conservatrice, ce qui ne veut pas dire qu’il faille en désespérer, comme Michel Onfray semble le faire. J’ai terminé il y a peu son volumineux essai « Décadence » dans lequel il dresse un diagnostic définitif et désespéré de l’occident chrétien : grosse fatigue, fausses valeurs, submersion démographique. Si je devais – manie bien philosophique des caractérisations –, définir la décadence, j’avancerais probablement cette idée que la décadence c’est le renoncement au progrès, le conservatisme promu comme idéologie de la fin de l’histoire.

 

Or le macronisme est un conservatisme qui participe d’une décadence qui, je reste optimiste, ne me parait si inéluctable que cela.

[1]. Ce film qui est surtout un libre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa est une belle allégorie de la séquence macronienne que nous vivons.

[2]. Le Nouveau Parti Socialiste.

[3]. Hegel ne dit-il la même chose en affirmant que « l’obéissance à la loi est liberté ».

Trop longue absence

Je reviens à mon blog après une trop longue absence que je pourrais justifier par des soucis techniques qui tiennent autant à l’outil – un changement de nom, donc d’adresse, laborieux – et à l’homme qui se cache, mais si peu, derrière cette étiquette de mescréant qu’il va falloir abandonner pour ne pas entretenir plus longtemps une forme de malentendu. Et puis la mise en retrait, cette fausse vacance m’a permis aussi d’écrire sur d’autres sujets et en d’autres formes ; et de ressasser gentiment mes obsessions idéelles. Enfin, il était sans doute trop tentant, dans cette période spectaculaire, de parler politique. D’ailleurs, relire dans un an les commentaires journalistiques de ce printemps sera édifiant, et on se demandera comment on a bien pu se laisser ainsi embarquer dans ce délire médiatique.

 

Mais, en attendant de m’étonner ici, plus longuement, de cette hystérie collective qui a porté au pouvoir un jeune césar, prouvant par là le peu de goût des Français pour la démocratie, la laïcité, ou les libertés individuelles, je voulais, pour parler de notre système politique, porter mon regard outre-Atlantique.

James Comey ancien patron du FBI a rendu public hier la déposition qu’il doit faire ce jour au Sénat étatsunien. Il y confirme que le Président – maladresse ou malhonnêteté de l’homme à la mèche – lui aurait demandé de clore une enquête sur un de ses anciens conseillés[1]. Cette obstruction au travail de la police fédérale pourrait conduire à sa destitution.

Où l’on voit l’écart abyssal, celui d’un océan, entre une démocratie américaine qui a aussi ses limites, mais qui fonctionne, et la monarchie élective française qui concentre tous les pouvoirs politiques entre les mains d’un homme qui peut utiliser la police et la justice à des fins qui ne tiennent en aucune manière à l’intérêt général. Ce fut ici toujours le cas ; ce le sera demain encore plus, et s’il y a réforme, c’est bien à cela qu’elle vise, s’affranchir de plus en plus, sous prétexte d’efficacité, des principes démocratiques.

Comment ne pas revenir en ces temps critiques au « Discours de la servitude volontaire » Discours de la servitude volontaire ?

[1]. Michael Flynn

 

Je ne voulais pas en parler

En politique, le principe ne fait pas la loi mais l’inspire ; et beaucoup de lois nécessaires et subjectivement « justes » contredisent partiellement les principes constitutionnels, sans d’ailleurs les ruiner. La loi s’inspire donc du principe, lui donne corps, le tempère, le met en balance avec d’autres principes plus ou moins contradictoires dans les faits. Et puis, il y a les valeurs et l’idée qu’on s’en fait, et la morale…

Le droit est donc une science molle, « humaine trop humaine », une Science Humaine et Sociale, ou politique si l’on préfère. Elle est donc interprétative et hautement subjective. Quant à la morale…

Les affaires d’Aulnay-Sous-Bois, et Fillon en sont des exemples à méditer : Viol ou pas viol de Théo ? Primat de la loi ou de la morale chez un leader politique ?

