Revue de presse

Ce mardi, Manuel Valls a eu recours au 49.3 pour faire adopter la loi MACRON. Faut-il rappeler que cet article qui permet, en engageant la responsabilité du gouvernement, d’imposer un texte en squeezant l’Assemblée, est une procédure d’exception dérogeant aux règles démocratiques ? Et en utilisant une seconde fois ce procédé, républicain – car il est parfaitement constitutionnel –, mais non démocratique – car il s’agit bien d’un procédé dérogatoire à la procédure législative naturelle –, le gouvernement français ignore les principes démocratiques, déjà si mal servis par notre régime aristocratique. Et comment ne pas regretter que ce soit un parti de gauche, si prompt à donner des leçons sur les valeurs, qui montre ainsi son mépris pour la démocratie, d’autant plus qu’il utilise cet artifice, non pas avant le vote des députés, pour raccourcir ainsi un débat qui s’enliserait, mais avant même que ce débat ait débuté en seconde lecture ; semblant dire aux prétendus représentants des citoyens : « circuler, il n’y a rien à voir, et rien à discuter ». Le gouvernement traite donc, en toute logique, les députés comme il traite les citoyens, leur signifiant que la seule chose qui leur est demandée, c’est bien de cautionner le Système, et en utilisant, pour se faire, ce qu’il est convenu d’appeler un chantage : consentir ou être démis. Ce procédé qui consiste à se faire voter les pleins pouvoirs, ici sur un texte, est de plus de nature totalitaire ; et si je termine là cette courte chronique, c’est pour ne pas me laisser aller à l’utilisation de formules plus dures encore, et pour réagir sur un tout autre sujet.

Je lis trop d’articles et j’entends trop de commentaires moquant les efforts d’Alexandre Tsipras négociant la dette grecque – quand ce ne sont pas des remarques méprisantes pour son soi-disant amateurisme – pour ne pas m’en agacer ici.

Ces condamnations, ces remarques assassines proviennent toutes de l’establishment politico-médiatique, principalement européen, c’est-à-dire néolibéral, et visent à disqualifier une expérience de gauche ; le Système ne souhaitant absolument pas qu’un parti comme Syriza réussisse.

Faut-il rappeler que ce parti populaire n’a aucune responsabilité dans le creusement du trou ? Ce trou, aujourd’hui abyssal, est passé de 103% du PIB en 2007 à 176% en 2014 (soit 317 milliards d’euros). Et cela malgré un allègement de 107 milliards en 2012 qui a été consacré, pour plus de la moitié, non pas à secourir une population très affectée par la crise, ou à investir dans des projets d’avenir, mais à renflouer les banques, c’est-à-dire à financer la finance ? Faut-il rappeler que depuis l’abolition de la Monarchie et l’établissement de la République en 1974, le pouvoir grec a été détenu au gré des alternances par l’équivalent de l’UMPS français, à savoir, faute d’un acronyme introuvable, par les conservateurs de la Nouvelle Démocratie et les socialistes du PASOK ? Faut-il rappeler que les succès électoraux de Syriza s’expliquent par le niveau d’engagement de son mouvement dans une grande quantité d’actions et de soutien à la société et précisément aux plus pauvres ?

On peut regretter, évidemment, certaines maladresses de l’équipe d’Alexandre Tsipras, mais pas sans prendre la mesure de la guerre idéologique que la commission européenne et tout l’establishment mènent contre les partis populaires européens, effrayés par des mouvements comme Podemos ou Syriza qui réinventent, à ses sources mêmes, la démocratie directe.

La politique est morte

La politique a disparu dissoute dans l’administration, par l’administration. Au prétexte de réalisme économique et d’une prétendue loi naturelle du Marché, la technobureaucratie, avec l’aide des professionnels de la réclame, a en effet mis hors-jeu tout débat d’idées. Il n’y a donc plus, aujourd’hui, la moindre prise en compte d’idéaux, la moindre réflexion sur les valeurs, la moindre confrontation dialectique. De toute façon, les mots pour se faire ont été confisqués par les communicants, désamorcés, interdits, et une novlangue moins dangereuse, institutionnalisée. Le champ politique a donc été grandement abandonné après avoir été stérilisé par les technocrates, et notre monde affadi par une bien-pensance aux relents totalitaires.

