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C’est bien une crise de régime

Une crise de régime dont on ne prend pas la juste mesure…

Un gouvernement est nommé en France le dimanche soir – le troisième en peu de temps. À peine la nuit passée, et alors qu’avec l’aube chacun se réjouit du retour d’une forme de clarté matutinale, son Premier ministre démissionne. On croirait revivre les heures troubles de la Quatrième République. Voici ce qu’on appelle une crise de régime.

D’un côté, une députée macroniste, probablement inquiète pour son siège, déclare « on y était presque… on peut encore y arriver… il faut rester positif et continuer à travailler pour rapprocher les points de vue ». De l’autre, on évoque une dissolution inéluctable, voire une démission du Président pour, après retour au peuple, sortir de l’impasse. Mensonges, erreurs d’appréciation, calculs politiciens ? La réalité est plus simple :  ils craignent tous pour leur poste, sont prisonniers de leurs habitudes et incapables de changer de logiciel. Comme le résume Philippe de Villiers, des « gens qui font leur petite cuisine, sur leur petit réchaud, dans leur petite cuisine ».

Une crise de majorité se résout par un changement de majorité, voire une cohabitation ; une crise politique traditionnelle, par un retour aux urnes et une nouvelle orientation gouvernementale. Mais une crise de régime ne peut se résoudre que par un changement de régime. Or, la classe politique n’en a ni l’envie ni le courage.

La Cinquième, une symphonie funèbre

Très efficace pendant les Trente Glorieuses, elle ne correspond plus à l’époque. L’absence durable de majorité claire, l’éclatement du bipartisme d’après-guerre, les mutations sociétales exacerbées par l’immigration de masse, la révolution des médias — où le tweet remplace l’analyse de fond — et la montée des populismes ont rendu obsolète la politique « traditionnelle ». Les classes sociales, bouleversées par le consumérisme et la désindustrialisation, ont vu leurs lignes de fracture se déplacer.

La caste politique, incarnant un monde révolu, a perdu toute représentativité. Les clivages ne sont plus entre droite et gauche, mais autour de l’immigration, du prosélytisme islamique, de la relation à l’Union européenne (fédéralisme contre souverainisme), du poids de l’État-providence ou de la réforme des retraites. Marine Le Pen, comme Emmanuel Macron avant elle, l’a compris : se déclarer « ni de droite ni de gauche » ou « au-dessus des partis » permet d’attirer tout le monde… avant de se fâcher avec tous.

Dans ce contexte instable, en quête de nouveaux équilibres, la Cinquième République n’est plus qu’un cadavre politique. La « rupture » promise par M. Le Cornu, incarnée par un gouvernement éphémère (14 heures à peine), ne suffit pas. Cette fin de mandat s’étire en une agonie sans fin, annonciatrice d’une renaissance qui ne viendra que dans une douleur extrême. La Cinquième n’est plus qu’une symphonie funèbre. Elle meurt de vieillesse, mais aussi des « viols » qu’elle a subis.

Trois trahisons fatales

Portée sur les fonts baptismaux par De Gaulle, notre république a été violée à trois reprises. En 1986, Mitterrand, battu aux législatives, invente une cohabitation contre nature, trahissant l’esprit gaulliste (le Général aurait démissionné). En 2000, Chirac achève de sortir la France de la Cinquième avec deux réformes : l’abandon du septennat et l’inversion du calendrier électoral — que les Français acceptent sans broncher. Enfin, en 2008, Sarkozy fait adopter par le Congrès la Constitution européenne, rejetée par référendum trois ans plus tôt. Ce mépris pour la volonté populaire prouve que les parlementaires ne représentent plus le peuple, mais leurs appareils. Hanna Arendt l’avait pressenti : « Le système représentatif traverse une crise parce qu’il a perdu les institutions permettant une participation citoyenne effective, et parce que les partis, bureaucratisés, ne représentent plus que leurs propres intérêts. » La France, après avoir fui la Quatrième République, y revient fatalement.

Notre Cinquième République, conçue comme une « dictature majoritaire », a fait son temps.

L’illusion du retour aux urnes.

Organiser de nouvelles élections n’a plus de sens quand les partis ne cherchent qu’à survivre. Quel lien entre M. Faure et M. Gage, ou entre M. Retailleau et M. Bertrand ? Il faudrait refonder, mais ceux qui le pourraient s’accrochent à leurs privilèges comme des naufragés à une épave. On tente encore de former un gouvernement « macroniste » avec des députés de droite ou de gauche, alors qu’il faudrait un exécutif composé à 80 % de techniciens sans étiquette.

L’impasse.

Nous sommes donc dans une impasse historique et n’en sortirons qu’en prenant un chemin radicalement nouveau. Et il faudra bien plus que la rupture promise par M. Le Cornu et incarnée dans son gouvernement si éphémère (14 heures) pour retrouver des perspectives. Cette fin de mandat est donc bien une fin qui n’en finit pas, et l’annonce d’un début qui n’est pas pour demain, une future naissance, par les voies naturelles, populaires, qui ne pourra se faire qu’aux forceps ou par césarienne. Tout ce chaos va donc durer au-delà de 2027 et le corps agonisant de notre république va continuer à pourrir et à puer.

Pour éviter que la Cinquième ne régresse en Quatrième, il faudrait en inventer une Sixième. Qui pourrait le faire ? De Gaulle est mort. S’il a pu refonder la République en 1958, c’est qu’il cumulait deux atouts : une autorité incontestable et une indépendance totale vis-à-vis des partis. Où trouver aujourd’hui un tel leader ? Non qu’il n’existe pas, mais notre système médiatique, obsédé par le spectacle, ne lui offrirait aucune visibilité.