Si certains discours de droite – par exemple ceux de M. Retailleau, bien relayés par M. Praud – me gênent, c’est tout sauf étonnant, car je continue à me considérer comme un modeste militant de gauche. Mais une gauche qui n’a rien à voir avec le centre droit macron-compatible du Parti socialiste, un parti de bobos qui a depuis les années 80 abandonné les classes populaires au Rassemblement National. Et encore moins avec les dérives stalino-révolutionnaires de La France Insoumise. Car, fidèle à Camus ou à Arendt, je ne crois pas aux révolutions qui ne sont que des occasions de régler ses comptes et de remplacer, à la tête de l’État, une bourgeoisie par une autre, et de suspendre les libertés pour un temps ; un temps qui en général dure.
Prenons la question, si lourdement posée par les commentateurs de CNews, de l’Autorité. Et sans avoir peur d’y mettre ici une majuscule. Mais poser la question en ce terme est déjà problématique. Mais comme il y a effectivement problème – voir le rapport d’une certaine jeunesse avec la police, plus généralement avec la loi –, je préfère parler d’un déficit de confiance. Et on m’objectera peut-être que c’est la même chose, qu’il n’y a Autorité que s’il y a confiance en la parole qui est censée faire autorité : en premier lieu celle des parents, mais aussi celle de l’enseignant, du scientifique, du juge, du médecin, du prêtre, des médias institutionnels, etc. Mais quelle confiance accorder ici ou là, quand nous baignons tous dans la propagande, le négationnisme, le prétendu complotisme.
Je pense que pour un homme de droite, l’autorité évoque plutôt la force et la soumission des gens du commun aux détenteurs de l’autorité (politique, policière, juridique, morale), soumission à tous ces gens de pouvoir qui promeuvent la moraline et défendent une bien-pensance qui peut sombrer dans le wokisme le plus radical. Alors que pour un homme de gauche, cette autorité procède d’une relation de confiance qui permet à chacun de s’abandonner aux institutions, par adhésion et non par peur des représailles. La défiance étant la vraie source de la perte d’autorité, et non la faiblesse de la répression.
Cette thématique a bien été développée par Hannah Arent, philosophe de gauche, mais aussi par Thomas Hobbes (toute autre époque), l’un des précurseurs, selon moi, de la laïcité. Que nous dit Hobbes dans le Léviathan ? Il nous dit que si on peut fonder un état par la force, il ne peut se maintenir que par le consentement des gouvernés, par l’idée d’un Contrat social plus ou moins explicite. Et ce consentement, cette adhésion nationale se construit bien sur la confiance ; par exemple sur la conviction qu’en matière de sécurité, on a tous intérêt à ce que l’État bénéficie du monopole de la violence et sache en user avec mesure.
Et c’est quand l’autorité fait défaut, du fait d’une défiance généralisée, qu’il ne reste plus à l’état qu’à utiliser la force comme substitue à l’autorité, et à glisser toujours plus sur la pente totalitaire. On l’a bien vu avec la crise du Covid. Beaucoup de Français ont douté de l’efficacité du vaccin. En réponse, l’État est allé très loin pour imposer sa vision des choses. On le voit aussi aujourd’hui avec l’environnement. Face au scepticisme généralisé, l’État est prêt à imposer à tous des règles liberticides, mais pour le bien des gens.
On pourra donc, comme les personnalités de droite le suggèrent, augmenter toujours le nombre de policiers et de caméras de surveillance, modifier le Code pénal pour augmenter les peines, construire de nouvelles prisons, raboter un peu plus les quelques libertés individuelles qui nous restent. Nous transformer en Chinois… Faire que « 1984 » ce soit ici et maintenant. Mais si l’on ne fait que cela, sans se préoccuper de recréer de la confiance, on aura peut-être rétabli une forme d’ordre – à l’image de l’Iran, où une femme qui refuse de se voiler peut finir par être pendue, au nom de Dieu ; on peut aussi, comme en Corée du Nord, mettre une balle dans la nuque des délinquants, ou encore, comme dans la Bande de Gaza, jeter les déviants depuis la terrasse d’un immeuble, afin qu’ils s’écrasent quelques étages plus bas. On peut faire régner un ordre plus strict, mais on n’aura pas recréé de confiance, donc d’autorité, on aura simplement créé du ressentiment, de la violence refoulée.