Il n’y a plus de politique ; car qu’est-ce que la politique, si ce n’est l’expression argumentée et la confrontation des opinions ? Mais, s’il n’y a pas d’opinion publique, le public empêché de s’en constituer une n’ayant que des humeurs[1], les femmes et les hommes politiques n’en ont pas plus, n’ayant eux, que des stratégies : On l’a vu, ou plutôt entendu, et l’on pourrait en prendre beaucoup d’exemples : Le candidat Hollande déclarait que « son ennemi c’est la finance » – expression forte d’une opinion radicale –, le Président Hollande entretient depuis les meilleures relations du monde avec la finance et la favorise sans limites ; quant à son prédécesseur à l’Élysée, on chercherait en vain une opinion par lui mise en avant, et à lui opposable, mais on ne trouve rien. Pas d’opinion, que des stratégies, des intérêts à préserver.

[1]. Après avoir rappelé que « L’opinion ne peut se former que dans la discussion », Hannah Arendt écrit dans « On revolution ». « La masse ne peut avoir d’opinions, elle n’a que des humeurs. Il n’y a donc pas d’opinion publique ».

Miscellanées

Il ne faut ni mépriser la tradition comme nous le faisons aujourd’hui ni surfaire la morale. Le bien, comme le juste, doit être démontré par les conséquences, c’est la leçon d’Épicure que Nietzsche n’aurait pas désavouée, même si, cherchant une morale par-delà bien et mal, il la propose entre désir et raison. Suis-je alors fidèle à sa démarche en distinguant deux morales ? Une petite, produite par la nécessité, c’est-à-dire par la pacification des rapports de force, et l’autre, la grande, qui n’est que l’objectivation normée d’un désir autant anthropologique que subjectif. Car toute volonté est bien volonté de jouir, ce n’est même que cela. L’altruisme est aussi un égoïsme. Mais le désir n’est-il pas aussi un principe cosmogonique ?

De l’intime

Si le christianisme me fascine autant qu’il me révulse, c’est qu’il forme l’un des piliers de notre tripalium civilisationnel, et que je suis définitivement, indécrottablement occidental, et que je vois dans la religion de mon enfance, dans l’expression de sa haute spiritualité, toutes les contradictions qui sont les miennes. Je ne saurais, en fait, mieux dire qu’en utilisant la formule de Raoul Vaneigem qui, évoquant le syncrétisme du christianisme, écrit dans son ouvrage sur « Le mouvement du libre-esprit » : « Le christianisme ingurgitera la pensée grecque, mais sans parvenir à la digérer, et jusqu’à sa fin l’Église en aura la colique ». Le christianisme est bien la synthèse, jamais dépassée, du paganisme de l’empire gréco-latin, et du judaïsme. Lucien Jerphagnon explique, en titre d’une petite fantaisie romanesque qu’il situe au troisième siècle de notre ère, que « l’agneau a dévoré la louve »[1], mais c’est bien plutôt le judaïsme qui a subverti le monde antique. Anatole France, philosophe peu cité comme tel, le rappelle en ces termes : « Ce que l’on appelle le triomphe du christianisme est plus exactement le triomphe du judaïsme, et c’est Israël à qui échut le singulier privilège de donner un dieu au monde ».

Trop proche de la philosophie grecque, trop païen, je suis, moi aussi, malade de mon éducation catholique, des bondieuseries puériles de mon enfance, du catéchisme hebdomadaire et de la communion dominicale ; en fait, malade de l’ambivalence essentielle de ce culte mortifère. Citons F. Lenoir, esprit pourtant œcuménique et peu porté à l’excès : « La réalité de l’histoire du christianisme : une inversion radicale des valeurs évangéliques ». Comment ne pas avoir mal au cœur de cette fascination morbide pour la croix et le cilice, de ce dolorisme pathologique, de ce masochisme pénitentiel, de cette haine du corps ? Mais, pour évoquer mon malaise spirituel, je prendrai un autre exemple, en opposant les figures, au combien tutélaires, d’Augustin et de Paul.

