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Du travail en vacances.

 Le temps des vacances peut-il être le moment de l’affirmation d’une frustration particulièrement critique au soleil d’août ? Je travaille énormément, bien que je déteste cela. Et je n’apprécie pas plus, sur le plan philosophique, la fausse valeur travail. Car le travail est un empêchement ; je veux parler du travail salarié, le travail pour autrui, le travail obligé ; parler de cette invention qui nous met à disposition du système qui nous condamne à inscrire notre vie dans quelque chose qu’on ne comprend pas et qui nous dépossède de notre capacité à produire notre vie, en consommant nos forces à fabriquer des biens de faible valeur qui seront vendus pour que les uns deviennent plus riches encore et les autres plus pauvres. Le travail est un empêchement de tourner en rond, le nez au vent, l’âme toute imprégnée de la poésie du monde. Le travail nous condamne à gagner notre vie, une vie qui nous était sensément donnée, mais qui nous a donc été reprise par le système, le Léviathan bouffi que nous avons créé. C’est comme l’eau et la terre qu’il faut payer, demain l’air et le poisson qu’on ira pécher ; j’en prends le pari. Même nos corps ne nous appartiennent plus. Une vie volée, une vie à regagner, reconquérir et à perdre indéfiniment au prétexte de gagner ce qui nous était donné. Le système qui nous possède, nous dépossède de notre vie, nous condamne à survivre quand il faudrait vivre.

Je ne sais quel sens donné au mythe du péché original de l’humain, mais je conçois bien cette condamnation première de notre modernité qui nous a très progressivement dépossédés, déshabillés, déshumanisés jusqu’à ce que mort s’en suive ; car comment nommer autrement cette vie qui n’en est plus une. J’entends bien mon lecteur qui dit que j’exagère, que je dramatise, que ce n’est pas si mal, qu’on mange à notre fin, au moins en Europe. Le plus grave c’est bien cela : que, divertis par les gadgets à la mode et la confiture médiatique, on s’en arrange – panem et circenses. Notre chute se mesure à l’aune de cet arrangement.

Et pourquoi travaillons-nous ? Pour survivre  dans l’indignité, enrichir les plus riches, poluer la planète, développer des technologies qui permettront demain l’émergence d’un surhumain qui n’aura plus rien d’humain, de partir à la conquête de nouvelles étoiles à saloper, de nouveaux peuples à asservir ? De créer des chimères insultant la nature.

Terminons, pour rester sur le même registre mais en gagnant en légèreté, par la prostitution ; car la prostitution est évidemment un travail. Et c’est bien le travail par excellence ; disons plutôt, le travail réduit à son essence. Et ce qui doit être interrogé, dans nos sociétés bourgeoises dont les valeurs sont le travail et l’argent, c’est sans doute moins la prostitution comme activité salariée, que le proxénétisme. Il faut donc, ici comme ailleurs, ne pas se tromper de débat.

L’exploitation de son corps pour survivre, c’est ce qu’il convient d’appeler le travail, et si un travail peut être plus ou moins dégradant, indigne, tout travail l’est de toute façon, à un degré ou à un autre, et je ne vois aucune rupture axiologique entre la prostitution et d’autres activités salariées. Et parlant de l’exploitation du corps, je ne distingue évidemment pas le corps et l’esprit, car d’une part l’esprit n’est qu’une production du corps, et d’autre part, que peut le corps sans l’esprit ?

Pour ce qui est du proxénétisme, il en est comme de ces employeurs qui utilisent des précaires corvéables à merci, parfois sans les payer. La question posée ici est celle de l’esclavage qui est la forme extrême de l’exploitation. Et l’on pourrait dire que le proxénétisme est à l’exploitation de l’homme, ce que l’esclavage est au travail. Il faut distinguer les registres, mais sur chaque registre, tout est affaire de degré, qu’on les gravisse ou qu’on les dégringole.