Comment retrouver un niveau d’adhésion à nos valeurs, à notre système ? Et la question est complexe, car comment faire adhérer des musulmans fidèles à leur religion, à un système politique laïc ? Pour cela, il faut s’attaquer au Système et se souvenir que la crise de nos prétendues démocraties vient du fait que le mensonge est devenu, grâce à la médiatisation du monde, aux réseaux sociaux, à l’omniprésence de la publicité, l’un des outils majeurs du gouvernement des masses. C’est pourquoi on ne comblera aucun défaut d’autorité, sans s’attaquer à cette fabrication de mensonges qui ruine toute confiance. Hannah Arendt, que j’ai citée et que j’ai à l’esprit, expliquait précisément dans « Du mensonge à la violence » que lorsque l’État perd son « pouvoir », son « autorité », il ne sait plus comment gouverner si ce n’est par la violence et le mensonge, le mensonge qui conduit inévitablement à la violence, à la violence de mensonge. Fatal cercle vicieux : crise de l’autorité, donc substitution de la force répressive à l’autorité, donc mise en place, avec tous les secours et les outils de la communication publicitaire, du mensonge d’état, donc perte de crédibilité et méfiance généralisée. Et on se souvient comment des mensonges d’état ont pu justifier des guerres : pour les États-Unis, au Vietnam, puis en Irak où il était question de retrouver et de neutraliser des ADM. Pour la Russie qui aujourd’hui prétend dénazifier l’Ukraine.
Il faut donc sans doute construire des prisons, au moins pour que les détenus y vivent de manière digne et ne dorment pas sur des matelas posés à même le sol, des centres clos pour y garder les OQTF en attente d’expulsion. Évidemment, il faut que la justice soit apolitique (condition de son indépendance), et donc dissoudre le Syndicat de la magistrature. Et puis contrôler nos flux migratoires, afin d’accueillir dans de bonnes conditions, le maximum raisonnable de gens que nous pouvons intégrer, assimiler, compte tenu de nos capacités d’accueil. Mais il faut surtout se poser la question de l’institutionnalisation du mensonge, de l’omniprésence et de la pollution de la publicité de produits utilisée pour vendre une idée, un homme politique comme on vend un autre produit de consommation. « On se lève tous pour un candidat comme on se lève tous pour Danette », même méthode. Et peut-être ne plus accepter que l’on prétende nous faire vivre en démocratie, alors que nos systèmes occidentaux le sont de moins en moins et que le sort des gens se règle sans eux, ailleurs, par de hauts fonctionnaires non élus vivant non seulement « hors sol », mais « entre eux ». C’est-à-dire redonner du pouvoir au peuple, et donc s’attaquer aux partis politiques. Citons Arendt « Les partis, en raison du monopole de la désignation des candidats qui est le leur, ne peuvent être considérés comme des organes du Peuple, mais, au contraire, constituent un instrument très efficace à travers lequel on rogne et on domine le pouvoir populaire ».
Et puis réinterroger ce que l’on nomme société de masse, ou société consumériste ; et se souvenir qu’avant de parler des droits accessoires de telle ou telle minorité, il faudrait déjà garantir à chacun les droits fondamentaux. Arendt les voit ainsi : « Les « trois grands droits premiers : vie, liberté, propriété … » Et j’adhère à cela. La vie, elle nous est de plus en plus chichement comptée, quand l’essentiel de notre temps, de notre énergie, est consacré à survivre – survie contre, survie malgré… La liberté, faut-il en parler ? Elle disparait progressivement en Occident, comme disparait la sphère privée. La propriété privée ? Tout est fait pour que cette propriété soit confisquée entre les mains des plus riches – de moins en moins nombreux et de plus en plus riches – et pour contraindre les autres à vivre à crédit, en location, de manière précaire, à la merci du Marché, de l’État et des aléas de la vie.
Et, disant cela, je ne m’égare pas. Nos institutions et ceux qui les font exister ne nous représentent pas, ne défendent pas nos intérêts, ne nous protègent plus, ne nous écoutent pas ; et quand, fait devenu rarissime, le peuple est consulté par référendum (29 mai 2005) et que sa réponse ne convient pas aux élites, alors on méprise et contourne cet avis. Comment s’étonner alors que les Français – ne parlons que d’eux – ne fassent pas confiance à leurs dirigeants et aux services de l’État ? Alors oui, dans ces conditions, on ne peut s’étonner de la ruine de l’Autorité. Et il est alors logique que l’image du Général de Gaule soit si présente dans les médias.
Mais concluons ce long article. Nous vivons bien une crise de l’autorité, dont la classe politique est le principal responsable. Cette crise est une crise de la défiance. Et on n’y répondra pas par une augmentation de la répression, un nouveau rabotage des libertés individuelles. Mais en s’attaquant aux réseaux sociaux, en confinant la publicité dans des espaces plus étroits, en recréant des universités et des médias institutionnels, moins politisés, plus laïcs, expurgés du wokisme. Qu’attend-on des institutions ? Qu’elles nous protègent, nous rassurent, fassent baisser notre niveau de stress, nous offrent un cadre stable, sécurisé à nos activités ; que l’État nous gère en bon père de famille, avec douceur et autorité. C’est tout le contraire que nous constatons. Un état incompétent et irresponsable.