L’évêque d’Hippone, qu’Hannah Arendt – qui connaissait bien sa pensée pour l’avoir étudiée de près pendant ses années de formation – considérait comme le seul philosophe romain, invente la suggestivité, ou du moins préfigure le cogito cartésien sous la forme du « je suis devenu question pour moi-même (quaestio mihi factus sum) ». Il découvre et promeut la dimension singulière de l’individu et développe cette idée que l’intime est le lieu du questionnement existentiel (Les confessions n’ont pas d’autre objet que d’en rendre compte), questionnement face à Dieu qu’il conçoit ici comme un miroir inversé, l’homme n‘étant plus l’image de Dieu, son avatar, mais c’est bien le Dieu-Tout qui devient le reflet élargi de l’homme-singulier questionnant sa vérité propre, et cherchant ainsi, du point de fuite de sa singularité à connaître un tout qui lui échappe nécessairement.

Cette reconnaissance de l’intime qui rompt avec la tradition grecque, d’une intériorité protégée de la vie, mais qui devient la vraie vie, spirituelle, est essentielle. Je veux dire qu’elle touche bien à l’essentiel, et Augustin est, de ce point de vue, précurseur, d’une forme d’humanisme existentialiste, un humanisme qui n’est pas celui des Lumières. Augustin n’est pas un philosophe, c’est un être de la pensée, pas de l’idée. Et je ne vois chez lui, et pour le dire avec les mots de Vaneigem[2], « aucune masturbation intellectuelle ».

Paul me semble être, lui, grand masturbateur, sur une autre trajectoire, celle de l’Église institutionnelle. Il développe cette autre idée que l’intime n’est pas le lieu quiet du retrait, de l’attente, du dialogue avec Dieu, le lieu d’une possible épiphanie de l’amour, ou de l’amitié, mais celui de la honte ; considérant que ce qui est caché, le serait, non par souci de protection, comme dans un écrin (ou un tabernacle), mais par honte. L’homme aurait honte, et serait, par une perverse inversion des choses, déjà fautif d’être honteux. Et notre principe de transparence – contre-valeur s’il en est – ne vient pas d’ailleurs. Il procède de cette idée religieuse que ce qui est caché est suspect. Il fait, toujours a priori, le choix, choix éthique, de la laideur sur la beauté, de la faute sur l’innocence. Pour Paul, l’intime ne peut être que le lieu du remord, le sépulcre ou git le cadavre puant d’une faute première.

Pourquoi l’image de cet isoloir de bois sombre que l’on appelle, dans nos églises, confessionnal s’impose-t-elle à moi à l’instant matutinal où j’écris ces lignes ? Dans ses définitions lexicales, l’église est à la fois la communauté des croyants, le tout des fidèles, et le lieu où ils se réunissent et communient en rejouant l’eucharistie. L’église est donc la construction symbolique du Tout, et le confessionnal le lieu de l’intime ; un lieu qui n’existe, en fait et symboliquement, que relativement à une extériorité. L’intime est ce lieu du retrait, d’une solitude disponible, l’espace de la rencontre possible, d’une possible épiphanie de l’autre. C’est le lieu existentiel, singulier par nature, dans lequel le moi se replie, se recroqueville, se fait « point » pour interroger le tout transcendantal. C’est le point ou le « je » se tient, nu, en attente, en regard du mystère de de l’infini. C’est donc le lieu sacré de la nudité de l’Être, donc de sa vulnérabilité. Et il faut la sensibilité d’Augustin pour nous le faire sentir. Mais l’Église de Paul a inventé le confessionnal, boite de Pandore diabolique ; cette boite de bois sombre où l’intime est violé. L’intime est mis en boite par l’église, et la boite ouverte par les inquisiteurs en noir qui violent les âmes prétendument peccamineuses. Comment pourrais-je ne pas en avoir mal aux tripes ?

Mais, tout cela, ce n’est que du symbole…

[1]. Le titre exact est : La louve et l’agneau.

[2]. Je reprends ici la terminologie du « Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations » qui évoque « les masturbations collectives : idéologies, illusion d’être ensemble, éthique du troupeau, opium du peuple ».

 

Revue de presse

Dans le cadre de l’examen du projet de loi Santé, les députés à l’Assemblée ont souhaité cette semaine renforcer la présomption de consentement au don d’organes, en supprimant la nécessité de l’accord de la famille du défunt. Mais les médias, préférant commenter la généralisation du tiers-payant, ou sur un tout autre registre la suspension d’un joueur de foot ayant tenu des propos injurieux, ne s’en sont pas fait l’écho. Leurs priorités de la semaine étaient ailleurs.