Il y aurait beaucoup à dire, et principalement sur le traitement médiatique de ces affaires. On ne connait de Théo que son prénom, mais s’il s’agissait d’un terroriste, on ne connaitrait que son patronyme. Pourquoi ces choix médiatiques stigmatisants ? L’usage privilégié de « Théo » qui donne de lui l’image d’un gamin – car, enfin, ce jeune homme doit bien avoir un nom de famille ! –, et je trouve ici remarquable que ce prénom renvoie à une identité judéo-chrétienne –, est compassionnel, et condamne a priori les flics[1]. Par contre, les médias, dans le cas de terrorisme, ne manqueraient pas de mettre en avant un patronyme maghrébin, ou du moins arabe.

Le cas Fillon n’a aucun rapport, si ce n’est que tout finit par se percuter dans le ressacement des nouvelles. Tout a été dit, ad nauseam, et les électeurs pourront bientôt trancher en connaissance de cause. Mais encore faudrait-il que le candidat puisse exposer son programme, car il y a l’homme, sa moralité, aujourd’hui dévoilée crûment, et son programme. Mais les médias qui s’acharnent veulent l’abattre, ayant, non seulement jugé, mais condamné. Par contre, Marine, qui a aussi triché, qui a été condamnée par le parlement européen et ne veut pas payer, est laissée tranquille, quiète, et elle pourra continuer à condamner le système dont elle fait partie et qu’elle ne propose pas de réformer, dénoncer les magouilles en oubliant les siennes, jouer du « tous pourris » ; avec la complicité des médias.

 

S’agissant de l’instruction des emplois présumés fictifs de Pénélope, je note encore deux points qui mériteraient de longs développements. L’Europe du Nord se moque de notre pratique de la politique. J’en suis aussi choqué, mais la pratique de l’emploi fictif est, en France, institutionnalisée. Deux exemples : Les fonctionnaires de l’État, s’ils font de la politique, et ne travaillent jamais pour l’État, peuvent toucher leur retraite de fonctionnaire, comme s’ils avaient travaillé. Ils cotisent donc sans bourse déliée, et perçoivent donc un salaire « différé » sans travailler ? C’est un emploi fictif. Second exemple : l’État subventionne le dialogue social en permettant que des syndicalistes soient salariés par de grands groupes, sans jamais travailler pour eux. C’est encore un emploi fictif. Et l’on pourrait trouver d’autres exemples (tous ces gens qui émargent au Conseil Economique Social et Environnemental, n’y viennent jamais et n’y fond strictement rien, etc.)

Mon second point sera ma conclusion du jour. À propos de l’instruction du dossier Fillon par le PNF, on a posé, très logiquement, la question de la séparation des pouvoirs. Je donne ici, à nouveau, ma vision de la « Théorie des cinq pouvoirs ». Cinq pouvoirs (trois actifs et deux réactifs) sont à l’œuvre dans nos sociétés. Les trois actifs, par ordre de prégnance sont le Marché, la Bureaucratie et l’Opinion Publique. Les deux, réactifs, sont les médias et la classe politique. Dans le dossier qui sature tant les chaînes et les ondes, le Marché qui tire les ficelles  (on parle ici d’AXA) reste très au-dessus de l’histoire. La Bureaucratie, sous la forme du PNF, est à la manœuvre. L’Opinion tranchera, in fine. Les médias réagissent comme une chambre d’écho, et par un comportement de meute, instrumentalisent, déforment, orientent, manipulent, mais tourneront avec le vent, car, si le Marché est toujours cohérent, les médias sont inconsistants. La classe politique, comme les médias, est essentiellement réactive.

[1]. Je ne défends pas la force publique, dont j’ai peur et que je n’aime pas, mais je me refuse à la condamner « a priori ».