La Cour Européenne des Droits de l’Homme, saisie par une porteuse de niqab a débattu fin novembre de la question de l’interdiction en France du voile islamique intégral dans les lieux publics. Mais elle ne rendra sa décision qu’en 2014. Rappelons rapidement qu’une loi votée fin 2010 stipule que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». La cour dira si cette disposition contrevient au droit européen, mais je m’interroge sur plusieurs points qui sont autant de sujets à chronique et à discussion.
Le premier sujet est celui du droit européen. Qu’en est-il ? On pourrait penser qu’il s’agit en l’occurrence de la Constitution Européenne. Mais il n’existe pas de constitution européenne, car celle rédigée en son temps n’a pas été ratifiée, ce qui, avec du recul, est plutôt une bonne chose pour un pays singulier comme la France ; car, par exemple, cette constitution ne fondait pas en droit la laïcité, ce qui veut tout simplement dire que des valeurs françaises fondamentales ne se retrouvaient donc pas dans ce texte constituant. Ce droit collectif et partagé est donc défini par différents traités, constitutifs et modificatifs : Le TCE (instituant la Communauté Européenne), le TUE (traité sur l’U.E.), le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007 – mais Lisbonne suivait Nice en 2001, Amsterdam en 97, Maastricht en 92, Rome en 57.
Sur quoi va donc se fonder la décision des juges de la C.E.D.H. ? Elle ne peut se fonder que sur la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de novembre 1950, (plus communément appelée Convention européenne des droits de l’homme), sachant que ce traité se réfère principalement à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. En d’autres termes, la cour pourra faire ce qu’elle veut, juger de manière subjective, et se raccrocher à des principes généraux et contradictoires.
Par exemple l’article 18 de cette déclaration stipule que : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ». Sur cette base juridique la cour pourra valider tout comportement justifié sur le registre de la liberté de manifester sa religion, car chacun peut prétendre que le fait de se comporter d’une manière singulière dans la cité, constitue très précisément la religion propre de cet individu singulier qui la confesse et revendique le droit de le manifester.
Mais les juges pourront aussi s’appuyer sur l’article 29 : « L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible ; Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ». Et ils considèreront alors que la loi française respecte le droit en limitant le droit de manifester son appartenance religieuse « afin de satisfaire aux justes exigences de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ».
Attendons-donc, sans grande inquiétude la décision finale, et concluons sur une question de la liberté.
Il n’y a pas de liberté sans droit, non pas que la liberté ait besoin que le droit la produise (je veux dire de manière active), mais sans droit, sans la contrainte de la loi, la question de la liberté ne se pose pas. Et l’on pourrait dire que dans l’État de Nature, cet état où la loi se réduit à celle du plus fort, la liberté n’existe pas. La loi crée donc la liberté (de manière passive ou réactive), et c’est pourquoi « la liberté est consentement éclairé à la loi juste ». Mais qu’est-ce qu’une loi juste ? C’est une loi considérée comme telle, par celui qui la subit, donc, par défaut, une loi démocratiquement votée. Si la liberté est consentement à son aliénation partielle, on peut, avec profit, revenir sur cette antienne justifiant l’aliénation des libertés individuelles. Ces justifications sont au nombre de trois : le respect, la convention, la morale ; et c’est tout cela qui fonde le Contrat Social. Respect de l’autre car, selon la formule populaire « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » ; la convention, car nous vendons, ou bien nous nous laissons déposséder chaque jour d’une nouvelle liberté au prix illusoire de notre sécurité ou de notre confort – et ce troc nous tue ; la morale, car la liberté comme valeur s’oppose à d’autres valeurs, et il faut bien dès lors hiérarchiser ces valeurs, c’est-à-dire se poser la question de la morale (la morale comprise comme l’échelle des valeurs) ; C’est ainsi que dans les pays catholiques, notamment en France, on privilégie l’égalité sur la liberté, et que dans des nations protestantes, c’est l’inverse. Et c’est ainsi que dans une république laïque, l’éthique républicaine est différente de celle d’une république islamique.