M. Copé, commentant la primaire de son parti pour la prochaine municipale parisienne, a déclaré dimanche dernier dans une émission de télévision, et je crains qu’il ne plaisantât pas : « A l’UMP nous apprenons la démocratie, et c’est nouveau ». Ainsi, le leader désigné – mal désigné – d’une des deux principales formations politiques de notre pays déclare « apprendre la démocratie ». Dont acte.
Cette déclaration, qui est moins un aveu qu’une maladresse, montre néanmoins le problème français qui est d’ailleurs le mal plus ou moins congénital de toutes les démocraties parlementaires : ces démocraties sont très faibles, et toutes les affaires récentes montrent à quel point l’état de droit y est peu consistant, et l’opinion des peuples méprisée.
Les origines du mal sont évidentes, et tiennent à la nature même de l’homme ; mais les spécificités françaises en aggravent les conséquences. Et il est peut-être intéressant d’en rappeler les termes, même si tout a été déjà dit.
Notre pays est un Etat-nation, mais dont la particularité tient à ce que la nation y procède de l’Etat, et non l’inverse. Notre nation n’a pas d’origine ethnique – d’où l’importance du mythe de nos ancêtres les gaulois, mythe proprement républicain, et que l’on peut dater du XIXe siècle –, ni religieuse, ou territoriale. C’est une construction que l’on doit à la monarchie, principalement capétienne, puis prolongée par les Bourbons. Cette période cosmogonique qui prolongea la chute de l’Empire Romain d’Occident, se caractérise par le principe que l’Etat c’était le roi, et ce roi rassemblait son troupeau par annexion, rattachement ou conquête de territoires. Et notre pays s’est donc constitué sur ce primat de l’Etat, qui a conservé une présence, une force, un pouvoir exorbitant du droit. Je renvois chacun à quinze siècles de construction historique, et à une méditation plus ponctuelle sur la loi « révolutionnaire », dite Le Chapelier, loi du 14 juin 1791, dont l’esprit était bien d’interdire toute organisation qui ne dépendrait pas de l’Etat, ou puisse lui opposer un contrepouvoir.
Les représentants de l’Etat, qui vivent dans des palais, ont donc toujours eu le sentiment monarchique, dans notre pays, d’être au-dessus du droit. D’où tous les abus que nous constatons : enrichissement personnel, prévarications diverses, utilisation de caisses noires ou paiement de primes à discrétion et non déclarées au fisc. Nos élus se permettent donc, en toute bonne conscience, tout ce qu’ils n’acceptent pas, très justement, de leurs électeurs, au prétexte de morale. Et je ne dis pas que le sentiment monarchique est la principale raison de ces scandales que l’on constate effectivement partout sur la planète. Je prétends qu’elle explique la bonne conscience de ces élus qui nous volent.
Mais deux points me semblent essentiels, car ils corrompent définitivement toute idée de démocratie. Le premier est la confiscation du pouvoir par les partis politiques. Les députés de la nation qui exercent le pouvoir, ne l’exercent pas au nom des citoyens, mais en celui de leur parti d’affiliation. Un élu n’est donc pas le représentant de ses électeurs. C’est le mandataire désigné par son parti qui lui impose des consignes de vote. Cette pratique spolie le peuple du pouvoir de gérer son avenir. Et ce que je dénonce ici, l’a été bien souvent, par des voix bien plus fortes que la mienne. Citons simplement Hannah Arendt dans son « Essai sur la révolution » : « Les partis, en raison du monopole de la désignation des candidats qui est le leur, ne peuvent être considérés, comme des organes du Peuple, mais, au contraire, constituent un instrument très efficace à travers lequel on rogne et on domine le pouvoir populaire ».
Le deuxième point est encore plus problématique, et concourt à faire de notre république une oligarchie aristocratique, et à nous ramener, dans les faits constitutifs et les pratiques, sous l’ancien régime. Le pouvoir, tout le pouvoir, est aujourd’hui accaparé par une très petite élite, formée à l’ENA et – ou – à Sciences Po. Et cette petite aristocratie de quelques dizaines de milliers de personnes, qui pratique par ailleurs une forme d’endogamie, détient tous les rênes du pouvoir : les fonctions cardinales des partis politiques, la haute administration, les grands corps e l’Etat, les grandes entreprises. Et ces aristocrates, brillants par ailleurs, et plutôt bien formés, mais aux horizons très étroits, vivent entre eux dans des palais, coupés du peuple, et maintiennent en place un système dont ils profitent très largement.
Et nous voyons ce système, dont la France constitue un archétype, à l’œuvre dans beaucoup de pays d’Europe et bien au-delàs. C’est le modèle de la démocratie occidentale qui est promue partout et qui fait rêver tous les élus, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon.