On en parle trop dans les médias pour que je reste indifférent à « l’affaire » et ne sois pas choqué par l’hystérisation de certains propos. Et de regretter que ce ne soit pas l’occasion d’en débattre sereinement. Et bien que je ne prétende pas être capable de porter sur ce sujet un regard plus perspicace ou d’avoir une analyse plus fine que la moyenne, je souhaite néanmoins réfléchir avec vous à haute voix.
Il me semble que ce fait divers – j’assume le terme de « fait divers » comme j’assumerai tout autant celui « d’affaire de mœurs » – peut être appréhendé au moins par trois dimensions, et c’est pour essayer de poser ainsi les termes d’un débat que je n’ai pas la prétention de mener bien loin, que j’écris ces lignes. La première dimension est psychologique et nul doute que des psychologues écrivent des livres sur ce cas d’école qui peut faire évoluer la règlementation. Et, même si la psychologie n’est pas une science, encore moins une science dure, ce que les experts du comportement peuvent nous dire sur les mécanismes de dépendance est important. Et une experte expliquait récemment chez Praud la différence entre transmission et prédation… si j’ai bien compris entre don et vol, et, dans une dimension plus symbolique, entre consentement et viol. C’est la question de la dépendance entre deux êtres, de la nature même de l’amour et de la réalité du consentement d’une personne sous emprise. Et ce que j’entends de la relation Godrèche-Jacquot semblerait montrer une dépendance, peut-être teintée de différents sentiments de différentes natures. Et ce premier débat ne peut être qu’un débat d’experts auquel on ne peut participer que comme candide, spectateur critique ou questionneur, mais qui nous renvoie tous à notre façon de concevoir la relation, et aussi les relations d’autorité. Et de ce point de vue, et sans jeu de mots, on est souvent dans l’entre-deux.
La seconde dimension est morale. Et on peut comprendre que le viol soit moralement commandable, qu’il s’agisse de viol de conscience ou de viol d’un corps. Certaines société ou culture appréhendent ou ont appréhendé ce sujet différemment de la nôtre, et je ne suis pas sûr que l’on puisse l’essentialiser ou le trancher de manière kantienne, c’est-à-dire religieuse : d’un côté le bien, qui nous serait toujours connu « a priori », par simple interrogation casuistique, et le mal qui se reconnaitrait à son odeur… peut-être celle des charniers, peut-être celle de l’eau de toilette du mâle blanc occidental. Je pense en effet que notre conscience n’échappe pas à une forme de détermination culturelle, ce qui, en teintant cette morale de subjectivité, ne la rend pas moins centrale. Et notre culture est chrétienne, et l’athée le plus radical n‘y échappe pas. Sur ce dernier point, j’aurais l’occasion de chroniquer l’excellent dernier livre de Miche Onfray « Patience dans les ruines ». Notre culture, qui a du mal avec les corps, qui, tout à la fois les méprise – pour un chrétien, c’est l’âme qui a de la valeur – et en sacralise la viginité – ne pas les montrer, ne pas en parler, les sanctuariser en quelque chose… – ne condamne pas le viol des consciences. Et je me demande, si la relation Godrèche-Jacquot avait été vierge de consommation sexuelle, si, bien que tout autant dépendante, déséquilibrée, prédatrice, faussement consentante, elle n’aurait pas été plus acceptée, voire curieusement qualifiée de pure. Et j’entends que l’on peut considérer comme outrancier le fait de comparer le viol des consciences par la propagande ou la publicité, et celle d’une gamine dans une « tournante » de banlieue, ou dans une voiture, tard le soir sur un parking. Pour moi, sur le fond, c’est un peu la même chose, un viol, mais évidemment que la violence de l’acte n’est ni de même niveau ni de même nature ; une violence d’ailleurs absente dans le viol en question – c’est ce dont elle parle quand elle évoque tardivement ce défaut de réel consentement. Mais la fait est que notre culture s’arrange plutôt bien du viol des consciences, un viol qui est à la base des religions du livre, donc de notre culture, et du viol des corps.
Reste la loi, dernière approche qui me parait essentielle. Les sources de la loi sont multiples : la tradition, la morale, l’intérêt de la société, de l’État et d’un certain nombre de lobbys. Cette affaire est condamnable moralement, mais ça se discute… Elle l’est aussi, en droit, et ça se plaide. Notre loi, depuis 1982, interdit une relation de couple entre une mineure de 14ans et un homme de quarante. Et à charge des juges d’apprécier la situation. Mais ces faits peuvent être prescrits, comme tous les délits ou crimes (sauf à de très rares exceptions). Et il existe aussi une responsabilité parentale. Accepter que sa fille de quatorze ans quitte le foyer familial pour aller vivre avec un homme beaucoup plus âgé qui lui ouvre son domicile et son lit, c’est être complice d’un délit ou peut-être d’un crime. A ma connaissance, la relation sexuelle entre une mineure de moins de 15 ans et un adulte est définie par le Code pénal comme une atteinte sexuelle, punie aujourd’hui de 5 ans de prison et 75 000,00 € d’amende. Et en cas de non-consentement, l’acte peut être requalifié en viol, c’est-à-dire de crime. Et si l’âge du consentement est de 15 ans, cela ne veut pas dire grand-chose après cet âge, mais décide de manière très normée, théorique, et indépendamment de toute maturité physique ou psychologique qu’avant cet âge, un consentement ne vaut rien devant un tribunal.
En conclusion de quoi, et c’est ce que je voulais dire, pour peu que l’on ait quelque chose à dire sur cette « affaire » ou quelque compétence pour le faire, il me parait essentiel de préciser si l’on veut en traiter les dimensions psychologique, moral ou juridique.