L’actualité est lourde, pue le sang et la merde… c’est dur d’y échapper. Je vois bien qu’Israël est tombé dans le piège tendu par le Hamas. Mais comment aurait-il pu en être autrement quand l’hystérie gagne les foules ? L’opinion publique israélienne s’est déchainée et M. Netanyahou a cherché à préserver son avenir politique en faisant oublier les carences de son administration. Je pense à cette formule d’Hanna Arendt, décidément très présente à mon esprit depuis quelques semaines : « La masse ne peut avoir d’opinions, elle n’a que des humeurs. Il n’y a donc pas d’opinion publique ». Mais il est quand même dommage que les hommes d’opinion et de conviction que devraient être les politiques suivent ce mouvement d’humeur. Mais c’est dans ces moments de crise qu’on prend toute la mesure de la gent politique : nous sommes principalement gouvernés par des nains.
Israël va donc faire payer très cher aux Gazaouis qui n’y sont pas pour grand-chose, un crime de guerre génocidaire dégueulasse, perpétré par une organisation terroriste et planifié par une théocratie mollahchique. Et ce faisant, la riposte de Tsahal va exacerber la haine des Palestiniens à l’encontre des juifs, et de celle des musulmans vis-à-vis de tout l’Occident ; et un antisémitisme qui semble survivre à tout. Poutine et Xi Jinping peuvent s’en frotter les mains…
Et en Belgique, on l’a vu, réellement vu, deux ressortissants suédois ont été assassinés. Et on a d’abord dit que c’était parce qu’en Suède, lors d’une manifestation, des Corans avaient été brûlés. Or le Coran est sacré…
Justement, l’autre soir, je regardais à la télé… non, pas longtemps… une émission littéraire dont le thème était « Le sacré ». La grande librairie… médiocre, je n’y ai pas trainé. Je pensais qu’on y parlerait de Sacré ; mais, pas vraiment, il était surtout question de religion et de foi, avec des raccourcis sidérants : tout le monde croit à quelque chose, on ne peut croire en rien, et même les enfants ont besoin d’avoir foi en leurs parents…
J’aurais aimé que quelqu’un prenne le temps d’y définir le sacré, sans essayer de l’enfermer dans une problématique religieuse. Par exemple en rappelant que le sacré est un absolu indépassable qui fait autorité : le livre d’un prophète, une relique ou un talisman qui fait des miracles, l’incarnation d’une force ou d’une idée supérieure, la terre pour certains écologistes, la nation ou le drapeau pour des nationalistes. Ce n’est donc pas une notion strictement religieuse que le profane aurait reprise, mais un concept intellectuel, voire politique, que les structures de pouvoir ont toujours su utiliser pour couper court à toute remise en question de l’ordre établi, voire couper court, au ras du col, quelques têtes qui dépassent. Car on peut aussi, comme je le fais souvent, déclarer que « rien n’est sacré, mais que tout est à priori respectable », notamment la foi des croyants. Et l’autre point qui aurait mérité d’être clarifié, c’est bien de distinguer la foi religieuse et la « simple » croyance en ce que l’on ne sait pas. Rappelons que bien souvent on croit savoir, alors que l’on devrait savoir que l’on croit. Encore un aphorisme pour la route : « la foi, c’est une croyance déraisonnable ». Oui, c’est bien le fait qu’elle échappe à la raison qui la définit : « Credo quia absurdum est », comme l’écrivait Tertullien (ou attribué à Tertullien).
On peut croire pour de multiples raisons… qui peut dire comment se forme une conviction ? …, par expérience (que telle couleur du ciel au couchant annonce tel temps pour le lendemain), par une forme d’habitude (que le soleil se lèvera demain – le philosophe anglais David Hume parlait de coutume), par déduction, réflexion, analyse probabiliste ; mais aussi par désir, envie (prévoir ce que l’on désire voir arriver, et cela même sans s’en rendre compte). On peut aussi se forcer à y croire, par vertu, conformation à une forme d’éthique de la pensée et de l’engagement, surtout quand l’avenir est à ce point désespérant. Mais la foi, c’est autre chose, c’est une confiance inaltérable, inébranlable et déraisonnable en une autorité supérieure, un absolu, d’où l’appel au sacré qui n’est qu’un interdit, celui d’en douter ; ou une autocensure. Mais ne réduisons pas le sacré à cela, pas plus que le totalitarisme au religieux…
Et convenons que si une chose est sacrée pour les uns, elle peut ne pas l’être pour d’autres, car l’autorité ne s’impose pas, même par la force qui ne peut que la détruire. Mais admettons aussi que nous ne pouvons pas vivre collectivement sans autorité, car ôté l’autorité, il ne reste que la violence pour faire tenir les choses entre elles, les faire mal tenir et dans la douleur. Il y a donc précisément le même rapport dialectique entre autorité et violence qu’entre la loi et la liberté, et le rôle du politique est d’en faire la synthèse.
Si l’autorité n’existe pas, ne reste que la violence. Toutes les structures politiques le savent : il faut faire de la pédagogie, se faire aimer, faire que les gens adhèrent, construire une relation d’autorité avec le système ; et si ça ne fonctionne pas, ne restent alors que la violence, la police, la chasse aux dissidents et aux hérétiques, la prison, les bûchers. Le Prophète de l’Islam le savait et l’a tranché au fil du sabre : convertir ou tuer ; celui du christianisme était sur une autre ligne – il n’a pas tué, il a été tué d’une manière ignominieuse. Je n’invente rien.
Je conclus sur le Coran et sur la façon dont les musulmans ont pu vivre l’outrage suédois, que ce soit la raison de l’attentat en Belgique ou pas. Je comprends et respecte le fait que la parole divine, transmise par l’Archange Gabriel dans une langue considérée comme « pure », soit considérée, par les musulmans, comme sacrée. Maintenant, il me semble qu’un ouvrage imprimé, fait de papier et d’encre, est d’une autre nature et que le considérer comme sacré, c’est confondre la chose et sa représentation démultipliée. Je possède d’ailleurs une traduction française de ce texte… Quelle valeur, quel statut a-t-elle ? Ce n’est évidemment qu’un écho imparfait, une évocation de la voix qui éveilla le Prophète de l’Islam, et le mit sur le chemin qui fut le sien. Puis-je l’annoter, souligner des phrases, stabiloter des passages ? Peut-être faudra-t-il que j’interroge un ami musulman pour qu’il me donne son avis, afin que je puisse continuer à m’informer du texte fondateur d’une religion planétaire, sans risquer paraître lui manquer de respect, et sans y perdre la tête ?