La France va peut-être s’engager très prochainement dans une nouvelle guerre et intervenir en Syrie pour hâter la chute de Bachar al-Aassad. Ce faisant, elle s’enrôlera, aux côtés des monarchies du Golfe, – c’est-à-dire aux côtés des financeurs et soutiens d’Al-Qaïda – mais sans évidement le souhaiter, dans une guerre de religion qui oppose les Sunnites et les Chiites et qui déstabilise un peu plus le Moyen-Orient. Mais ce dernier point ne constitue pas l’objet de mon propos, et chacun mesure bien le débat casuistique provoqué par les atrocités du régime syrien et son arrogance – mais les occidentaux ne le sont-ils pas aussi, à vouloir se mêler de tout et imposer partout leur morale.
Je veux plutôt, prenant cet exemple comme cas d’école, mettre l’accent sur la dimension peu démocratique de notre système politique, en comparaison de celui de nos alliés anglo-saxons, d’Amérique et de Grande Bretagne.
Le président Obama, qui souhaite intervenir, se l’est vu refusé par certains sénateurs, et il n’engagera pas son pays dans cette intervention sans l’aval des représentants de la nation. Il a donc prévu de consulter rapidement le Congrès. James Cameron a interrogé sa Chambre des Communes qui, jeudi dernier et par une faible majorité de 285 voix sur 272, a refusé l’intervention. Il en a pris acte en déclarant : « Il est clair que le Parlement britannique ne veut pas d’intervention militaire britannique. Je prends note et le gouvernement agira en conséquence ». Le gouvernement allemand avait déclaré, il y a quelques jours, ne pas vouloir participer à une opération militaire, mais tout observateur de la politique allemande sait que la Chancelière ne se serait de toute façon pas engagée sans l’aval du Bundestag. En France, François Hollande a pris sa décision sans vote de la représentation nationale, ce que la Constitution lui permet, s’agissant d’une « opération extérieure », et non d’une déclaration de guerre. Il attend pour la mettre en œuvre l’engagement des Etats-Unis et surveille du coin des sondages son opinion publique. Mais l’opinion publique n’est pas la vox populi et les organismes de sondages un organe représentatif.
Je vois personnellement dans ces différences de pratique politique, un écart qualitatif extrêmement important entre la démocratie britannique, mais aussi étatsunienne – toutes deux plus anciennes que la nôtre – et la démocratie française, et cet écart a été malheureusement renforcé par l’adoption en 2000 du quinquennat présidentielle et surtout par la concomitance voulue des élections présidentielle et législative. Et nous sommes de fait entrés après cette réforme qui a conduit à instrumentaliser le parlement, dans une sixième république. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle et De Gaulle et Pompidou étaient opposés à cette concomitance d’élections nationales.
Évidemment, aucune démocratie n’est parfaite, et par ailleurs elle ne pourrait l’être, dans son fonctionnement, qu’avec des citoyens vertueux. Ce qui est d’autant moins le cas que tout système politique constitué n’a d’autres ambitions que d’infantiliser les citoyens et de les rendre dépendants de son administration. Et l’on ne peut comparer la gestion d’une nation de soixante millions d’habitants à celle de la cité athénienne qui fit naître l’idée de démocratie, une cité d’environ 300 000 habitants au Ve siècle avant notre ère (dont environ 15 % de citoyens). Mais la qualité d’une démocratie peut néanmoins s’apprécier au regard du respect de certains principes de bases, qui sont assez bien illustrés par la formule d’Abraham Lincoln, reprise dans notre constitution, et si peu à l’ordre du jour : « Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Le Peuple doit toujours s’exprimer et l’élection d’un Président sur un programme quelconque ne saurait justifier que l’on contourne le parlement, seul corps constitué pouvant décider. Et encore, on peut s’interroger sur son autorité. Rousseau écrit dans Du Contrat Social : « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le Peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi ». Considérer que le Président pourrait décider seul, ou du mariage homosexuel ou de notre entrée en guerre est donc une double perversion de notre système. Car c’est aussi confondre exécutif et législatif : « Dans la puissance législative le Peuple ne peut être représenté ; mais il peut et doit l’être dans la puissance exécutive, qui n’est que la force appliquée à la loi ». Et je ne constate pas ce mépris du parlement dans les pays anglo-saxons. Il semble bien qu’en France, nous n’en ayons pas fini avec des pratiques d’Ancien Régime.