Le théologien Robert Cheaib a cette formule douloureuse dans « Au-delà de la mort de Dieu » : « Concevoir l’existence comme de simples traces laissées sur le sable et sitôt effacées par les vagues, ou être convaincu que « nous sommes nés et vivrons à jamais », n’est assurément pas la même chose ». Et je voulais lui donner ici raison. Et affirmer aussi, pour éviter tout malentendu de la suite de mon propos, toute l’admiration et la sympathie que j’ai pour lui ; mais aussi du respect pour ce qu’il considère être sa mission.
Il est jeune, a déjà réussi, et les vagues générationnelles n’effaceront pas l’empreinte de ses pas dans le sable mouvant du présent. Quant à moi, je suis déjà âgé et j’ai perdu tout espoir de réussite. Pourtant, j’aurais voulu, dans le prolongement de Nietzsche qu’il cite souvent, moi, dérisoire poussière, éphémère étincelle en queue de comète, développer une philosophie précisément pour ceux qui « conçoivent l’existence comme de simples traces laissées sur le sable et sitôt effacées par les vagues » ; car c’est à eux qu’il faut venir en secours, afin de les aider à ne pas sombrer dans le nihilisme, précisément ce que Nietzsche s’est esquinté à faire. Mais, de ce que j’ai pensé, écrit, aimé, été, il ne restera rien. Mais qu’importe… de vagues souvenirs chez des gens qui les emporteront dans la tombe, si peu de temps après ma mort.
La question n’est pas de croire ou pas, car le même doute, Robert Cheaib le rappelle justement, habite tous les croyants, qu’ils croient en l’existence d’un dieu – dont le vrai mystère est sa nature –, ou qu’ils croient, sur le même registre, que Dieu n’existe pas. C’est, je le redis, conscient que nos actes individuels seront sans conséquence, comment trouver encore en soi les forces de préserver notre intégrité morale ? Sachant que la question de la foi est bien celle de l’espoir : l’illusion réconfortante d’être sauvé, préservé de la pourriture, d’avoir un avenir, si possible radieux comme une aube printanière. Vivre sans espoir de lendemains qui chantent, accepter la perte irréparable de ce que l’on aimait, entreprendre encore et toujours sans espoir de réussir ou de changer le cours funeste des choses, persévérer malgré les échecs, les remarques des gens qui vous disent que, compte tenu de votre âge, on ne peut plus miser sur vous, accepter « l’absence » de Dieu, son retrait, son silence, et se lever encore comme un arbre aux bois secs face à la tempête qui brouille et noircit l’horizon, se conformer à une éthique qui se cherche encore « au-delàs du bien et du mal », c’est une posture qui mériterait bien l’assistance, le soutient moral, le respect, un peu d’amour. Je sais qu’ « amour » est un mot qui résonne aux oreilles de notre théologien.