Évidemment, tout commentaire d’une telle information doit être fait de manière circonstanciée car il ne s’agit que d’un amendement d’un projet en cours d’élaboration, et qui devra, s’il est adopté, être bien compris et replacé dans un contexte qui le justifie ou du moins l’éclaire. Mais quand bien même, il me parait révélateur du caractère non démocratique de nos institutions et de la pauvreté de nos débats de société, une société nécrosée à cœur.

En effet, on bafoue les principes démocratiques quand on souhaite « faire passer », sans débat public, une mesure grave, à dimension morale. Faut-il rappeler que la démocratie, ce n’est pas le suffrage universel ou le parlementarisme, mais bien plutôt une vraie représentation citoyenne qui, aujourd’hui, n’existe pas en France, et surtout des processus de prise de décision faisant la part belle au débat public et permettant de dégager des consensus sociétaux. On en est très loin. Est-ce si grave ? Mais la démocratie c’est aussi le respect des libertés individuelles ; un respect qui s’exprime dans le refus de ne rien imposer à quiconque, qui ne serve l’ensemble des citoyens, ou la cohésion nationale, ou encore la justice sociale. Toute contrainte apportée à un citoyen ne peut donc être justifiée que par une nécessité ou la recherche d’un intérêt commun (pour ne pas dire général). Or cette mesure d’exception ne profite pas à l’ensemble des citoyens, mais seulement à cette petite minorité, qui évidemment mérite toute notre compassion, de transplantés en attente d’organe sain. Il ne sert donc que des intérêts sans doute légitimes mais singuliers.

Sur le débat de société. On aurait pu, à l’occasion, réfléchir collectivement d’une part sur la propriété privée, d’autre part sur le statut du corps, notamment sur celui d’un mort. A qui appartient-il et qui peut en disposer ? C’est une question troublante. A la nature à laquelle il retourne sans d’ailleurs l’avoir jamais quittée ? On aurait pu aussi réfléchir au concept de présomption de don…

Je comprends bien que mort, l’homme n’existe plus et que seul demeurent, des biens plus ou moins valorisables ; et pour un temps assez court une dépouille beaucoup plus encombrante (je veux dire : avec une durée de péremption dépassée). La question, ici, est donc celle de l’héritage, de la propriété de ce corps en décomposition, de sa prise en charge et du respect qu’on lui doit ; la question est évidemment plus simple quant au solde des comptes bancaires du défunt. Qui doit se charger de cela ? Le vivant a-t-il quelque droit a en décider par anticipation, tant qu’il le peut ? La question est donc bien celle de la succession, du testament, et plus encore de l’exécuteur testamentaire et de la légitimité des héritiers.

La règlementation va donc remettre en cause ici l’héritage, et comme pour les biens patrimoniaux ou financiers, taxer la succession, pour en redistribuer une part aux plus démunis, ici quelques sous ou une œuvre d’art, là un cœur ou un poumon. L’Etat taxe et prélève, et a l’hypocrisie de présumer qu’il s’agit d’un don non exprimé.

Je crois que c’est bien ce qui me gêne. Qu’on me rappelle à cette occasion que nous vivons dans une société ou la technocratie qui nous gouverne met, au bout du compte, tout sur le même plan, la gestion des biens notariés et des corps des défunts. Car nous vivons dans un monde de bourgeois, ou de philistins si nous voulons utiliser la formule nietzschéenne. Et j’en ai le dégout.

Nous survivons dans un monde gouverné par la bureaucratie et formaté par un système qui tourne à vide, c’est-à-dire pour lui seul. Nous avons tous été dressés, embourgeoisés, philistanisés par ce système totalisant qui nous impose sa moraline détestable. Le philistin est à l’image des trois petits singes : il se bouche les oreilles pour ne pas entendre ceux qui pleurent de rage ou de douleur ; il se masque les yeux pour ne rien voir du monde dans lequel il prétend vivre. Il ne prononce plus les mots qu’il déclare politiquement incorrects, préférant, à défaut de confronter l’indigence de sa pensée au débat, nier les questions qui se posent. Il est lâche, même quand il fait la guerre, et prêt à toutes les concessions, toutes les compromissions pour préserver son petit confort. Et cela semble lui réussir, puisqu’il fait de cette lâcheté carrière, et accède aux plus hautes fonctions.

Il me vient parfois l’envie de crier comme Stirner : « Il faut entendre parler le philistin pour acquérir l’affreuse conviction que l’on est enfermé avec des fous dans une maison d’aliénés ».